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Daniel Tammet : « Avec Lui 2.000 ans ou 1 minute, c’est pareil. C’est maintenant »

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LIONEL BONAVENTURE I AFP

Daniel Tammet.

Marzena Devoud - publié le 09/03/20

De Daniel Tammet, écrivain britannique désigné parmi les "100 génies vivants" en 2007, beaucoup a déjà été dit. Lui-même s’est raconté dans son autobiographie vendue à un million d'exemplaires. Pourtant, son nouveau livre « Fragments de Paradis » surprend. Avec une plume poétique, il y retrace son parcours vers la foi. Un récit captivant.

Daniel Tammet  parle douze langues, y compris l’islandais appris en sept jours. Pourtant la première langue qu’il ait pratiquée naturellement, c’était celle des nombres. C’est d’ailleurs grâce à Pi, son chiffre favori – le seul à se dérouler à l’infini – qu’il est sorti de l’anonymat. Le 14 mars 2004, à Oxford, il parvient à réciter en 5 heures, 9 minutes et 24 secondes, plus de 22.500 décimales de Pi. Sans aucune erreur, le jeune homme réussit un exploit qui bluffe les auditeurs et tous les scientifiques.

Aîné d’une famille de neuf enfants, Daniel Tammet est né le 31 janvier 1979 à Londres. Il est autiste de haut niveau – atteint d’un syndrome d’Asperger, diagnostiqué seulement à l’âge de 25 ans -, mais aussi synesthète, touché par ce phénomène neurologique d’associations des sens qui lui permet de visualiser les mots et les nombres, chacun avec sa texture, sa forme, sa couleur, sa personnalité. Déjà auteur d’un ouvrage autobiographique Embrasser le ciel immense, traduit dans le monde entier, Daniel Tammet raconte dans Fragments de paradis les coulisses de sa conversion et de sa foi. Un récit lumineux sur la quête de sens qui dessine la spiritualité d’un homme du XXIe siècle. Rencontre.

Aleteia : Vous avez été diagnostiqué à l’âge adulte, autiste de haut niveau et synesthète. La synesthésie est pour vous  une source de créativité ?
Daniel Tammet : La synesthésie n’est pas un syndrome comme beaucoup le pensent. Elle est un phénomène neurologique qui implique plusieurs parties du cerveau à la fois et qui leur permet de communiquer entre elles. Une lettre peut avoir alors une couleur, un chiffre peut avoir un visage. La synesthésie peut être en réalité une grande source de créativité, comme par exemple pour le peintre Vassili Kandisky. Il était capable de percevoir plusieurs sens comme étant associés : le sens de l’audition était connecté à celui de la vue. Il pouvait ainsi « voir la musique ». Pour moi, ce phénomène me permet de voir toute une vie foisonnante rien que dans la page d’un livre. Les mots ne sont pas seulement des tâches d’encre. Ils constituent un univers à part entière. Un univers magique, presque divin.

Vous racontez dans Fragments de paradis votre parcours vers la foi. Pourtant vous êtes né dans une famille non croyante. Vos parents se moquaient avec pas mal de sarcasme de ceux qui croyaient en Dieu…
Mes parents n’étaient pas contre la religion. Tout simplement, ils n’avaient pas la foi. Leur façon de se moquer des croyants n’était pas vraiment méchante. C’était plus une manière de vivre. Ils avaient une vie dure. J’étais l’aîné d’une fratrie de neuf enfants. Nous étions très pauvres, sans aucun accès à la culture. Je pense que leur sarcasme était une sorte d’humour noir qui leur permettait de vivoter.

Vous n’avez pas reçu la foi en héritage. Comment est-elle arrivée dans votre vie ?
J’avais la chance – en quelque sorte – d’être dans une bulle. Une bulle autistique liée à mon spectre d’autisme, et poétique en même temps parce qu’elle était connectée à l’Infini. Cette double bulle m’a donné beaucoup de recul vis à vis de mes parents et de mon entourage. Je pouvais voir les choses avec mes propres yeux, sans les préjugés des autres, et ressentir moi-même le mystère de l’existence. Mourir, qu’est-ce que c’est ? Vieillir, qu’est-ce que c’est ? Pourquoi le temps passe-t-il ? La plupart des gens ne se posent pas toutes ces questions. Pour eux, cela fait partie naturellement de l’existence. Pour moi, c’était différent. Toutes ces questions me poussaient sans cesse à reconnaître que la vie est fondamentalement mystérieuse.


Benjamin Lesieur

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Quand vous avez vingt-trois ans, vous découvrez la foi grâce à quelques rencontres déterminantes. Vous décrivez notamment celle d’une étudiante en Lituanie, où vous avez passé un an…
J’avais 19 ans. Je ne savais pas trop quoi faire de ma vie. Comme j’étais autiste, je me sentais de toute façon étranger jusque dans mon propre pays et dans ma propre langue maternelle. Je ressentais un besoin de découvrir d’autres cultures et peut-être de me sentir finalement moins étranger ailleurs. En 1998, je suis parti en Lituanie comme bénévole pour donner des cours d’anglais aux étudiants. Sans rien savoir sur ce pays, j’ai atterri à Kaunas où j’ai vécu un an. Je devais enseigner à un groupe d’étudiantes qui voulaient toutes apprendre l’anglais – c’était quelques années après la chute de l’Union soviétique. Parmi elles, il y avait une jeune femme avec qui j’ai beaucoup parlé. J’ai fini par tisser des liens d’amitié avec elle. Un jour, elle m’a emmené à l’autre bout de la ville pour me montrer “quelque chose”. Nous avons marché jusqu’au théâtre de la ville. Au sol, une plaque en marbre portait le nom de celui qui, à cet endroit, avait sacrifié sa vie pour la lutte pour l’indépendance. Elle m’a raconté que Romas Kalanta voulait devenir prêtre. Il voulait être libre. Il n’avait même pas vingt ans comme moi. Mais il était né de l’autre côté du rideau de fer. Jusqu’alors, j’avais tenu l’existence des églises comme allant de soi : c’était des bâtiments anciens en brique rouge, on ne peut plus ordinaires. Mais à partir de cet instant, j’ai commencé à les voir dans leur beauté et leur fragilité. Je lisais toutes sortes d’appels dans les lignes de leur architecture : à la foi, au courage, à la solidarité, à la quiétude… Ces pierres avaient une langue, elles me parlaient. Et cela m’a bouleversé.

Cela a-t-il été une sorte de révélation ?
Plutôt une prise de conscience. À mon retour en Angleterre, cela m’a amené dans un petit village au bord de la mer où j’ai passé beaucoup de temps à parler avec des personnes croyantes. Un jour, j’ai eu le sentiment que quelque chose se passait en moi. Je me suis rendu compte que je pouvais être l’auteur de ma propre vie. Je pouvais faire le choix d’être porté par quelque chose qui me dépassait et qui me permettait d’avancer. Jusque-là, je n’avais pas eu le sentiment de pouvoir vivre pleinement mon existence : je vivotais, je faisais juste acte de présence. Mais ce jour-là, j’ai dit oui. Cela fait vingt ans que je suis ce cheminement de la foi, grâce auquel j’ai découvert aussi ma vocation d’écrivain. Depuis, chaque livre raconte à sa manière ma rencontre avec l’Infini.

«Avec Jésus, deux mille ans ou une minute, c’est pareil. C’est maintenant.»

Avec votre conversion, vous découvrez Jésus. Vous dites qu’Il est d’abord pour vous un personnage, ensuite un homme dans l’histoire et enfin quelqu’un qui “par sa présence incarne l’Amour et l’Infini”. Que voulez-vous dire ?
J’ai attendu dix ans pour raconter cet Amour-là. Dix ans de réflexion et d’hésitation, parce que cet amour incarné par Jésus n’est pas toujours compris par le grand public. Dans la culture populaire, pour ceux qui ne sont pas croyants, il a souvent l’image de quelqu’un de rustre ou d’un simple prophète… En tout cas, de quelqu’un de très éloigné de notre époque et dans le temps. En effet, deux mille ans nous séparent. Pourtant, pour ceux qui croient, Il est une présence quotidienne, palpable, tangible. Et même une présence profondément émouvante, bouleversante, poétique. Écrire sur l’amour de Jésus était pour moi un défi. Comment trouver les mots pour le décrire alors qu’il y a déjà des mots formidables dans les Évangiles ? Je voulais faire plonger les lecteurs croyants comme les non-croyants dans un récit de vie de Jésus, de ce qui s’est passé il y a deux mille ans mais qui constitue en réalité un moment hors du monde, hors du temps. Avec Lui, deux mille ans ou une minute, c’est pareil. C’est maintenant.


Yann Destal, co fondateur du groupe Modjo

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Comment vivre au XXIe siècle avec Jésus au quotidien ?
C’est une question que je me pose chaque jour. Comment vivre cet amour que témoigne le Christ ? Comment être à la hauteur d’un tel amour ? C’est compliqué à vivre et peut-être encore plus à expliquer. C’est pour cela que j’ai essayé d’y mettre des mots. Étant né sous le spectre autistique, très longtemps je n’ai pas compris le sens de l’amour. Je savais que cela voulait dire être proche de quelqu’un, même être proche physiquement, mais je ne comprenais pas ce que voulait dire “aimer quelqu’un”. Adolescent, je cherchais dans les pièces de Shakespeare, dans des romans ou des poèmes, des exemples d’amour heureux et malheureux pour saisir toutes ces émotions. Mais c’est seulement plus tard, en acceptant de vivre tout simplement ma propre humanité, avec sa part de fragilité et aussi de force, en écoutant aussi les expériences des autres personnes, que j’ai commencé à m’en approcher de jour en jour. Pour moi, c’est comme si chacun avait une pièce de puzzle. En dialoguant les uns avec les autres, on arrive alors à mettre les pièces du puzzle ensemble pour créer une image complète. Cette image complète c’est l’image de Jésus.

«Quand on est né différent, on se rend compte qu’on a un besoin fondamental d’aller vers l’autre et même vers l’Autre dans le sens absolu du terme.»

La foi vous a-t-elle donné du courage pour surmonter votre solitude liée à l’autisme ?
C’est difficile d’expliquer la solitude à ceux qui sont toujours entourés d’amis ou de proches, ils ne ressentent pas forcément le besoin d’aller vers les autres… Quand on est né un peu différent, quand on vit en exil intérieur, on se rend compte qu’on a un besoin fondamental d’aller vers l’autre et même vers l’Autre dans le sens absolu du terme. Étant moi-même très différent, j’étais attiré par la multiplicité des langues étrangères, des cultures, des religions. Je voulais saisir ce qui nous unissait au-delà de la différence. En effet, la foi m’a donné du courage pour sortir de ma bulle et aller à la rencontre des autres. Je n’avais plus peur, j’étais porté.

Vous dites que vivre la foi, c’est vivre avec la beauté et la souffrance à la fois. C’est-à-dire ?
C’est accepter la vie dans sa totalité. Ne pas nier la part sombre comme la part belle de la vie. J’aime bien l’anecdote de cet homme qui, quand quelque chose ne fonctionne pas bien pour lui, se dit “Ah, si seulement je pouvais effacer toutes ces journées où les choses ne vont pas bien…”. C’est ce que je me disais moi-même quand j’étais jeune. Maintenant, à 40 ans, je me dis que je suis heureux d’avoir vécu toutes ces mauvaises journées. Elles font partie de moi. La vie aurait été moins riche sans elles.

Dans les mots, vous voyez des formes, des textures, des couleurs. Chaque mot évoque chez vous une couleur. De quelle couleur est la foi ?
Bleue.

Pourquoi bleue ?
Parce que le mot commence par « f » et la lettre « f » est bleue.

Et Jésus ?
Jésus est pour moi jaune comme le soleil.

Quelle couleur évoque pour vous Marie ?
Comme Marie commence par la lettre « M », elle a la couleur violette. Une couleur très riche qui évoque chez moi quelque chose d’apaisant, de profond. C’est la profondeur.

Et Dieu ?
Dieu, c’est plus intéressant parce qu’il y a certaines lettres qui – comme la lettre « d » – sont incolores. Du coup Dieu n’a pas de couleur. C’est mieux de ne pas avoir de couleur. Les lettres sans couleurs sont beaucoup plus rares que les lettres colorées.

Fragments de paradis
@Les Arènes

Fragments de paradis, de Daniel Tammet, Les Arènes, janvier 2020, 17 euros.

Tags:
autismeConversion
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