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Redonner vie à son âme endormie grâce à la conversation intérieure

Vittore Carpaccio, Sainte Conversation, vers 1505, Avignon, Musée du Petit Palais.

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Jean-François Thomas, sj - publié le 14/06/20
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Quand vient le temps de la renaissance après l’épreuve, le soin de l’âme appelle au retour, sans cesse remis sur le métier, de la conversation intérieure. La renaissance dont il est ici sujet n’aborde point, après une longue période de jachère comme celle que notre pays vient de traverser, le retour des habitudes, bonnes ou mauvaises, de la vie ordinaire. Non point qu’il ne soit point essentiel de renouer avec les gestes de la vie quotidienne jusqu’alors paralysés par des règles plus ou moins appropriées ou justifiables, mais l’essentiel de notre vie chrétienne ne se trouve pas, espérons-le, dans les loisirs et les divertissements empêchés. Il est un peu plus présent déjà dans notre travail, et bien des personnes demeurent, jusqu’à aujourd’hui, interdites d’activité. Au cours d’aucune crise traversée par l’humanité, un État n’avait osé réduire ainsi les moyens de subsistance des individus et les ressources d’un pays.

La situation actuelle de maints pays pauvres est devenue catastrophique à cause de la main de fer qui réduit les miséreux à l’être plus encore en les coupant de leurs maigres revenus. Là encore, nous ne sommes pas cependant au cœur de notre vie chrétienne. Il faut se tourner alors vers la nourriture spirituelle offerte par l’Église, avec d’abord les sacrements, la prédication, la visite des malades et le soin des mourants. Il est préférable de ne pas ouvrir cette page ici car ce serait ouvrir des plaies et créer des polémiques inutiles. Après avoir procédé à ces illuminations, que reste-t-il comme constitutif du noyau dur de notre vie chrétienne ? Notre vie intérieure, celle qui est bien sûr irriguée par les sacrements mais qui a aussi besoin de la doctrine et de la prière pour embellir, pour s’épanouir.

Dans l’épreuve, la vie intérieure

L’urgence réside dans le soin à apporter à cette vie intérieure qui, même dans des circonstances où tout le reste peut disparaître ou être amoindri, demeure d’abord du ressort de notre effort et de notre volonté personnels. Les catholiques japonais survécurent trois siècles coupés du reste du monde et de l’Église, de la fin du XVIe à la fin du XIXe siècle, ceci dans une persécution terrible. De génération en génération, les survivants furent suffisamment courageux pour transmettre la foi et pour baptiser les enfants, ceci malgré les dérives syncrétistes inévitables du Kakure Kirishitan (« chrétiens cachés » en japonais). Cela signifie que la vie intérieure, la seule qui ne puisse pas être atteinte par le pouvoir politique, maintint le flambeau de la foi catholique dans cet empire. Une telle transmission, dans des conditions moins extrêmes, se retrouve au cours de la période révolutionnaire française et dans les États communistes, ceci jusqu’à aujourd’hui puisque le marxisme sous toutes ses formes dérivées est loin d’être mort.

À chacun son parcours

L’heure qui est la nôtre est grave car, au sein d’une apostasie quasi générale des masses, apostasie discrète, silencieuse, indolore, sournoise, la priorité n’est plus de convertir les athées mais de convertir au christianisme le petit reste qui se dit chrétien tout en négligeant de fertiliser sa vie intérieure. Si les baptisés redeviennent des disciples, ils pourront de nouveau évangéliser et amener à la vraie foi ceux qui ne connaissent pas la Révélation du Christ ou qui la rejettent. Saint Augustin a bien montré que les hommes naissent condamnés en masse, massa damnata, et que le salut ne peut toucher que l’individu particulier, y compris lorsque le péché le plus noir l’égare un instant.

Chaque vie intérieure possède son parcours original.

Notre Seigneur a certes enseigné les foules, dont l’intérêt à son égard était très divers, mais Il s’est toujours adressé à une personne singulière lorsqu’il s’agissait de guérir, d’expulser les démons ou de pardonner les péchés. Il n’a jamais pratiqué l’absolution collective ou la guérison de masse, et lorsqu’Il multiplie les pains et les poissons pour des foules, lorsqu’Il transforme l’eau en vin pour la multitude des convives d’une noce, Il opère ces gestes en préfiguration de la Cène et de la Sainte Eucharistie. Il ne s’intéresse à chaque fois qu’à telle âme dans son dénuement, dans sa détresse spirituelle. Chaque vie intérieure possède son parcours original, voilà pourquoi il est nécessaire, si direction d’âme il y a, de ne pas appliquer des méthodes toutes faites mais de procéder avec délicatesse et prudence, sinon la catastrophe n’est pas loin, sans parler de la mise à mal du for interne.

Face au péché et à la mort

L’univers spirituel personnel se doit d’intégrer aussi la vaste infortune humaine qui rend boiteux et celle qui semble frapper de malédiction soudaine un peuple ou une région. La vie spirituelle doit faire face à toute douleur et aux épreuves qui ébranlent l’être, et elle doit intégrer le problème du péché qui la fait dévier de sa trajectoire. Elle doit aussi préparer à la mort, chaque jour de l’existence, cette « bonne mort » que nos ancêtres appelaient de leur vœu et apprivoisaient sans détourner le regard et sans nier la réalité. Notre société a même abandonné le juste respect païen pour les morts, leur niant de dignes funérailles et une juste sépulture, ou bien transformant les obsèques en un cirque médiatique d’hommages auquel le Malin assiste en ricanant. Georges Bernanos écrivait à son ami l’abbé Sudre en 1927 : « Si le progrès escamote la mort, après avoir escamoté la vie, il n’y aura pas plus d’honneur à être homme que méduse ou colimaçon. » Cela ne signifie pas que notre vie intérieure doit se complaire dans le morbide, mais elle doit nous préparer à affronter le moment le plus dense de notre existence terrestre, ce passage vers la vraie Vie.

« Sacrées conversations »

Nous ne pouvons grandir dans cette intimité avec les fins dernières et avec le plan divin à notre égard que par la conversation intérieure et par la conversion extérieure. Les peintres de la Renaissance ont aimé peindre de ces « sacrées conversations » entre les saints et la Vierge avec l’Enfant. Tous ces pieux personnages nous laissent l’héritage d’une vie intérieure sans cesse remise sur le métier à tisser et améliorée. De quoi peuvent-ils donc parler avec le Sauveur et sa Sainte Mère, sinon du salut, de la foi et des œuvres qui permettent d’y aborder lorsque le dernier rivage se profile à l’horizon ?

Le premier souci de beaucoup fut de se précipiter chez le coiffeur, ce qui n’est pas condamnable en soi. Notre âme a-t-elle le droit à autant d’attention dans le détail ?

En place de nous préoccuper autant de nos prochaines vacances et de savoir si nos commerces et nos attractions favoris vont de nouveau fonctionner, attachons-nous vraiment de l’importance à la nutrition de notre âme ? Cette période d’enfermement fut l’occasion, pour beaucoup, de bricoler, de réparer, de rénover, de ranger, de jardiner. Notre âme fut-elle l’objet d’autant de soin ? Pourtant elle nécessite constamment plus qu’un ravalement de façade. Le premier souci de beaucoup fut de se précipiter chez le coiffeur, ce qui n’est pas condamnable en soi. Notre âme a-t-elle le droit à autant d’attention dans le détail ? Comment faire pour renaître de ses cendres, comme nous sommes invités à le faire durant chaque carême, mais qui devrait se prolonger à chaque instant puisque nos jours sont autant de pas vers la Résurrection promise ?

Le grand nettoyage de printemps spirituel

Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, cette petite si grande Thérèse, consentit à devenir le « jouet de Dieu », comme elle l’écrivait : « Une petite balle de nulle valeur qu’Il pouvait jeter par terre, pousser du pied, percer, laisser dans un coin ou bien presser sur son cœur si cela Lui faisait plaisir. » À quel point sommes-nous prêts à acquiescer, à déposer les armes, à baisser pavillon alors que notre âme est toute encombrée d’un fatras que nous croyons être indispensable, et qui l’est parfois mais pour un instant si court que son sacrifice en vaudrait bien la chandelle, cette chandelle allumée à la Lumière du Christ ? Pour ce faire, il est nécessaire de vivre au-dessus de l’émotionnel, de l’affectif et de l’irrationnel, et de ne rechercher que ce qui vient de Dieu, qu’Il nous révèle dans les Saintes Écritures, dans la Tradition, dans la doctrine, dans les sacrements, et cerise sur le gâteau, dans ce cœur à cœur où l’âme parle à son Dieu comme un ami à son ami, pour reprendre l’expression de saint Ignace de Loyola.

Dans un monde et un contexte, y compris ecclésial parfois, où la falsification fait ses choux gras, il est bon de procéder au grand nettoyage de printemps spirituel, d’enfouir des engrais pour de nouvelles pousses dans notre âme. Au lieu d’être hypnotisés par la peur d’un virus passager parmi des milliers d’autres, nous devrions plutôt nous soucier d’être contagieux, au sens où l’entendait ce jésuite de feu que fut Leonardo Castellani : « Je suis pestilentiellement orthodoxe…, et qui sait, demain, peut-être contagieusement catholique. »

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