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Haïti, dix ans après le séisme

Vue d'Haïti

Nick Kaiser / DPA / dpa Picture-Alliance

À la périphérie de la capitale haïtienne Port-au-Prince, Canaan a été créée après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, qui a tué plus de 220.000 personnes. Aujourd'hui, environ 300 000 personnes y vivent.

Charles Vaugirard - publié le 28/01/20

Haïti est un pays chrétien traversé par de nombreuses catastrophes naturelles et politiques. Dix ans après le séisme de 2010, les crises sociales et gouvernementales se succèdent sans interruption. Le président actuel veut rétablir un État fort : réussira-t-il ?

Le 12 janvier dernier, Haïti a fait mémoire du séisme qui a ravagé Port-au-Prince dix ans auparavant. Le “12 janvier”, comme disent les Haïtiens pour désigner le cataclysme, a fait plus de 230.000 morts et autant de blessés. À cela s’ajoute les dégâts matériels et économiques.

La catastrophe émeut le monde entier. Une immense mobilisation traverse la planète : tous les pays viennent au chevet d’Haïti. Le monde a les yeux braqués sur ce pays meurtri. Il voit la souffrance, mais il voit aussi la foi d’une nation. Les Haïtiens crient vers Dieu. Non un cri de révolte, mais un cri de détresse, un appel au secours déchirant mais confiant. Un cri tel qu’on en trouve dans l’Ancien Testament : les Haïtiens sont comme les Hébreux, un ancien peuple d’esclaves qui s’est libéré de l’oppression et qui espère le bonheur de la terre promise… qui tarde à venir.

Nombreux sont ceux qui sont édifiés par la foi courageuse et forte de ce peuple. Car les Haïtiens n’en sont pas à leur première épreuve. Haïti a connu beaucoup de catastrophes naturelles, notamment des cyclones, mais surtout des catastrophes politiques. Le séisme du 12 janvier a détruit la capitale, mais le pays était déjà exsangue à cause de son histoire politique récente.

Papa Doc et Baby Doc

Sans remonter trop loin dans le temps, on peut aller jusqu’à la période dite “duvaliériste” : la dictature de François Duvalier, dit Papa Doc, de 1957 à 1971 suivi de celle de son fils Jean-Claude, dit Baby Doc, de 1971 à sa chute en 1986. Période à la fois difficile et stable : le règne de Papa Doc fut particulièrement sanguinaire et engendra une forte émigration des élites intellectuelles et financières d’Haïti, ce qui a causé une chute vertigineuse du PIB en quelques années… Le règne de Baby Doc fut moins difficile, le jeune Président (20 ans !) était davantage un roitelet mérovingien qui laissait le pouvoir effectif à son entourage : sa mère et les chefs de la milice duvaliériste, les tristement célèbres “Tontons macoutes”. La dictature de Baby Doc était un régime corrompu mais stable.

Après sa chute sous la pression populaire, en 1986, une série de gouvernements provisoires se succèdent et sont renversés par un nombre impressionnant de coups d’États. En 1987, une constitution démocratique est élaborée et ratifiée par référendum. Un texte ambitieux, avec une longue déclaration des droits et devoirs des citoyens, et surtout riche de dispositifs visant à protéger Haïti d’un retour de la dictature : interdiction pour un président de faire deux mandats consécutifs, et deux mandats en tout, et surtout bicamérisme égalitaire. Les deux Assemblées parlementaires, la Chambre des députés et le Sénat, ont un pouvoir identique : les lois doivent être votées dans les mêmes termes et le Premier ministre investi par les deux chambres. La désignation du Premier ministre par le président de la République est donc un parcours du combattant, et le multipartisme qui empêche toute majorité nette rend la chose impossible. Un Président élu, fût-il populaire, peut donc très difficilement mener sa politique.

Instabilité permanente

La Constitution est peu appliquée car dans les années 1990, le pays connaît plusieurs coups d’États dont une dictature militaire sanctionnée par la communauté internationale avec un embargo qui aggrave la misère… La décennie 2000 subit une certaine instabilité avec la crise de 2004 qui voit la chute du Président Aristide, une épidémie de kidnapping contre rançon qui sème la terreur dans le pays, et les émeutes de la faim de 2008. À cela s’ajoute une dégradation continue des services publics amorcée depuis les années 1990. Coupures d’électricités quotidiennes, poste défaillante, routes non-entretenues, insécurité permanente, l’État n’assure plus efficacement ses missions et cela se répercute sur toute la société et l’économie haïtienne. L’affaiblissement de l’État est le principal obstacle au développement d’Haïti : une administration faible et un gouvernement paralysé… Ce qui pousse certains Haïtiens à regretter la stabilité, et la sécurité relative des années de Baby Doc. Ce qui en dit long sur leur désarroi et ce qui se comprend.


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C’est dans ce contexte que survient le séisme du 12 janvier 2010. Face à une telle catastrophe, l’État ne peut rien faire, d’autant plus que ce qui reste d’administration est détruit par le cataclysme. Même les Casques bleus présents sur place ne peuvent rien car ils sont touchés eux aussi : leur siège, l’hôtel Christopher, s’est effondré sur eux, tuant les dirigeants de la mission des Nations-unies (MINUSTAH) et un grand nombre de soldats.

Une année sans gouvernement

Le 12 janvier suscite un exceptionnel élan de générosité internationale. L’aide humanitaire est généreuse : l’action humanitaire d’urgence, d’abord, pour soigner les blessés et secourir ceux qui étaient encore coincés sous les décombres. Mais surtout, les aides à la reconstruction sont abondantes. États, associations, ONG, entreprises, personnalités, tout le monde s’engage pour Haïti. Sauf que l’État haïtien n’est pas en mesure de gérer. En 2011, Haïti élit un nouveau Président : Michel Joseph Martelly, un chanteur très populaire adepte d’un type de musique 100% haïtien, le Kompa. Martelly est populaire, il est soutenu à la fois par le peuple et par l’élite économique. Il exprime une volonté politique forte de reconstruction et déclare Haïti open to business. Mais la constitution du pays est tellement rigide, qu’il ne peut pas désigner le Premier ministre qu’il souhaite. Haïti reste un an sans gouvernement. Une solution est finalement trouvée sous pression de la communauté internationale avec la nomination à la primature d’un haut fonctionnaire. Ce qui n’empêche pas d’autres crises politiques et des changements de Premier ministre…

Malgré ces difficultés politiques, la période qui suit le séisme connaît tout de même un début de reconstruction. Les entreprises privées bâtissent des hôtels de luxe pour développer le tourisme, comme par exemple le Marriott. Les infrastructures sont restaurées comme les routes financées par l’Union européenne. Le Président Martelly lance un programme éducatif visant à rendre l’école gratuite et accessible à tous. Il lance aussi le projet de rétablissement de l’Armée dissoute par le Président Aristide dans les années 1990. Martelly conduit une campagne internationale pour que les pays étrangers investissent en Haïti, non pour de l’aide humanitaire mais pour le développement économique, pour du “business”. Le Président finit son mandat en 2016 et après une nouvelle crise électorale, son successeur, l’actuel chef de l’État Jovenel Moïse est élu.

Coup de force institutionnel

Le Président Moïse doit affronter plusieurs périodes de manifestations contre une politique de redressement très impopulaire mais ordonnée par le FMI. Il est notamment critiqué pour la hausse du prix du carburant, vendu à un tarif très bas car subventionné par l’État, et la fin de certains privilèges fiscaux envers certaines entreprises. Tous ces avantages financiers coûtent cher et endettent le pays.




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La dernière et la plus terrible crise est le blocage du pays durant plusieurs mois, fin 2019. Les opposants demandent à Jovenel Moïse de quitter le pouvoir : ils l’accusent, avec son parti le PHTK, d’avoir détourné les colossales sommes d’argents que le Venezuela a investi en Haïti dans le cadre de l’accord PetroCaribe. Les manifestations ont des conséquences désastreuses sur le plan économique : des entreprises font faillite, d’autres sont au bord du gouffre. Tout ce qui est entrepris depuis le séisme semble avoir été malmené… Mais Jovenel Moïse, soutenu par la communauté internationale, résiste au blocage et tente un coup de force : le mandat des parlementaires venant d’arriver à terme, il annonce le 13 janvier dernier qu’ils ne siègeraient plus et que dorénavant il gouvernerait par décrets.

Le Parlement hors-jeu

Le Parlement est donc mis hors-jeu… Moïse va plus loin : il annonce que d’ici la fin de l’année une nouvelle constitution sera proposée aux Haïtiens par référendum. Coup d’État ? Un bon juriste répondra par l’affirmative car le Président ne respecte pas la procédure constitutionnelle. Coup d’éclat ? Une telle opération est peut-être le seul moyen de débloquer le pays. La constitution de 1987 est un carcan qui empêche le gouvernement de gouverner. Or, Haïti a besoin d’un État fort et pour renforcer l’État, il faut d’abord qu’il y ait un gouvernement stable qui ait suffisamment de marge de manœuvre pour conduire sa politique. La réforme de la constitution serait un premier pas. Ensuite, il faut que les services publics et les institutions régaliennes se renforcent.

Nous le voyons bien, la reconstruction d’Haïti après le “12 janvier” ne se limite ni aux bâtiments et aux victimes du cataclysme, ni aux autres dégâts provoqués ce jour-là. Haïti doit se relever de plus de 50 ans de catastrophe politique qui ont ruiné l’État et la société civile. L’avènement de la démocratie et le développement économique ne pourra se faire que lorsque l’État de droit sera rétabli, c’est-à-dire dès qu’il y aura un État fort et donc stable. Le Président Moïse affirme vouloir rétablir cela avec une nouvelle constitution : tiendra-t-il sa promesse ? Et y arrivera-t-il ?


ORPHENAGE HAITI

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