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Quand l’Église résistait contre l’élimination des « improductifs »

Clemens August Von Galen

© Giulio Napolitano/AFP

Un portrait du cardinal allemand Clemens August von Galen orne la basilique Saint-Pierre lors de la cérémonie de sa béatification au Vatican le 9 octobre 2005.

Thérèse Puppinck - publié le 09/10/19

Béatifié le 9 octobre 2005 par le pape Benoît XVI, Mgr von Galen fut la pointe de la résistance de l’Église catholique allemande contre « l’élimination des personnes improductives ». Prenant tous les risques, il consacra ses efforts à l’information des fidèles et au-delà, de tout le peuple allemand. La voix prophétique de la conscience ne pouvait pas se taire.

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« La foi ne se réduit pas à un sentiment privé […] mais elle implique la cohérence et le témoignage dans le domaine public en faveur de la vérité, de la justice. » Prononcés par Benoît XVI lors de la béatification de Clemens von Galen le 9 octobre 2005, ces mots acquièrent une résonance toujours plus forte. Celui qui fut évêque de Münster entre 1933 et 1946 est désormais porté à notre vénération en raison de sa fidélité à l’enseignement traditionnel de l’Église, et de ses prises de position claire et forte en faveur de la vie. Le pape Benoît a souhaité nous présenter en exemple l’héroïcité de ses vertus : son esprit de charité et sa résistance à l’injustice d’un régime politique qui se transforme progressivement en totalitarisme.

Toute l’Église résiste

Pendant toute la durée de son épiscopat, Mgr von Galen (1933-1946) suit la montée en puissance d’une idéologie vouée à la culture de mort et profondément anticatholique. Il rejoint en cela la conférence épiscopale allemande qui, dès 1932, déclare illicite l’appartenance au parti nazi. Le programme national-socialiste apparaît en effet incompatible avec la foi catholique et, de plus, les dirigeants du parti manifestent régulièrement leur hostilité envers l’Église. Après un apaisement de quelques mois, le conflit s’intensifie entre les nazis et l’Église catholique. Le caractère totalitaire du régime s’affirme de plus en plus, et la conception générale de la vie humaine développée par la doctrine nationale-socialiste est une antithèse de la pensée catholique. De surcroît, l’action gouvernementale cherche constamment à limiter l’influence de l’Église dans la société, à exclure l’Église de la formation des consciences, et à rejeter l’action religieuse dans la sphère privée. Cela se manifeste notamment par la fermeture progressive de 15.000 écoles confessionnelles, la suppression des associations et des journaux religieux, l’arrestation de plus de 1.500 prêtres et religieux, le saccage de plusieurs évêchés par la Gestapo, ainsi que par des procès scandaleux montés artificiellement contre le clergé.


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L’appel de Pie XI

Face à la gravité de la situation, le pape Pie XI publie en 1937 une encyclique, Mit brennender Sorge (« Avec une brûlante inquiétude »). Exceptionnellement rédigé en langue vernaculaire en raison de son caractère politique et afin de permettre sa diffusion immédiate, ce texte dénonce les persécutions dont souffrent les catholiques allemands. Il condamne également les différents éléments de l’idéologie nationale-socialiste, notamment l’hostilité envers l’Ancien Testament, le refus d’une morale objective universelle et du droit naturel. Au contraire, l’encyclique rappelle le lien indissoluble entre le droit et la morale, entre la morale et la religion. Elle souligne également les conséquences désastreuses de la négation d’un droit naturel, qui entraîne, entre autres, la totale subordination de l’individu à l’État. Enfin, le Pape invite les catholiques allemands à rester fermes dans la foi et dans la fidélité au magistère afin de pouvoir affronter le plus sereinement possible la persécution. Pour pallier toute tentative de censure, l’encyclique est secrètement transmise aux évêques allemands. Le père Thierry Knecht, dans sa biographie de Mgr von Galen (Parole et Silence, 2007), nous raconte que le vicaire général de Francfort duplique le texte de nuit, et le fait directement parvenir aux curés, avec ordre de le cacher dans le tabernacle. L’encyclique est ensuite lue pendant la messe dominicale.

« Néfaste doctrine totalitaire »

Clemens von Galen, lui aussi, perçoit rapidement les dangers du nazisme. Il n’hésite pas à s’opposer ouvertement à un État qui s’immisce au sein des familles, et même des consciences. Dans sa lettre de Carême de l’année 1934, il dénonce le caractère religieux de cette idéologie qu’il qualifie de « néfaste doctrine totalitaire ». Il met particulièrement en garde les parents, et leur demande de veiller sur leurs enfants, car les livres d’Alfred Rosenberg, le principal théoricien du nazisme, sont obligatoirement enseignés dans toutes les écoles. Au mois de juillet 1935, lors d’un rassemblement nazi, Rosenberg se rend à Münster et prononce un violent discours contre l’évêque de la ville, espérant le discréditer. Cependant, les catholiques restent soudés autour de leur pasteur et organisent même une vaste manifestation de solidarité.


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En 1936, Mgr von Galen expose à ses fidèles les limites de l’obéissance à l’autorité civile et la primauté de la liberté de conscience : « Dieu veut nous donner aussi le discernement et la force héroïque pour que jamais, par égoïsme ou par crainte des hommes, nous ne consentions au péché, salissant notre conscience pour gagner ou conserver la faveur des puissants mortels. » Certes, il ne fait là que reprendre les enseignements du catéchisme, mais, dans le contexte de l’époque, ces paroles sont un appel direct à la résistance contre le pouvoir injuste du totalitarisme. D’ailleurs la Gestapo de n’y trompe pas puisque c’est à ce moment qu’elle ouvre une fiche von Galen.

Les fidèles mal informés

Au début de la guerre, l’épiscopat allemand hésite quant aux actions à mener face aux dirigeants politiques. La majorité des évêques suit le président de la conférence épiscopale, qui se bat exclusivement sur le terrain du droit, envoyant des notes juridiques au gouvernement, mais souhaitant malgré tout maintenir le dialogue, et se gardant de toute déclaration publique. Mgr von Galen constate que les protestations écrites ne reçoivent que très peu de réponses et n’influencent en rien la politique nazie. Plus grave encore, elles sont complètement ignorées des fidèles, qui, de ce fait, ne connaissent pas la position de leurs évêques. Ils sont ainsi laissés dans l’ignorance et ne savent pas où est leur devoir de chrétien. Au sein du clergé, de plus en plus de voix s’élèvent cependant pour dénoncer les crimes du régime, mais ces prêtres et religieux sont tout de suite arrêtés, déportés, et leur résistance n’est guère connue car les canaux de communication internes à l’Église ont disparu.


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Mgr von Galen estime qu’il est temps d’intervenir publiquement, le dimanche, en chaire, afin de dénoncer les atteintes à la dignité humaine et à la liberté de conscience. Il pense en effet qu’une opposition plus offensive, appuyée sur le peuple, peut se révéler plus efficace. Et surtout, il considère que son devoir de pasteur est d’informer ses fidèles. Ainsi, aux mois de juillet et août 1941, Clemens von Galen prononce trois sermons pour dénoncer, d’une part les confiscations des couvents et l’expulsion des religieux, mais aussi l’euthanasie en masse des malades déclarés incurables, euthanasie qui se pratique depuis le mois d’août 1939 en vertu d’un programme d’action appelé Aktion T4. Les personnes handicapées mentales, considérées à la fois incurables et improductives, sont les premières victimes de ce programme. En tant que représentant du Christ du terre, von Galen a compris que les plus faibles sont les plus chéris de Dieu, et il considère que toute personne handicapée est sacrée, car sa souffrance et sa dépendance sont le reflet de la souffrance et de la vulnérabilité du Christ sur la croix.

Le dangereux sermon du 3 août 1941

Certains passages de son sermon du 3 août 1941 sont particulièrement explicites :

« Il s’agit d’hommes et de femmes, nos prochains, nos frères, nos sœurs ! De pauvres êtres humains, des êtres humains malades. Ils sont improductifs, si vous voulez… Mais cela signifie-t-il qu’ils ont perdu le droit de vivre ? As-tu, ai-je le droit de vivre seulement aussi longtemps que nous sommes productifs, aussi longtemps que nous sommes reconnus par d’autres comme productifs ? Si l’on pose et met en pratique le principe selon lequel les hommes sont autorisés à tuer leur prochain improductif, alors malheur à nous tous, car nous deviendrons vieux et séniles […] Alors aucun homme ne sera en sûreté : n’importe quelle commission pourra le mettre sur la liste des personnes improductives qui, dans son jugement, sont devenues indignes de vivre. Et il n’y aura aucune police pour le protéger, lui, aucun tribunal pour venger son meurtre et pour amener ses meurtriers à la justice. Qui pourra alors avoir une quelconque confiance dans un médecin ? Il pourrait signaler un patient comme improductif et des instructions pour le tuer pourraient être alors données. »

Mgr von Galen sait qu’en dénonçant les crimes nazis il risque sa vie. Il est prêt à toute éventualité, et garde à la sacristie une petite valise avec des effets indispensables, dans le cas où la Gestapo, alors omniprésente, l’arrêterait à sa descente de chaire. Ses sermons ont immédiatement un retentissement considérable : devant l’indignation générale, Aktion T4 est officiellement stoppé le 23 août. Traduits en plusieurs langues, ces textes sont diffusés partout, aussi bien par les catholiques que par les protestants et les juifs. Les Alliés les impriment et les larguent à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires au-dessus des villes allemandes. Même si l’élimination des personnes incurables et improductives reprend secrètement, von Galen, après cette attaque frontale, est considéré comme un homme extrêmement dangereux par les dirigeants politiques qui réclament son exécution. Cependant, ne voulant pas le transformer en martyr pour la population catholique, Hitler décide de surseoir à son arrestation. Jusqu’en 1945, Mgr von Galen échappe à plusieurs tentatives d’enlèvements.

Un homme de prière

Pie XII se réjouit particulièrement des courageuses interventions de l’évêque de Münster. Dans une lettre à Mgr von Preysing, alors évêque de Berlin, il engage les autres évêques allemands à faire preuve d’autant de pugnacité, rappelant que le sort de l’Église d’Allemagne est en partie entre leurs mains. En témoignage d’admiration pour son courage, pour son dévouement à la justice et à la vérité, Pie XII élèvera Clemens von Galen au cardinalat le 18 février 1946.




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Mgr von Galen n’était pas un homme particulièrement brillant intellectuellement, ni particulièrement savant en matière de science politique. Il était même parfois un peu méprisé par ses confrères, en raison de son attachement à la pastorale traditionnelle, de sa résistance face aux innovations liturgiques, et de son manque d’intérêt pour la théologie spéculative. Clemens était simplement un homme de prière. Sa proximité avec le Christ, vécue dans l’oraison quotidienne et la méditation des mystères du chapelet, lui donna la conscience claire de son devoir ainsi que le courage nécessaire pour l’accomplir. Celui qu’on appelle le lion de Münster avait conscience de sa faiblesse et de sa fragilité, mais il avait la certitude que le Christ était là, toujours, à ses côtés, pour l’encourager et le soutenir.

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