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Avant d’être élu pape, le cardinal Wojtyla a rédigé une suite de méditations sur le discours à l’Aéropage de l’apôtre Paul, s’adressant aux Grecs adorateurs du « Dieu inconnu ». Récemment découvertes et traduites en français, ces méditations dévoilent les intuitions pauliniennes du pape de la Nouvelle Évangélisation, pour répondre à la quête de Dieu du monde contemporain.
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Décembre 1963. Karol Wojtyla, alors évêque de Cracovie, se rend à Athènes sur le chemin de Jérusalem. Sur place, il relit le discours de Paul à l’Aréopage, et ce texte le marque d’autant plus profondément que le pasteur polonais se trouve alors entre deux sessions du concile Vatican II auquel il participe : il perçoit une analogie de situations entre l’Église conciliaire tournée vers le monde contemporain, et la tentative de Paul à Athènes. À une date indéterminée, entre ce voyage et son élection au siège de Rome en 1978, il prépare une série de treize méditations, apparemment destinées à être prononcées devant un auditoire qui nous reste inconnu. Le thème de cette sorte de « retraite théologique » était donc le Discours sur l’Aréopage d’Athènes, inséré par Luc au cœur du récit de la prédication missionnaire de Paul (Ac 17, 22-31).
Pour un monde qui ne croit pas encore
Cette série d’enseignements, récemment découverte sous forme de manuscrit et publiée à Cracovie en 2018, est désormais disponible en français, sous le titre un peu inadapté de : Paroles pour un monde qui ne croit plus. Catéchèses inédites sur le discours à l’Aréopage (Artège). La perspective est bien plutôt de s’adresser à un « monde qui ne croit pas encore » : Karol Wojtyla en effet, dans sa méditation sur le Nouveau Testament, s’insère en quelque sorte dans la perspective de Paul, prêt à gagner au Christ tout le monde habité de son temps, et la onzième catéchèse du cycle en particulier est habitée par le même élan missionnaire.
La recherche de Dieu « comme à tâtons »
Le cycle se subdivise nettement en trois parties d’inégale longueur : Dieu et l’homme ; le Christ ; l’Église et le monde. Même si l’auteur ne perd jamais complètement de vue par la suite le discours de Paul, les cinq premières catéchèses forment un bloc qui lui est presque exclusivement consacré. L’auteur s’y arrête sur chaque moment de la proclamation apostolique, depuis Ac 17, 22 à 31. Il lit cette adresse aux Grecs cultivés d’Athènes sur le fond de sa réflexion philosophique : il fait ainsi une large place à la recherche de Dieu par l’homme « comme à tâtons » (Ac 17, 27) et à la reconnaissance d’une source de la vie et d’un créateur de toutes choses, présente dans la philosophie grecque classique (Platon, Aristote), et même entrée dans la conscience diffuse des grecs cultivés (cat. 1 et 2). Dans cette première partie, il consacre deux catéchèses (cat. 3 et 4) au rapport de l’homme à la vérité et à l’action, par ses capacités de connaissance et d’autodétermination. Au cours des années qui ont précédé le Concile en effet, Karol Wojtyla enseignait la philosophie morale à l’Université catholique de Lublin, et lisait entre autres en séminaire avec ses étudiants l’Éthique à Nicomaque, où la dignité de l’acte humain libre et autodéterminé, éclairé par la connaissance du réel, se trouve mise en valeur. Cette vision aboutit à une présentation de l’homme « à l’image et à la ressemblance de Dieu » (Gn 1, 26) du type de celle mise en avant par les Pères de l’Église, qui partageaient la même culture grecque classique et voyaient l’image de Dieu dans la liberté et la faculté rationnelle.
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Le rôle et l’action du Christ
Après cette première séquence marquée par la théologie naturelle et l’éthique, vient un second bloc centré sur le Christ (cat. 6 à 9), qui associe les théologies de Jean et du Paul des épîtres. La méditation de Wojtyla emprunte en particulier à Jn 3 (dialogue avec Nicodème) et à Jn 1 (prologue général de l’évangile) pour considérer d’abord le « don » fait par le Père de son « Fils unique », « Verbe fait chair », « né de la femme », et tenter de comprendre la nature de l’action de salut qu’il accomplit. Pour cela, il se tourne vers Paul, qui écrit aux Corinthiens : « Celui qui n’a pas connu le péché, [Dieu] l’a pour nous fait péché, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu » (2 Co 5, 21). Conformément à la conviction que la miséricorde divine est la limite imposée au mal (développée par Jean-Paul II dans son encyclique Dives in misericordia, et rappelée dans son ouvrage Mémoire et identité), la démesure de ce don l’emporte sur l’accumulation du mal humain.
S’arrêtant ensuite sur la venue de Jésus ressuscité au Cénacle en Jn 20, où il montre aux apôtres les marques de sa passion et leur communique l’Esprit, Karol Wojtyla voit ce don de l’Esprit comme communiqué, en quelque sorte, par les plaies glorieuses, et y lit le lien entre la passion de Jésus et la régénération des hommes par l’Esprit. Suivant une ligne complémentaire, qui remonte à la théologie des Pères grecs, il pose aussi, en citant Gaudium et Spes (22, 1), que le « Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme » et l’a donc potentiellement revivifié par sa résurrection.
Le salut et la prière
À partir de la dixième catéchèse s’ouvre une dernière série de méditations orientée surtout vers la diffusion dynamique de l’Esprit-Saint, la sanctification de l’Église et l’attente de l’accomplissement final (cat. 10 à 13). C’est dans cette dernière partie que le Nouveau Testament, très présent dans les deux premières parties, cède le pas aux documents conciliaires de Vatican II (surtout Gaudium et Spes et Lumen gentium). C’est à ce stade aussi que le moment de la mission, déjà pris en considération dans le récit de l’épisode du discours de Paul, rejoint l’époque contemporaine de l’évêque de Cracovie, pour en renouveler l’élan : « Ce “convertissez-vous” (Ac 2, 28), écrit-il, signifie : entrez, pénétrez dans le mystère vivifiant du Christ, puisez à sa vie. En lui, “Dieu a tant aimé le monde…” (Jn 3, 16). » La dernière catéchèse, consacrée à la prière, élargit la perspective à une vision proprement cosmique, qui fait écho à celle des Anciens, pour lesquels la création elle-même loue Dieu et tend vers lui. C’est dans une tension entre l’appel désespéré et la demande confiante que se situe la prière des hommes, comme celle de la création, qui porte « l’espérance… de jouir elle aussi de la liberté de la gloire des enfants de Dieu » (Rm 8, 21).
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Au cours de cet enchaînement de méditations, Karol Wojtyla a ainsi pris en considération et ruminé en profondeur, à partir des textes apostoliques, tous les principaux articles des symboles de foi, depuis la foi au Dieu créateur jusqu’à la résurrection de la chair et au renouvellement de la face du monde, en passant par la venue du Christ, son offrande salvifique, sa glorification et le don de l’Esprit. Chemin faisant, philosophie et Écritures, inspiration ancienne et parole récente de l’Église se sont trouvées convoquées pour illustrer l’adage conciliaire qui sert de motto à tout le cycle, et sans doute à une grande partie de l’œuvre de K. Wojtyla : « Le Christ nouvel Adam… manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre l’extrême grandeur de sa vocation » (Gaudium et Spes 22, 1). Ce petit livre est vraiment grand par sa portée et son envergure, et on ne peut que se féliciter qu’un texte aussi clair, riche et profond, qui en une centaine de pages donne à pénétrer l’ensemble des mystères de la foi chrétienne, ait été mis à la disposition du public francophone dans une traduction fidèle, qui laisse transparaître la voix de l’auteur et comme son âme.
Jean Paul II, Karol Wojtyla, Paroles pour un monde qui ne croit plus, Catéchèses inédites sur le discours à l’Aréopage, Artège, 2020, 162 pages, 17 euros.