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Conseil d’État : une décision bancale, mais pédagogique et provisoire

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Me Arthur de Dieuleveult - publié le 10/11/20
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Pour Me Arthur de Dieuleveult, avocat à l’origine d’une des requêtes en référé-liberté demandant la levée de l’interdiction du culte public, la décision du Conseil d’État reste mal motivée. La loi de 1905 faisait de la liberté de culte une liberté supérieure à la liberté de réunion, désormais les catholiques pourraient inscrire leurs prières publiques… dans le cadre des « manifestations revendicatives ».Bis repetita placent, se disaient les requérants qui ont saisi le Conseil d’État, dans l’espoir d’une décision similaire à celle déjà rendue le 18 mai dernier. Bis repetita non placent, leur a répondu le Conseil d’État, dans la décision rendue le 7 novembre au soir, à l’heure où les cloches sonnaient pour la messe anticipée du dimanche. Avec l’échec de l’action menée par des catholiques — et malheureusement uniquement par des catholiques — contre le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 interdisant les rassemblements et les réunions dans les lieux de culte, des enseignements peuvent être utilement tirés. 

Une décision pédagogique

Le juge des référés éclaire au moins quatre dispositions byzantines qui prêtaient à confusion. 

1. Sur les déplacements des fidèles vers les lieux de culte

Les fidèles peuvent se déplacer vers le lieu de culte le plus proche de leur domicile ou situé dans un périmètre raisonnable en cochant, sur leur attestation, la case « motif familial impérieux ». 

2. Sur le déplacement des ministres du culte vers les fidèles 

Les prêtres peuvent se rendre « au titre de leur activité professionnelle » (sic) au domicile des fidèles ou dans les établissements où ils sont aumôniers : prisons, écoles, maisons de retraite… La liste n’est pas exhaustive et ouvre de belles perspectives.

3. Sur les réunions et rassemblement du personnel dans les lieux de culte

Les lieux de culte restent accessibles aux ministres du culte et toutes personnes qui peuvent être regardées comme relevant de leur « personnel ». Les ministres et le personnel peuvent participer aux cérémonies religieuses dans le respect des gestes barrières. Cette précision est heureuse, puisque l’inverse aurait impliqué une immixtion grave du politique sur le culte et sur la liturgie. 

4. Sur l’accueil des fidèles dans les lieux de culte ouverts

Hors du cas des obsèques (30 personnes) et des mariages (6 personnes), les fidèles ne peuvent pas participer aux cérémonies ; ils ne peuvent se rendre dans les lieux de culte que pour y exercer le culte à titre individuel en évitant tout regroupement avec des personnes ne partageant pas leur domicile, ou pour y rencontrer un ministre du culte.

Le juge a fait primer la protection de la santé sur la liberté de culte mais n’admet pas la pertinence des arguments relatifs à la discrimination de la mesure d’interdiction générale et absolue par rapport au traitement d’autres libertés…

Une décision bancale

Le juge a néanmoins considéré que la mesure d’interdiction générale et absolue des rassemblements et réunions au sein des établissements de culte n’était pas disproportionnée par rapport aux objectifs recherchés. Il a fait primer un objectif à valeur constitutionnelle (protection de la santé) sur un droit (liberté de culte) en s’appuyant sur des chiffres. Le contexte sanitaire tel que présenté par le gouvernement ne pouvait que l’y conduire. Au printemps, il s’agissait de demander au Conseil d’État d’accompagner les mesures de déconfinement. Aujourd’hui, il s’agit de solliciter une censure des mesures de confinement. Le contexte est donc différent. 



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Au-delà des chiffres, le juge a fondé sa décision sur des éléments discutables qui la rendent bancales et assez mal motivées. Le juge a fait primer la protection de la santé sur la liberté de culte mais n’admet pas la pertinence des arguments relatifs à la discrimination de la mesure d’interdiction générale et absolue par rapport au traitement d’autres libertés comme la liberté du commerce et de l’industrie (commerces essentiels), la liberté d’aller et venir (transports en commun), la liberté de l’enseignement (écoles). En relevant que ces activités devaient être protégées « pour éviter les effets économiques et sociaux les plus néfastes qui avaient été constatés lors du premier confinement », il dit tout le peu de cas qu’il fait de la liberté de culte dont l’exercice est pourtant essentiel pour l’équilibre d’une nation.



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Le Conseil d’État fait une lecture contestable de la note d’alerte du conseil scientifique du 26 octobre 2020 qui avait indiqué que « les lieux de culte pourraient rester ouverts à condition qu’ils respectent les protocoles sanitaires contractualisés » puisqu’il n’en retient que l’annexe 1 qui faisait état, aussi, de ce que le risque de transmission du virus était important « dans un espace clos, mal ventilé, avec une forte densité de participants, en absence du port du masque, avec un niveau élevé d’émissions de gouttelettes lié à la parole et au chant ». Au lieu d’exiger le respect d’un protocole sanitaire évoqué par le conseil scientifique, il reproche in fine aux représentants des cultes de ne pas avoir fait respecter celui-ci lors du premier déconfinement « en ce qui concerne la distanciation entre les fidèles, y compris à l’entrée et à la sortie des lieux de culte, et le port du masque par les officiants ». Affirmation contestable lorsque l’on sait que les éléments versés aux débats n’auraient pas dû permettre de conclure en ce sens. 

Une décision provisoire

La décision du Conseil d’État doit néanmoins être relativisée à plusieurs titres bien que dans les faits, ses conséquences soient essentielles, l’interdiction restant la règle à l’heure d’aujourd’hui. D’une part, le juge des référés qui a statué sur le dossier à l’issue d’une instruction expresse, chaotique et un peu folle, après l’examen de vingt-et-une requête et des écritures en défense du gouvernement, est un juge unique aux pouvoirs étendus mais dont la décision restera toujours provisoire et n’aura jamais l’autorité d’une décision rendue au fond, au terme d’une procédure collégiale et susceptible de faire jurisprudence. Le juge des référés est uniquement le juge de l’urgence et tous les espoirs de liberté ne doivent pas reposer sur ses seules épaules. Il revient aux citoyens soucieux des libertés de ne pas s’arrêter au milieu du gué et d’engager les actions contentieuses utiles et nécessaires à l’encadrement des mesures liberticides prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire : recours en annulation devant le Conseil d’État, question prioritaire de constitutionnalité, saisine de la Cour européenne des droits de l’homme… Le décret n° 2020-1310 ne doit plus pouvoir dormir tranquille ! 



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D’autre part, le juge des référés a insisté sur l’importance qu’il y avait pour le gouvernement à discuter avec les représentants des cultes en fonction de l’évolution de la situation sanitaire, rappelant par-là que sa décision n’avait rien de définitif. Souhaitons que cette clause de revoyure soit prise au sérieux par chacune des parties prenantes afin que l’étau de l’interdiction se desserre progressivement quand il en sera temps, sans qu’une violation inappropriée de la liberté de culte ne perdure indument. 

La liberté de manifestation au secours de la liberté de culte

La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État avait doté la liberté de culte d’un régime spécial par rapport à celui découlant de la loi du 30 juin 1881, faisant ainsi de la liberté de culte une liberté supérieure à celle de réunion. En interdisant le culte public, l’état d’urgence sanitaire fait s’écrouler cette hiérarchie et fait une place plus importante à d’autres libertés jusqu’ici considérées comme « moins fondamentales », au premier rang desquels la liberté de manifester dans l’espace public, qui n’est pas remise en cause par le décret du 29 octobre 2020 dont l’article 3 prévoit que « tout rassemblement, réunion ou activité sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public, qui n’est pas interdit par le présent décret, est organisé dans des conditions de nature à permettre le respect des dispositions de l’article 1er ». 

Afin de palier l’interdiction des réunions et rassemblements au sein des établissements du culte, il revient alors aux catholiques de s’inscrire dans le cadre de la liberté de manifestation posé par le décret du 29 octobre, le code de la sécurité intérieure et le code général des collectivités territoriales. Et si localement les autorités administratives compétentes s’opposaient à ces manifestations régulièrement déclarées lors desquelles la messe pourrait être dite, au motif notamment de l’atteinte à l’ordre public sanitaire, les déclarants n’auront d’autres choix que de saisir le juge des référés du tribunal administratif du ressort dans lequel ils se trouvent.



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