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Avec ses hommes, il a sauvé Notre-Dame : “Le courage est un don qui se trouve au fond de chacun”

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ludovic MARIN / POOL / AFP

Le général Jean-Claude Gallet, ancien commandant de la BSPP.

Agnès Pinard Legry - publié le 13/11/20

Commandant de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris lors de l’incendie de Notre-Dame, le général Jean-Claude Gallet revient pour Aleteia sur une notion souvent oubliée et galvaudée mais ô combien essentielle : le courage.

Avant l’incendie de Notre-Dame, dans la nuit du 15 au 16 avril 2019, son nom était inconnu du grand public. Mais dès les heures qui ont suivi, le général Jean-Claude Gallet, alors à la tête de la brigade des sapeurs-pompiers (BSPP), est devenu le sauveur de la cathédrale. Un rôle qu’il n’a pas souhaité endosser. En tout cas, certainement pas seul. Ce n’est pas le fait d’un homme, “mais d’un ensemble d’hommes, c’est la force du collectif”, assure-t-il à Aleteia à l’occasion de la sortie de son livre, Éloge du courage, rédigé avec le journaliste Romain Gubert.

En l’écoutant raconter cette intervention “atypique et hors norme”, on touche du doigt ce que signifie l’engagement et l’acceptation du risque. Revenant sur ces deux heures fatidiques et cette succession “d’impossibles opérationnels” où des soldats du feu se sont battus au corps à corps avec les flammes, il raconte, rationnellement, comment tout aurait pu basculer entraînant la chute du sanctuaire et la mort de nombreux pompiers. Mais la cathédrale est restée debout et l’incendie n’a fait aucune victime.

Habitué aux théâtres d’opération périlleux, le général Jean-Claude Gallet reste précis et rationnel quand il fait le récit des interventions les plus marquantes de sa carrière. Est-ce que le sauvetage de Notre-Dame tient une place à part dans son cœur, se décrit autrement qu’une série de décisions ? Certainement, mais il ne s’étend pas sur ce qu’il a ressenti les jours suivants. Cette intervention des pompiers, hors norme et historique, témoigne selon lui, comme toutes les autres, du courage d’hommes et de femmes qui n’hésitent pas à risquer leur vie pour remplir leur mission. Entretien.

Aleteia : En quoi l’incendie de Notre-Dame était différent des missions auxquelles vous avez été confronté auparavant ?
Général Gallet : La mission n’était pas différente dans la mesure où il s’agit, à un moment donné, d’engager la vie de ses hommes pour quelque chose qui nous dépasse. Ça a été la même chose lors de l’explosion de gaz de la rue Trévise en janvier 2019, lors du feu d’immeuble rue Erlanger en février 2019, lors des attentats de 2015… Mais le contexte était bien évidemment différent. Notre-Dame est bien sûr un symbole religieux extrêmement fort mais plus que cela, c’est le symbole de notre unité, de notre nation. C’est notre histoire. Et on a tendance à oublier qu’un symbole comme Notre-Dame peut être vulnérable. Nous l’avons découvert brutalement, dans une séquence extrêmement rapide de deux heures. À la différence des autres opérations, il y a, comme dans les tragédies grecques, une unité de temps et de lieu. Vous avez à la fois le temps de l’opération qui est brutal et très court, qui s’est trouvé synchronisé avec le temps du politique, lui-même sous le feu des prises de vue instantanées des médias. Vous avez ainsi le temps opérationnel, le temps politique et le temps des médias qui se déroulent sur la même séquence. Ce sont deux heures ou vous ne pouvez pas tricher ou jouer sur la communication car la catastrophe est en train de se dérouler sous les yeux du monde entier en temps réel.

D’un point de vue opérationnel, quelle a été la complexité de cette intervention ?
Cet incendie a été une succession d’impossibles opérationnels. Il y a eu une perte de chance assez considérable dans le délai d’intervention : plus de 30 minutes se sont écoulées avant qu’on ne soit appelé pour feu. Lorsque nous sommes arrivés sur place, la charpente était embrasée sur les trois-quarts. Là, le premier des combats est contre soi-même. Il ne faut pas se laisser sidérer et impressionner par la situation. Oui, la charpente est condamnée, oui la cathédrale a de grandes chances de s’effondrer parce que les exemples antérieurs montrent qu’une fois que le plafond d’une nef, d’un édifice religieux ou d’un vieux bâtiment, est percé, c’est la fin du bâtiment. Ça a été le cas lors de l’incendie de la cathédrale de Nantes en 1972, du château de Lunéville, du parlement de Bretagne, de l’incendie de la cathédrale de Reims en 1918…




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Mais il y a quand même le Trésor à sauver, c’est-à-dire les dix pièces les plus importantes. Il faut donc gagner du temps contre cet incendie pour permettre de le sortir. Et gagner du temps, c’est différencier le temps opérationnel du temps médiatique : en regardant les images nous distinguons seulement deux lances à incendie qui crachent sur l’extérieur sauf qu’à l’intérieur vous avez déjà, mais ce n’est pas visible, une cinquantaine de pompiers, dans la première phase, qui luttent corps a corps. On choisit de se battre avec de petits moyens hydrauliques, pas trop puissants, juste assez pour gagner du temps, éviter de casser les vitraux, éviter que le poids de l’eau d’extinction ne favorise l’effondrement du plafond.

Et là, la flèche de Notre-Dame s’effondre…
Oui. Quand la situation semble être stabilisée, c’est-à-dire quand le Trésor est en voie d’être sauvé, vous avez le deuxième canon : l’effondrement de la flèche de Notre-Dame qui perce le plafond. Nous nous trouvons dans la situation la plus critique. Normalement le bâtiment est perdu. La croisée des transepts sur laquelle s’appuient tous les arcs boutants s’effondre. Vous avez également le poids de l’échafaudage et le feu se répand à l’intérieur de l’édifice. Sans compter le plomb en fusion qui rend très difficile une intervention des pompiers à l’intérieur. Dans le même temps, vous avez une cinquantaine de pompiers pris au piège à l’intérieur.

En s’engageant et en acceptant le risque, les sapeurs-pompiers ont mis cette cause collective au-dessus de leur propre intérêt.

L’effondrement de la flèche a provoqué une surpression donc les portes se sont refermées et il s’agit désormais d’extraire les pompiers qui sont en difficulté. Là il faut raisonner très vite. Il y a une discontinuité entre les actions, en même temps il y a des pompiers pris au piège, et puis une problématique qui fait que statistiquement se trouve dans Notre-Dame un double foyer. Un monstrueux qui concerne la forêt, et le deuxième en-dessous. On arrive quand même à rétablir la situation puisqu’on engage le robot qui permet de repousser les flammes vers l’extérieur, vers la percée de la flèche… et préserver l’orgue. Vous n’avez aucun dégât : à part l’emplacement de la chute des 250 tonnes de la flèche, l’ensemble des peintures a été préservé, la vierge à l’enfant, la pietà, la croix… Là vous pensez que la bataille est en passe d’être gagnée… Mais vous avez ce volume de flammes et de gaz chaud qui est poussé et entre dans le beffroi nord. Les flammes commencent à ravager les poutres qui tenaient les bourdons. Là nous risquons l’effondrement.

Vous avez tenté l’impossible…et l’impossible est devenu possible. Notre-Dame a été sauvée. À quoi cela a-t-il tenu ?
Notre-Dame, en termes d’engagement, d’acceptation du risque, de courage individuel et collectif, est semblable à d’autres interventions atypiques et hors norme sauf que là ça s’est passé sous une pression politique et médiatique extrêmement forte avec un cours d’événements qu’on peine à maîtriser. Face à cela si vous n’avez pas une unité aguerrie, courageuse, ça devient compliqué. Heureusement, elle l’était. En s’engageant et en acceptant le risque, les sapeurs-pompiers ont mis cette cause collective au-dessus de leur propre intérêt.

Découvrez en images l'intervention des pompiers lors de l'incendie de Notre-Dame :

Que signifie s’engager aujourd’hui ?
S’engager signifie choisir. On retrouve ce terme-là dans la littérature militaire mais c’est un terme qui vaut pour chacun, peu importe le domaine dans lequel il exerce. S’engager, c’est un acte qui permet d’affirmer sa responsabilité et, paradoxalement, sa liberté face à soi-même et face aux autres. Il y a différentes façons de choisir de s’engager : cela peut être une seule fois dans sa vie, si nous nous trouvons confronté à un rendez-vous majeur, cela peut être sous une forme moins spectaculaire. Chacun l’a d’ailleurs largement redécouvert depuis le début de l’épidémie de Covid-19 : ce sont les soignants, ceux qui continuent à exercer en dépit du risque. Et puis quand nous faisons le bilan de notre propre cheminement, de sa propre vie, nous nous apercevons que l’engagement peut être le fruit d’une décision ou la somme de ses actions.

S’engager demande-t-il du courage ?
Le courage est une forme de pulsion, une énergie. Mais s’il est porté par une éthique et une finalité morale, c’est du courage généreux, qui transcende, qui sublime beaucoup de de chose. C’est l’expression de l’humanité. Notre-Dame, c’est cela. C’est tout le contraire du courage mortifère, nihiliste.

Le courage est-il réservé à certains ?
Le courage est un don qui se trouve au fond de chacun. Bien sûr certains sont plus ou moins rodés je pense aux pompiers, aux soldats, aux forces de l’ordre. Dans nos unités nous sommes portés par le regard des camarades, par le regard de ses subordonnés, de ses chefs, de ceux pour qui on intervient. Mais d’autres personnes ont incarné le courage sans avoir reçu une quelconque préparation. Que ce soit en France ou à l’étranger, lors d’incendies, d’attentats ou de catastrophes, j’ai toujours vu, y compris dans les situations de peur extrême et de chaos, des personnes, Mr et Mme tout le monde, se lever à un moment donné. Le courage c’est cette énergie qui nous rend capable de reprendre l’ascendant sur sa peur individuelle. Si vous avez une ou deux personnes prêtes à le faire, elles peuvent emporter tout le monde avec elles. Tant que notre civilisation en est capable au quotidien, et elle l’est, rien n’est perdu.

Y a-t-il un exemple de courage qui vous a particulièrement marqué ?
Je pense souvent aux attentats. Ce qui est frappant et terrible, qui est à la fois une leçon d’humanité et de victoire contre la barbarie, c’est la position des corps que l’on retrouve après un attentat. Lorsque les personnes étaient en couple, ou lorsqu’on retrouve un parent accompagné de son enfant, généralement il y en a toujours un qui a cherché à préserver l’autre, à le préserver de la balle. Malheureusement les balles traversent les corps. Mais dans cet instant de mort, de stress aigu, quand on voit la mort en face de soi, il y a le souci de préserver la vie.

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Grasset

Éloge du courage, Général Jean-Claude Gallet et Romain Gubert, Grasset,octobre 2020, 15 euros. 

Tags:
courageNotre-Dame de Parispompiers
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