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Scénario pour l’après-crise : un redémarrage en mode dégradé

FOULE DANS LA RUE

© blvdone - shutterstock

Pierre-Yves Gomez - publié le 16/11/20

Des scénarios de l’après-crise sanitaire, le plus probable est sans doute celui d’un redémarrage en demi-teinte. Mais si les vraies transformations observées vers une économie plus raisonnable ne se consolident pas, le risque d’une crise sociale forte est bien réel.

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Le 14 mai dernier, je publiais sur ce site une tribune suggérant quatre scénarios pour l’après-crise sanitaire : le retour à la « normale » du capitalisme spéculatif ; un redémarrage économique mais en mode dégradé ; une rupture sociale brutale ou une transition vers une économie raisonnable. Six mois plus tard, où en est-on, lequel de ces scénarios gagne-t-il en probabilité ? 

Les quatre scénarios possibles

Ces quatre scénarios se fondaient sur deux hypothèses simples : d’une part la crise sanitaire pouvait être perçue comme un accident passager ou au contraire comme une rupture économique forte. D’autre part, le pacte social, c’est-à-dire les équilibres qui permettent aux différentes parties prenantes d’une société de tenir ensemble, pouvait ou non se dégrader du fait de la crise. D’où il résultait logiquement quatre scénarios possibles : 

tableaux
© Pierre-Yves Gomez

Les scénarios ne sont pas des prophéties. Tout juste des balises pour mettre un peu d’ordre dans la profusion d’informations. Ils n’annoncent rien mais cherchent à repérer et à pouvoir interpréter les signes des temps. 

Coup d’arrêt sur la logique spéculative

Le scénario 1 marquerait-il un simple retour en arrière puisqu’il suppose que la crise sanitaire n’est pas perçue comme une rupture et que le pacte social ne se dégrade pas ? Nous n’aurons alors vécu qu’une simple parenthèse ? Pas tout à fait, car on ne renouera jamais tout-à-fait avec l’économie et la culture de la période précédant la crise de la Covid-19. Nous avons fait individuellement et collectivement des expériences ineffaçables, comme celle du confinement, du travail à distance, de l’arrêt des voyages, des ordres et des contre-ordres en matière d’organisation, des contradictions et de l’impuissance des scientifiques… Cela a modifié nos manières de consommer, de valoriser les choses, d’avoir confiance dans les dirigeants ou d’utiliser les outils techniques. On ne peut pas sérieusement envisager que la vie reprendra exactement comme si tout cela n’avait pas été vécu, comme si aucune trace ne restera de ces expériences. Quand on n’a pas les ressources intellectuelles, culturelles, spirituelles pour imaginer une autre économie que celle à laquelle nous étions habitués jusque-là, on peut certes considérer que la crise sanitaire a été un mauvais moment à passer et qu’il nous faut revenir à la « normale » — c’est-à-dire trouver de nouvelles raisons de nous agiter et de spéculer pour alimenter la machine économique et maintenir le même niveau d’activité « qu’avant ». C’est un scénario auquel plus grand monde ne croit. 




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Pourquoi ? Il semble que quelque chose a été cassé dans la logique spéculative d’avant cette crise. L’agitation permanente qui servait d’euphorisant à beaucoup, a perdu de sa puissance. Bien sûr, on a envie de retrouver les sorties et les déplacements faciles, les voyages ou la consommation frivole, et on les retrouvera d’une certaine façon : la société a horreur du vide. Il est certain qu’on parlera, au printemps ou à l’été prochain, d’un redémarrage extraordinaire des achats, d’une reprise inouïe de l’activité. Après la dépression brutale que nous avons connue, tout sera surinterprété comme un retour à la « normale ». Mais je doute que la « normale » soit la même en 2022 que celle des années 2010. La demande de sens est devenue patente. Et le risque épidémique planera sur nous pendant des années encore et il imprégnera nos mentalités pour longtemps. 

Un fond de scepticisme

Mais la présence obsédante de ce risque ne pourrait-elle pas conduire, précisément, à une spéculation sur les technologies et les investissements destinés à nous en défaire ? C’est une possibilité mais j’en doute parce qu’un deuxième effet a cassé la logique spéculative des années 2010 : la gestion de la crise sanitaire a marqué une défiance profonde à l’encontre des élites mais aussi des savants, des experts et de leurs technologies. Là encore, je ne sous-estime pas l’énergie que vont mettre les spéculateurs de toutes sortes à nous expliquer que nous pourrions être exempts de risques épidémiques, à l’avenir, si nous confions notre destin aux robots, aux intelligences artificielles, aux bases de données et autres technologies présentées à la superstition publique comme des solutions magiques. Et on nous promet déjà des vaccins miraculeux, des machines expertes pour déceler à l’avenir les épidémies, pour contrôler notre santé jusque dans ses détails, etc. Mais sauf amnésie générale, on se souviendra que pendant des mois, aucune technologie ni aucun spécialiste ne nous a prémuni d’un virus insignifiant. Nous avons fait l’expérience de l’écart entre les certitudes péremptoires des « sachants » et l’efficacité pratique de leurs actions. Cela laissera un fond de scepticisme dans les mentalités, qui rendra les promesses spéculatives de demain moins facilement persuasives.

Un redémarrage en mode dégradé

Allons-nous donc changer d’époque ? En apparence non si le scénario 2 se précise. 

TABLEAU
© Pierre-Yves Gomez

Il repose sur l’hypothèse que, bien que la crise sanitaire ait fortement frappé l’économie, le pacte social a tenu suffisamment pour éviter une crise généralisée. Les aides publiques ont permis de masquer l’accroissement des inégalités et elles ont atténué les incertitudes sur l’avenir. La dette publique a servi de parachute tandis que les Français ont accumulé plus de 100 milliards d’euros d’épargne pendant l’épidémie, milliards qu’il faudra bien utiliser. Sur cette base, l’économie pourrait redémarrer, mais en mode dégradé, c’est-à-dire sans l’enthousiasme frénétique des dernières décennies, sans conviction, comme contraints à le faire pour éviter la faillite des entreprises. La force des habitudes, la nécessité de faire repartir les affaires pour sauver les emplois, une certaine envie d’en finir avec les restrictions de toutes sortes, mais surtout la peur d’une transformation trop radicale de nos modes de vie conduira le plus grand nombre à accepter que les choses repartent en apparence « comme avant ». À court terme, c’est ce scénario en demi-teinte qui me semble le plus probable. Ce qui signifie que le pacte social s’effritera, l’écart avec les élites, la perte de sens et de projet commun, les aspirations à une société plus juste ou plus paisible seront accentués mais, une fois de plus, voilés par la nécessité de faire tourner la machine économique coûte que coûte.

De vraies transformations sont en cours

Est-ce à dire que nous avons raté l’occasion de promouvoir une économie plus raisonnable, c’est-à-dire moins dévoreuse d’énergie qu’elle soit physique ou humaine, moins centrée sur le rendement et sur la valorisation sans limites du capital ? Paradoxalement, le scénario 4 qui anticipe une telle économie me semble, à terme, le plus sûr. Car nous serons obligés d’y venir tôt ou tard. La crise sanitaire aurait sans doute pu être l’occasion de le faire plus vite, mais, outre les raisons, évoquées précédemment, de préférer repartir « comme avant » en mode dégradé, une rupture brutale dans nos modes de vie, mêmes pour qu’ils deviennent plus raisonnables, génèrerait une forte casse sociale, puisque qu’à peu près tous les secteurs économiques devraient radicalement se réformer. Peu de dirigeants publics ou privés sont prêts à en accepter les conséquences.

Avec la crise, on a fait l’expérience de manières de consommer plus justes, on a pris conscience des limites de la globalisation, on a vu l’effet direct de la production sur l’environnement, on a déployé des solidarités nouvelles.

Pour autant, les transformations sont déjà en cours : avec la crise, on a fait l’expérience de manières de consommer plus justes, on a pris conscience des limites de la globalisation, on a vu l’effet direct de la production sur l’environnement, on a déployé des solidarités nouvelles. Bien sûr, Amazon a gagné des parts de marchés, comme tout le e-commerce d’ailleurs, mais, parallèlement, des initiatives de transformations économiques locales ont été confirmées et encouragées. L’éducation du consommateur reste à faire, elle prendra du temps, de même que l’adaptation des entreprises aux exigences d’une économie plus raisonnable. Mais le processus est engagé et la crise sanitaire a confirmé que l’on peut produire et consommer avec plus de raison et de sens.

Une course contre la montre

En conséquence avec le scénario 2, que je considère donc comme le plus probable aujourd’hui, se joue une course contre la montre. Soit, au-delà de l’impression d’un « redémarrage comme avant », les transformations vers une économie plus raisonnable continuent, souterrainement, portées par des milliers d’initiatives locales et servies par des politiques publiques et privées éclairées. Par petites touches, nous nous dirigerons alors lentement vers un nouveau système de production et de consommation. Soit nous nous enlisons dans ce faux redémarrage en croyant « recommencer comme avant » et, par lâcheté individuelle et collective, nous retardons les mutations de notre appareil productif ; les inégalités s’intensifient, la défiance envers les élites se confirme, la perte de confiance dans l’avenir se généralise, le pacte social se tend jusqu’à se disloquer soudainement : c’est ce qu’annonce le scénario 3, celui de la rupture sociale inattendue et violente, qui nous mettrait en devoir d’accomplir dans l’urgence et les nécessités du moment, les réformes que la sagesse n’aurait pas réussi à imposer.




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