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Pourquoi le don de soi est devenu incompréhensible

KINDNESS

Oksana Mizina|Shutterstock

Laurent Fourquet - publié le 07/05/20

Éradiquer le mal en niant qu’il existe est l’obsession de la pensée progressiste. Si aucun obstacle au pouvoir sur l’existant n’est admissible, le sacrifice n’a pas de sens. Le don de soi comme remède au mal est incompréhensible.

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La première lecture de la célébration du Vendredi saint, tirée du livre d’Isaïe, nous dit que « broyé par la souffrance, [le serviteur] a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira » (Is 53, 10).  Dans le catholicisme occidental contemporain, ce passage n’est pas très populaire, pas plus du reste que l’invitation du Christ : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive » (Mt 16, 24) et que les nombreuses références de l’Écriture à la notion de sacrifice. On voit même une certaine théologie réussir la performance paradoxale de présenter le christianisme comme une religion anti-sacrificielle alors même que nous qualifions la messe, ce cœur battant de notre foi, de « saint sacrifice ».

L’anomalie du mal

Tous ces efforts, on le devine, ne sont pas gratuits. Ils visent à laver le christianisme des accusations de dolorisme et de masochisme qui lui sont accolées périodiquement depuis l’origine, mais avec une virulence accrue depuis Nietzsche, et, ainsi, à le « réconcilier » avec la Modernité. Au risque de surprendre, je considère que l’intuition à la base de ces efforts est exacte. Il est vrai, en effet, que la Modernité occidentale se caractérise, pour l’essentiel, par l’horreur répulsive que la notion de sacrifice suscite en elle.

Cette horreur répulsive est liée à la représentation qu’elle se fait du mal. Pour les Lumières, l’humanisme, le progressisme (ces termes étant largement équivalents), le mal n’est qu’une anomalie que les progrès de la science et ceux de l’esprit humain permettront d’effacer définitivement. Pourquoi le mal est-il une anomalie ? Parce qu’il empêche l’homme d’accomplir sa « nature », condition de son bonheur. Cette « nature » consiste à s’approprier toujours plus intensément le monde, à le contrôler toujours plus efficacement et rationnellement, à étendre continûment ses droits sur celui-ci, à le consommer toujours davantage, afin d’en retirer un accroissement général de pouvoir, qui le rassure et le conforte.

Le mal ne passe pas

Dans cette perspective, le mal, qu’il s’agisse du mal physique ou du mal que certains hommes infligent à d’autres hommes, ne peut avoir aucun sens. Il n’y a rien à dire d’intéressant sur le mal qui n’est que du non-être, un empêchement, une privation, qui freine la prise définitive du pouvoir par l’homme. La seule chose que l’on puisse faire avec le mal, c’est l’effacer en identifiant ses causes, scientifiques ou sociales, et en les éradiquant. Éradiquer le mal en recherchant obsessionnellement ses causes, est la grande occupation intellectuelle de notre Modernité.

Identifier et traquer le mal pour l’éradiquer à tout prix, telle est l’autre face, la face obligée, de tout progressisme.

Car, malheureusement, le mal ne passe pas, malgré nos bouffées périodiques d’enthousiasme durant lesquelles nous voulons nous persuader que, cette fois c’est vrai, nous sommes sur le point de tuer le mal. Et comme notre espoir est sans cesse déçu, il faut bien aller chercher des causes qui expliquent que nous rentrions une nouvelle fois bredouilles de notre chasse : si nous avons encore échoué, c’est, au choix, la faute à une nature trop rebelle, à un savoir qui n’est pas encore assez puissant, à des préjugés qu’il faut casser, à un groupe social qui entrave notre marche… Identifier et traquer le mal pour l’éradiquer à tout prix, telle est l’autre face, la face obligée, de tout progressisme.




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On comprend que, pour un tel progressisme, la notion de sacrifice est non pas seulement oiseuse mais surtout odieuse. Pourquoi faudrait-il sacrifier, et même se sacrifier, pourquoi faudrait-il s’opérer volontairement d’une partie de son pouvoir sur les choses et le monde, alors même que la sagesse, qui consiste à être en accord avec sa nature, doit conduire l’homme à rechercher exactement l’inverse, à travers un accroissement permanent de ses facultés de possession du monde ? Et en quoi ce don de soi peut-il être utile, alors que la lutte contre le mal se réduit à une simple opération de police, un peu plus complexe qu’on ne l’avait initialement imaginée, il est vrai ?

Accepter de se découvrir impuissants

C’est ici que le christianisme contemporain, pour retrouver le début de notre questionnement, est confronté à sa destinée. Il peut, en effet, comme nous y invitent de modernes docteurs, abolir sa dimension sacrificielle, renoncer à l’ombre de la croix. Mais, dans ce cas, il se réduira immédiatement à un banal humanisme vaguement spiritualisé et il ne dira plus rien d’autre que ce que notre Modernité répète en permanence, sur un ton alternativement doucereux et hystérique : le but de l’homme, c’est le pouvoir car seul le pouvoir rend heureux et il n’y a rien d’autre à faire avec le mal, la mort, la souffrance, l’injustice qu’à les effacer et, si on n’y parvient pas, à concilier  des opérations de police avec la consigne de taire ces réalités déplaisantes, de façon à nous faire accroire que nous avons réussi, que rien ne viendra plus nous gêner. Traquer les causes du mal et, en même temps, nier que le mal existe encore : telle est bien l’occupation habituelle de nos sociétés.

Parce que le mal nous force à nous découvrir nus et saignants, pauvres et malheureux, la croyance au pouvoir se défait soudain et il n’est plus au pouvoir d’aucune sagesse de nous rassurer…

Mais il existe, pour le christianisme occidental, une autre voie. Cette autre voie oblige à des cheminements paradoxaux, et donc à retrouver le sens du tragique, car ces paradoxes ne se résorbent pas et ne se résorberont jamais. Ils consistent à affirmer que le mal est le mal et, à ce titre, qu’il ne doit jamais être appelé et qu’il doit toujours être combattu ; et, simultanément, qu’à travers le mal advient un sens. Ce sens renvoie chacun d’entre nous à la conscience brûlante de ses péchés, c’est-à-dire de toutes les fois où nous avons cru que le pouvoir nous suffisait pour être, que la domination sur notre monde était assez assurée pour que nous nous passions de Dieu, que la vérité était toute entière dans l’accroissement de soi. Nous ne devrions pas attendre la venue du mal pour acquérir cette conscience brûlante mais c’est une infirmité cruelle de la nature humaine qu’il faille généralement le malheur pour la rendre lucide. Parce que le mal nous force à nous découvrir nus et saignants, pauvres et malheureux, la croyance au pouvoir se défait soudain et il n’est plus au pouvoir d’aucune sagesse de nous rassurer.

Le don de soi

La découverte, à travers le mal, de ce sens qui fait se craqueler le besoin de pouvoir, qui en révèle l’inanité car le pouvoir sur les choses ne sauve pas l’homme, ouvre alors un autre chemin : celui où l’homme s’accomplit non pas dans l’appropriation continue mais dans le don libre et joyeux, dans la dépense résolue de soi au service des autres et de l’univers entier. Il est exact que, vue du point de vue de « l’humanisme » et du « progressisme », actuellement dominants en Occident, cette dépense appauvrit et qu’elle est donc folie puisqu’elle consiste à se défaire d’occasions de pouvoir et de profit, aboutissant ainsi à une diminution de soi. 

Mais cette idéologie ne voit pas, ne peut pas voir, qu’à travers cette dépense sacrificielle, jaillit une forme nouvelle de bonheur.

Pour l’idéologie dominante, ce sacrifice de soi ne peut être qu’une perversion, un renoncement névrotique. Mais cette idéologie ne voit pas, ne peut pas voir, qu’à travers cette dépense sacrificielle, jaillit une forme nouvelle de bonheur. Ce bonheur ne procède plus de la convoitise, de notre puissance d’appropriation dont, habituellement, nous dépendons puisque, croyons-nous, d’elle dépend notre bonheur. Au contraire. Pour l’homme qui s’est placé sous les auspices du don inconditionnel de soi, la sensation de ne plus dépendre du pouvoir sur les choses pour tenter d’exister, l’amour libre et gratuit pour le Créateur et sa création amènent une réconciliation avec soi-même et avec les choses et la certitude qu’en se sauvant, on sauve le monde avec soi.

Le sacrifice librement donné aboutit ainsi à l’inverse du malheur et de la frustration. Mon serviteur réussira, dit le Seigneur… 


POPE AUDIENCE

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Tags:
ChrétienssacrificeSociété
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