Un père abbé cistercien médite pour les chrétiens privés d’offices religieux l’évangile du dimanche des Rameaux et de la Passion. Seule la Source de l’Esprit-Saint, l’eau vive, purifie les eaux mortes où nous errons, laissant Jésus seul dans sa Passion.Curieuse situation : l’Église entre dans la Semaine sainte, sommet de sa vie liturgique, et des millions de personnes sont empêchées de participer à ses célébrations. Quelle époque de persécutions a éloigné autant de chrétiens de leurs églises ? Vous qui êtes aujourd’hui confinés, sachez que les moines, quand ils partiront en procession, cette année sans hôte et sans chrétien de passage, et surtout quand ils recevront le Corps du Seigneur, apporteront à Dieu tout ce que vous souhaitez lui confier. Nous croyons que notre célébration porte des fruits bien au-delà des murs du monastère, bien au-delà de notre propre cœur, et que toute célébration, même très modeste, en lien avec l’Église, touche également les personnes assoiffées de Dieu qui croient en lui, l’espèrent et l’aiment. Et même ceux qui le cherchent sans le savoir…
En célébrant ces mystères dans l’isolement qui nous est imposé, peut-on trouver la lumière dont nous avons besoin pour comprendre ce que Dieu attend de nous ? J’ai parlé de mystères, au pluriel : mystère du salut, mystère de la Passion et de la mort du Sauveur, mystère du mal, mystère de la grâce où nos désirs les plus intimes trouvent leur accomplissement, mystère de la résurrection, celle du Christ et la nôtre.
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Le texte de la Passion entendu le dimanche des Rameaux (Mt 26, 14 à 27, 66), que vous pouvez lire solennellement en famille, met en scène trois catégories d’acteurs : le Christ, le mal, et le peuple — juifs et disciples confondus. Disciples, d’ailleurs, qui sont tous juifs, comme Jésus. Il serait trop commode de séparer, à droite et à gauche de Jésus en croix, ceux qui l’ont crucifié d’un côté et les disciples de l’autre. Car si nous souhaitons résolument nous placer du côté des disciples, il nous faut reconnaître que ceux-ci firent, pour un temps et passivement, cause commune avec le mal.
Quand Jésus annonce que l’un d’eux le livrera, tous se demandent : “Serait-ce moi ?” et ils font bien ! Tous en effet seront scandalisés cette nuit même, à cause de Jésus. Pierre, Jacques et Jean, qui l’ont vu transfiguré, s’endormiront quand Jésus entrera en agonie. Après l’arrestation du Maître, tous l’abandonneront — tous, précise Matthieu, qui en était — et s’enfuiront. Pierre le reniera… N’avaient-ils pas beaucoup reçu, n’avaient-ils pas passé trois longues années avec lui ? Ne l’aimaient-ils pas ? Si, ils l’aimaient. Ce qu’ils feront après la Pentecôte le prouve. Ils l’aimaient, mais ils l’ont laissé seul. Complètement seul dans sa Passion. N’y a-t-il pas des combats qu’un homme ne peut affronter que seul ? Et le Christ, l’homme-Dieu, n’a-t-il pas affronté la Passion en homme ?
Eau vive et eaux mortes
Dans un commentaire de l’évangile de la Samaritaine que nous avons lu le troisième dimanche de carême (Jn 4, 5-42), saint Thomas d’Aquin distingue l’eau vive des eaux mortes, coupées de leur source : “La grâce de l’Esprit-Saint est justement appelée eau vive. Si elle est donnée, c’est avec sa Source […]. Lorsque quelqu’un possède un don sans posséder l’Esprit-Saint lui-même, c’est une eau morte, sans contact avec son principe”. Notre vie, notre destinée se déploie tiraillée entre de deux influences : une Source, intarissable ; et quelqu’un qui veut nous couper de cette source, ce quelqu’un avec lequel Jésus s’est affronté au désert. Ainsi devons-nous engager un combat personnel pour rester irrigué et vivifié par la Source.
Chacun de nous reçoit des dons : dons humains et dons spirituels ; dons pour le service des autres et dons pour le service de Dieu. Pour que ces dons humains et spirituels atteignent leur fin, nous avons besoin jour après jour de rester en contact avec l’Esprit-Saint. Car nos dons, mis en œuvre sans lui, procèdent d’eaux mortes, et dans les eaux mortes pullulent les microbes, c’est bien connu. Mais la Source, l’eau vive, purifie les eaux mortes et tue les microbes. Nous sommes donc invités à rester branchés sur cette Source, que ce soit dans la lutte du monde pour retrouver une vie normale, dans celle de l’Église pour annoncer la Bonne Nouvelle, dans celle de notre communauté monastique qui vous soutient par sa prière, goutte d’eau dans la mer, ou dans la communauté restreinte que vous formez, ou que vous soyez…
N’oublions pas ceci : quand deux ou trois sont réunis au nom du Seigneur, il est au milieu d’eux.
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