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“La bioéthique actuelle considère le corps humain en pièces détachées”

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Agnès Pinard Legry - publié le 01/02/21
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Alors que le projet de loi bioéthique revient au Sénat en deuxième lecture ce mardi, le père Thierry Magnin, docteur en physique et théologien, met en garde sur l’utilisation de technologies non plus au service du bien commun mais pour répondre à des désirs individuels.Ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, filiation fondée sur la déclaration, élargissement des recherches sur l’embryon… Le projet de loi bioéthique débattu dès ce mardi 1er février au Sénat en deuxième lecture comporte des changements de société majeurs. Des changements rendu possibles par des technologies de plus en plus sophistiquées « mises au service de désirs individuels mais sans étude profonde des conséquences à moyen et long terme”, regrette le père Thierry Magnin, docteur en physique, théologien et recteur délégué de l’université catholique de Lille. “La grande question de l’éthique est de s’interroger : parmi les possibles quels sont les souhaitables ? C’est une question de sagesse et pas d’être pour ou contre le progrès”. Entretien.

Aleteia : Le projet de loi bioéthique constitue-t-il une rupture par rapport aux précédentes révisions des lois de bioéthique ?
Père Thierry Magnin : Le projet de loi bioéthique s’inscrit dans la continuité du libéralisme qui s’est déjà fait sentir lors des précédentes lois de bioéthique. L’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules n’est pas une surprise. Le désir d’une femme, de deux femmes, d’un homme ou de deux hommes d’avoir un enfant se comprend. L’éthique n’est d’ailleurs pas de porter un jugement sur ces personnes. Elle est de porter un regard sur des situations. Or ce désir d’enfant, que l’on peut comprendre, doit-il donner lieu à une loi car les technologies le permettent ? Non. Pourtant, c’est vers cela qu’on s’achemine. Du désir d’enfant au droit à l’enfant la frontière est de plus en plus ténue. Le poids du projet parental l’emporte très nettement sur les droits de l’enfant. Le projet de loi bioéthique transforme des techniques – initialement utilisées pour faire face à l’infertilité – en prestation de service répondant à des désirs. C’est un virage de la médecine. Les circonstances de la vie provoquent parfois une PMA sans père car ce dernier est parti. C’est un drame de la vie que l’on est sur le point de légaliser voire d’encourager. Mais sans mesurer les conséquences. Parmi les possibles quels sont les souhaitables ? C’est cela la grande question de l’éthique. Or tout ce qui est possible n’est pas forcément souhaitable, il y a une vraie question de sagesse.



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Comment comprendre l’urgence qui se joue dans cette loi de bioéthique ?
Nous sommes en train de faire les mêmes erreurs en bioéthique que l’on a fait avec la nature. Le boomerang de l’urgence écologique nous revient aujourd’hui en pleine figure. Tout est lié entre les conditions de conception, d’évolution du fœtus, de naissance, d’accompagnement, d’équilibre entre un père et une mère. Aujourd’hui en bioéthique on considère le corps en pièces détachées. Avec les technologies on travaille sur ces pièces détachées sans prendre en considération le tout qu’elles forment, à savoir le corps.

Le projet de loi bioéthique est là pour encadrer un domaine qui ne cesse d’évoluer au gré des progrès de la science et des évolutions de notre société. Pourquoi est-ce si compliqué ?
Le sociologue et théologien Jacques Ellul disait que “le système technicien engendre ses propres besoins”. Le système répond à des besoins mais il créé également de nouveaux besoins. Tant que nos sociétés n’avaient pas les technologies elles n’y pensaient pas. Maintenant que nous les avons, cela nous renvoie à notre responsabilité, surtout celle de celles et ceux qui font les lois. Leur responsabilité est de déterminer ce qui va être humanisant, vraiment au service de chaque être humain, en particulier des plus démunis, des sans voix, des enfants à naître. Il est crucial de voir comment ces technologies peuvent être au service du bien commun et pas simplement au service de désirs individuels, notamment dans une société marchande.



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Certains s’interrogent sur le fait de rendre légal, acceptable, quelque chose qui n’est pas ‘vrai’ biologiquement, qui ne correspond pas aux lois de la nature…
Dès que l’homme a mis la main sur la nature, il a introduit l’artificiel, le culturel dans le naturel. Les lois de la nature sont intéressantes mais l’homme a toujours essayé de prendre du recul par rapport à elles. C’est normal. Par exemple, la vie en société va à l’encontre de la sélection naturelle qui est inscrite dans l’évolution de la nature. C’est une loi rude et heureusement que l’être humain a été capable de la corriger. S’écarter d’une loi de la nature n’est pas problématique en soi tant que l’action est orientée vers le bien commun. La nature a une certaine sagesse, le bio mimétisme est d’ailleurs aujourd’hui à la mode, mais elle n’a pas toutes les vertus. D’où l’aménagement opéré par l’homme. C’est d’ailleurs une grande capacité de l’homme que celle de s’abstraire de la nature tout en reconnaissant qu’il lui est lié.

C’est le côté humanisant, le respect de la dignité de tout être humain qui doit guider la technologie.

Que l’homme modifie des lois de la nature, pourquoi pas. Mais dans quel but et pour quel bien commun ? Prenons l’exemple de la méthode Crispr. Utilisée sur des cellules somatiques, cancéreuses pour lutter contre la propagation d’un cancer est une bonne chose. Heureusement que l’on ne suit pas là la loi de la nature qui mène à la mort ! Que l’on fasse cela sur un embryon humain pour choisir la couleur de ses yeux, son QI etc non ! C’est le côté humanisant, le respect de la dignité de tout être humain qui doit guider la technologie. Il en va de même pour les constructions légales, le droit de la filiation etc. Protéger un enfant en cas de décès de l’un ou de ses deux parents oui. Mais bouleverser la filiation pour répondre à des désirs individuels est-ce en ligne avec le bien commun ? Non.

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