Il y a exactement vingt ans, le 31 octobre 1999, l’Église catholique, représentée par le cardinal australien Edward Cassidy et la Fédération luthérienne mondiale, représentée par l’évêque luthérien allemand Christian Krause, signaient à Augsbourg une déclaration commune sur la justification par la foi.La déclaration d’Augsbourg était à l’étude depuis 1993. Le texte, établi dans sa forme définitive en 1997 par une commission mixte de théologiens luthériens et catholiques mandatés par leurs autorités ecclésiastiques respectives, a été approuvé ensuite par ces mêmes autorités après une longue réflexion. Le temps mis pour le rédiger s’expliquait par son importance. La justification est la voie du Salut. Cette voie commune découverte entre luthériens et catholiques est celle qui peut mener à Dieu et aux noces éternelles, à l’issue de notre pèlerinage sur terre. Se mettre d’accord sur la façon de comprendre cette voie ne pouvait se mener à la légère. Les mots choisis, les termes communs trouvés conditionnent la manière que nous avons ensuite de vivre notre relation commune et personnelle avec le divin maître. Ce n’était donc pas un accord superficiel, mais essentiel, qui écartait les malentendus sur le rôle joué par la grâce divine, sur la place du péché, sur l’action des hommes comme coopérateurs de la toute-puissance agissante de Dieu. C’était, en somme, se mettre d’accord sur le sens même de la religion comme route qui nous relie à Dieu et nous conduit à lui.
De multiples initiatives
Luthériens et catholiques n’ont pas, ce jour-là, fait disparaître les difficultés fondamentales qui demeuraient sur l’eucharistie, sur le purgatoire, sur le ministère sacerdotal, sur l’autorité du siège pétrinien, sur le rôle de la tradition, ou sur la place de la Vierge Marie dans l’économie du Salut. Ils n’ont pas non plus fait disparaître les points de désaccords soulevés de part et d’autre lors de la confession d’Augsbourg formulée par Luther en 1530, et à l’issue du concile de Trente en 1563. Cette déclaration ne s’inscrivit donc pas dans un affadissement relativiste de la foi, mais fut bien une action puissante de la foi en Dieu, éclairant et effaçant certains malentendus pour se mettre en route vers lui, par la voie étroite.
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Cette déclaration commune faisait suite à de nombreuses initiatives issues tant de l’Église catholique que des Églises réformées. Depuis la fin du XIXe siècle, des mouvements réformés et certains patriarcats orthodoxes réfléchissaient à la création d’une instance de dialogue, qui vit naître le Conseil œcuménique des Églises en 1948. En 1937, soutenus par leurs évêques, catholiques et réformés donnaient naissance au groupe des Dombes, pour une réflexion théologique commune. À Strasbourg en 1963, la fédération luthérienne mondiale créait un groupe de réflexion théologique mixte avec des théologiens catholiques. En 1967, enfin, une commission internationale était créée par le siège de Rome et par la fédération luthérienne. De cette commission naquirent plusieurs documents de travail, dont Église et Justification, publié en 1994, et base de réflexion de la future déclaration commune. Les papes Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI ont multiplié les initiatives mondiales en ce sens, et soutenu les initiatives locales, comme la création en 1981 d’une commission théologique commune entre catholiques et luthériens en RFA.
Les fruits du dialogue
Les fruits portés par ce dialogue, dont la déclaration de 1999 apparaît comme un sommet, ne sont pas négligeables. Outre la fin des anathèmes respectifs qui sont autant d’injures à la volonté de Dieu nous appelant à la paix des cœurs et des intelligences, ces initiatives ont permis de faire fleurir des communautés œcuméniques comme celle de Taizé, ou le Chemin neuf. Par elles, des prêtres et des laïcs vivent leur foi catholique en étroite coopération avec des réformés ou des orthodoxes et approfondissent ensemble l’unique vérité de Dieu, à son service et pour sa gloire.
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Ce dialogue fécond a été approfondi depuis 1999. Durant les années 2000 et 2010, la presque totalité des Églises réformées a approuvé la déclaration d’Augsbourg. Sur le plan particulier, durant le pontificat de Benoît XVI, le retour de certaines communautés de la communion anglicane ou de la communion luthérienne à la pleine unité avec le siège de Rome, ne fut certainement rendu possible que par cet intense dialogue.
Si celui-ci a pour l’instant achoppé avec les orthodoxes pour des réunions définitives, essentiellement pour des causes politiques nationales et non religieuses, on mesure bien, néanmoins sa considérable fécondité.
Retrouver la tunique sans couture
La fadeur que prend parfois, de nos jours, le dialogue avec les autres Églises ne doit pas conduire à l’incrimination des efforts passés, mais plutôt à notre éloignement de ces efforts, par diminution de l’ardeur de la foi et perte du désir de l’unité. Au contraire, il nous faut nous inspirer du chemin parcouru au XXe siècle, par des catholiques fidèles à leur tradition et fermes dans leur foi, au service de l’unité des chrétiens dans le monde, en vue du Salut. À Augsbourg, en 1530, Luther avait proclamé sa « confession de foi » dissidente. À Augsbourg en 1555, les princes allemands avaient entériné le statu quo de la division religieuse et politique. À Augsbourg en 1999, catholiques et Luthériens ont œuvré pour retrouver la tunique sans couture du Christ. Un bel exemple à suivre !
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