La méchanceté fera toujours recette, jusqu’à la purification de toutes choses par Notre Seigneur. Nous savons que nous aurons toujours des pauvres parmi nous, comme le dit le Christ. Nous aurons aussi toujours des méchants, et nous pouvons nous-mêmes tomber dans ce péché terrible. Michel Audiard, le célèbre dialoguiste de cinéma, met dans la bouche d’un de ses personnages, incarné par Lino Ventura dans Les Tontons flingueurs, cette réplique devenue culte : « Les c… ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. » Cette formule lapidaire pourrait s’appliquer parfaitement aux méchants. Lorsqu’ils pointent leur nez quelque part, leur témérité dans l’invective et dans les coups bas est une signature qui ne trompe point.
Le méchant est ancré dans le mal
Le méchant saute par-dessus toutes les limites, tous les obstacles, il pénètre les défenses qui se croyaient assurées et invincibles. Le véritable méchant, celui qui en a fait son fonds de commerce, ne l’est jamais par inadvertance, par distraction, une fois en passant. Il établit sa forteresse sur le sable mouvant de sa méchanceté, cette dernière revêtant des formes diverses, parfois très élaborées et subtiles : médisance, calomnie, trahison. Pour être méchant, il faut être ancré dans le mal car la méchanceté réclame pleine conscience et persistance dans le désir de nuire.
«Le pire méchant est d’ailleurs celui qui s’offusque comme un tartuffe d’user de méchanceté.»
Nul n’est méchant par accident. Il a fallu une pleine et réfléchie décision pour l’embrasser. Il ne s’agit pas ici de ces petites méchancetés passagères, celles dont fera preuve, par exemple, un enfant capricieux ou mal élevé, mais de la méchanceté foncière qui se cache parfois sous un masque apparent de vertu. Le pire méchant est d’ailleurs celui qui s’offusque comme un tartuffe d’user de méchanceté. Il lève les bras et les yeux vers le ciel lorsqu’il en est accusé.
Un aveuglement
La méchanceté est vissée dans le cœur de celui qui s’en sert. Nulle surprise donc à ce que saint Thomas d’Aquin la place au centre de son traité De Malo. Déjà, au Ier siècle avant Jésus-Christ, Publilius Syrus, dans ses Sentences et Maximes, précisait qu’« il n’est jamais plus à craindre la méchanceté que quand elle prend les dehors de la bonté ». Bizarrement, des hommes qui font leur fonds de commerce, durant toute leur existence, sur la méchanceté, tel Voltaire poursuivant de sa hargne la plus cruelle ceux qu’il considérait comme des ennemis à abattre, sont souvent les plus aveugles sur l’origine du mal qui les ronge. Le philosophe de Fernet considérait par exemple que l’homme n’est pas né mauvais et que, s’il est infecté par la méchanceté, la cause ne peut en être que l’infection provoquée par ceux qui dirigent les états. Bien courte analyse. Jean-Jacques Rousseau écrira de mêmes âneries : « Toute méchanceté vient de faiblesse ; l’enfant est méchant que parce qu’il est faible ; rendez-le fort, il sera bon. »
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L’optimisme béat de ces hommes qui avaient rejeté le péché originel et toutes ses conséquences ne va guère de pair avec ce que Dieu dit du salaire du juste et du méchant, notamment dans Les Proberbes de Salomon (X.1-XII.14). Le châtiment tombera sur la tête de celui qui commet l’injustice par sa méchanceté, mais il n’est jamais dit que cette punition serait en cette vie. Voilà pourquoi le méchant, bien souvent, prospère jusqu’à son dernier souffle et accumule les victimes.
La victoire du Christ
Si nous avons le malheur d’approcher des méchants, ou d’être approchés par eux (laissons de côté cette fois-ci le cas de figure où nous serions les méchants…), quelle attitude adopter ? Doit-on, pour se défendre, forger des armes semblables et répondre à la vilenie par la bassesse ? Certes non. Utiliser la méchanceté pour détruire la méchanceté ne fait pas grandir. C’est un signe de faiblesse personnelle qui entretient alors le foyer de la méchanceté et rend cette dernière encore plus violente. Doit-on se laisser faire sans opposer aucune résistance et ainsi collaborer, à notre insu, à l’œuvre de mort du méchant ? Pas plus, car cette passivité attiserait le vice du méchant et conduirait à une spirale sans fin.
Il est préférable, en fait, d’imiter — là comme en toutes choses — Notre Seigneur le Christ. Le peintre Jérôme Bosch a su rendre, dans sa poignante peinture du Portement de Croix, la victoire du Christ humilié par les méchants. Jésus y apparaît cerné de toutes parts par les vauriens que sont ses accusateurs et ceux qui l’ont condamné. Tout un monde grimaçant, éructant, bavant, blasphémant, personnages aux visages déformés par la méchanceté. Le vice se lit toujours sur les visages, dans les regards.