Comment le monopole accordé à la volonté implique l’alliance objective entre la volonté de toute-puissance de la technique et celle des volontés subjectives.Dès lors que l’enfant se présente comme un objectif, réalisable par des moyens techniques, il ne faut pas s’étonner de l’apparition dans le projet de révision de la loi de bioéthique d’une notion radicalement inédite : celle de « parent d’intention », qui se substitue à celle de « parent » tout court, qui ne devient parent qu’une fois l’enfant né. Or cette notion correspond exactement à ce que permet la technique en son plein emploi, puisque l’on peut être « parent d’intention » sans être pour rien dans son enfant : ce qui arrive quand ce dernier est issu d’un double don de gamètes pour être confié à une gestatrice extérieure.
Par rapport à la procréation naturelle, c’est une révolution à 180 degrés, qui permet à la parenté d’intention de devenir la référence, alors qu’elle a pour élément constitutif majeur d’éliminer la filiation. Ce qu’a bien compris le Conseil d’État, au paragraphe 42 de son avis sur le projet de loi, en pointant « l’innovation majeure que représente l’introduction dans le droit de la filiation d’une parentalité par effet de la volonté ».
Droit de vie et de mort
Mais allons plus loin, car ce monopole accordé à la volonté implique l’alliance objective entre la volonté de toute-puissance de la technique et celle des volontés subjectives. Ce n’est donc pas par hasard que l’incipit de la consultation publique sur le futur projet de loi était ainsi libellé : « Quel monde voulons-nous pour demain ? » Comme si le monde lui-même était le produit de notre volonté. Ce n’est pas un hasard non plus si le professeur Jean-Louis Touraine, rapporteur de la mission d’information sur la loi de bioéthique, et animateur engagé des débats en cours, vient de publier un livre au titre révélateur : Donner la vie, choisir sa mort. Éros et Thanatos se trouvent ainsi liés dans un même combat en faveur de l’euthanasie et de la reproduction technicisée de la vie, au nom d’un idéal que l’on peut qualifier de « libertaro-progressiste ».
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Cet idéal animait dès 2001 le sénateur Henri Caillavet, alors président de l’ADMD (« Association pour le droit de mourir dans la dignité »), quand il se démarquait de l’avis n°68 du Comité national consultatif d’éthique portant sur le handicap. Partant du droit de la femme à avorter, il en déduisait le droit pour tout enfant de ne pas naître handicapé en quelque façon (dont le nanisme), aussi le droit de changer de sexe à sa guise, ce qui fait de son éventuelle élimination, par délégation, un suicide par procuration. Ceci au nom de ce même droit de mourir qui permet de réclamer l’euthanasie. Ce qui correspond exactement au type d’humain libéralo-progressiste qui s’érige en sujet de droit tout-puissant, capable de se décaler de sa propre vie pour s’octroyer le droit de naître ou de ne pas naître, le droit de déterminer son propre sexe, le droit de vivre comme il veut aussi longtemps qu’il veut, pour finir avec le droit de mettre techniquement fin à ses jours pour ne pas avoir à mourir de sa « belle mort ».
Libérés de l’engendrement
À l’adage « Pour pouvoir créer, il ne faut pas engendrer », qui est au cœur de la volonté de toute-puissance technicienne, on peut maintenant afficher son corrélat, au cœur de la volonté de toute-puissance des sujets de droit : « Pour pouvoir se créer librement soi-même, il ne faut pas avoir été engendré. » Ni engendré, donc dépendant d’une lignée, ni « assigné » à un sexe. Mais comme il faut néanmoins être né pour exister, on réduira l’engendrement naturel à une insignifiante donne biologique, qui compte pour rien dans la libre auto-construction de soi. D’où l’intérêt de la parenté d’intention, liée à une technique qui permet à des enfants de naître sans que leur origine soit plombée par la transmission de la lignée parentale. Ils seront libres comme l’air…
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Ce discours, on le sait, n’est autre que celui de Sartre, pour qui l’homme n’a pas d’essence mais uniquement une existence, due au libre “pro-jet” de soi-même. Un Sartre qui tenait sa mère pour une vierge et pour qui l’absence de père, vite disparu, l’a dispensé de disposer d’un surmoi. Comme il l’a proclamé dans une formule terrible : « Nous sommes condamnés à être libres. » Ce qui a donné chez Simone de Beauvoir, grand-mère de bien des féministes, le célèbre « On ne naît pas femme, on le devient ». Thèse qui, de nos jours, ne va plus de soi du tout, car sous la pression de l’idéologie du genre, il n’y a rien de plus douteux que l’existence de ce qu’on appelle « femme ».