Depuis plusieurs semaines, l’esplanade de la cathédrale de Chartres suscite le débat autour de son futur projet d’aménagement. Si l’arrivée devant le joyau gothique et l’éblouissement de la première vue constituent un enjeu de taille, la polémique actuelle esquive une nécessaire réflexion.« La cathédrale ne dominera plus l’étroite esplanade, elle sera emprisonnée par une dalle en pente, véritable ouvrage d’art qui tiendra du parking souterrain, » lit-on dans Le Figaro qui parle de « verrue en vue ». Un autre article en ligne titre « Chartres, défigurée ? » avant de détailler qu’un « un projet prévoit d’emprisonner la cathédrale par une dalle en pente. La cathédrale, visible depuis des kilomètres comme le savent les pèlerins qui traversent la Beauce, sera enlaidie par ce projet architectural moderne qui décevra non seulement les pèlerins à leur arrivée, mais aussi les habitants et les touristes. » La Tribune de l’Art suit également le dossier de près et plus de 5.000 internautes ont signé une pétition contre le projet d’aménagement du parvis de la cathédrale. Qu’il est bon de mesurer ainsi le rayonnement de Chartres et l’attachement des Français à l’une de ses plus belles cathédrales. Sur Facebook, des pèlerins proposent même d’arriver en gilet jaune le jour de la Pentecôte.
Un projet loin d’être achevé
Mais de quoi est-il question vraiment et quelles sont les intentions de la municipalité à l’initiative du projet ? « Jamais cet espace n’a été laissé autant de temps à l’abandon, il est dégradé, les arbres sont en désordre, il comporte des friches urbaines, » répond à Aleteia le maire de Chartres, Jean-Pierre Gorges. En réalité le projet d’aménagement qui fait tant débat est évolutif et en cours de consultation. À ce jour, le cabinet d’architecte est désigné, de même que le programme. Le conseil municipal vient de lancer un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) dont les candidats aideront à affiner la faisabilité technique, l’équilibre économique, le contenu culturel, la réalisation esthétique. Rien n’est donc encore inscrit dans le marbre à ce jour.
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De plus, les vues virtuelles proposées qui ont concentré les réactions, doivent être considérées comme ce qu’elles sont : des recherches techniques, des esquisses architecturales, des vues d’architectes, dont on peut certes débattre et juger de l’esthétique, mais sans aucune autre valeur qu’un état d’avancement d’études, aucunement arrêtées à ce jour. « Certes les avis sont divergents, il y a beaucoup d’émotion, le lieu est tellement fort pour les Chartrains et pour l’Église », souligne Mgr Christory, évêque de Chartres, « néanmoins Jean-Pierre Gorges n’est pas inconscient et sait monter des projets conséquents. Il est aussi catholique et souhaite que l’Église soit acteur dans sa ville, il me l’a dit ». Et de proposer à ceux qui se passionnent pour ce projet de faire part de leurs contributions. « Ce projet engage pour des décennies, il faut le réfléchir ensemble. » Le maire joint par téléphone confirme également la parfaite entente avec le diocèse et déclare que « l’évêque sera bien sûr autour de la table pour discuter du parvis ».
Une rénovation nécessaire
À l’origine du projet municipal, une réflexion d’abord urbanistique. Les abords actuels de la cathédrale ne sont pas à la hauteur de ce joyau. Comme cela est engagé dans tout le cœur de ville, le cloître Notre-Dame doit redevenir l’écrin qu’il mérite, plus accessible, plus accueillant, plus valorisant du patrimoine. Monseigneur Christory le confirme « Ce n’est pas du luxe de refaire ce parvis, la chaussée n’est pas à la hauteur du bâtiment et il manque un pavage de qualité. » C’est en ce sens que la ville souhaite engager un embellissement de l’espace public qui entoure la cathédrale.
Le projet publié en 2016 par le cabinet d’architecte retenu
Mais à Chartres, bimillénaire, pas de sol sans sous-sol ! Devant la cathédrale, l’idée — ancienne — de valoriser la haute histoire de Chartres en dégageant les fouilles de l’ancienne cité gallo-romaine sur laquelle a jailli la cathédrale a de nouveau émergé. De plus, le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur régissant le secteur sauvegardé réclame, sur l’esplanade, la reconstitution de fronts bâtis formant les rues qui mènent à la cathédrale, tout en préservant des cônes de vues. Voilà pourquoi Jean-Pierre Gorges se veut rassurant « Le projet comporte une pente douce justement pour ne pas bâtir devant la cathédrale, ce qui maintient à l’esplanade sa fonction d’accueil de grands rassemblements tels que les pèlerinages. »
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Une équation à résoudre
Il s’agit donc, pour tout aménagement en ce lieu, de résoudre l’équation suivante : bâtir sans complètement rebâtir. C’est ce nœud que le cabinet Forma6 tente de dénouer, en proposant de retrouver le niveau des fouilles et de les rendre accessibles et visitables sous forme d’un chantier permanent, et en recouvrant l’ensemble d’une dalle formant une esplanade qui conservera sa fonction, offrira un nouveau point de vue magnifiant la cathédrale, s’élèvera légèrement en son extrémité pour recréer les rues comme l’impose le secteur sauvegardé, et offrira un large espace sous-terrain pouvant servir d’espace muséographique du passé de la ville et de la cathédrale. « Peut-être le musée de l’évêché qui appartient à la mairie pourrait remplir ce rôle ? » s’interroge l’évêque réservé sur la notion de centre d’interprétation : « Ce n’est pas clair. Que va-t-on réinterpréter et au service de qui va être ce lieu ? »
Ce mot « interprétation » est en réalité un terme technique de la DRAC corrige le maire « il s’agit d’un centre culturel et touristique. » Le successeur de Fulbert souhaiterait par ailleurs de larges escaliers permettant de monter sur le parvis pour avoir la vue : « Un parvis se prend par le fond et se traverse pour aller vers et non pas le contraire ». Jean-Pierre Gorges approuve cette demande. Si les hauteurs, les matériaux, les circulations mériteront évidemment une réflexion approfondie et une concertation en leur temps, à ce stade, la ville a parfaitement conscience de l’extrême attention à porter à un tel projet en un tel lieu, pour qu’il s’agenouille devant Notre-Dame de Chartres pour la magnifier.
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