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La doctrine sociale de l’Église peut-elle aider notre société à se reconstruire ?

EMMANUEL MACRON; POLITIQUE

© Ludovic MARIN / POOL / AFP

Jacques Bichot - publié le 23/01/19

La crise des Gilets jaunes révèle un mécontentement profond sur la manière dont les Français sont structurellement gouvernés et administrés. L’enseignement de la doctrine sociale de l’Église sur le principe de subsidiarité pourrait aider la société à se reconstruire.

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La saga des Gilets jaunes dure toujours. Ce qui, lors de la première manifestation, pouvait passer pour une réaction épidermique à quelques mesures maladroites, se révèle le signe d’un profond mécontentement sur la façon dont la France est gouvernée. Il convient donc d’examiner soigneusement ce qui « cloche », ce qui pousse ces manifestants1 plutôt sympathiques à exprimer leur déception et même leur désarroi. La doctrine sociale de l’Église peut nous y aider, car elle traite, entre autres choses, les questions relatives au pouvoir et à l’usage qui devrait en être fait, avec une insistance particulière sur les avantages de la subsidiarité.

Pourquoi tant de Français ont-ils « marre » de la façon dont ils sont gouvernés ?

Les deux gouttes d’eau qui ont fait déborder le vase sont en rapport avec l’automobile. Ce fut d’abord la limitation de vitesse à 80 km/h sur environ 400.000 km de routes nationales et départementales à double sens dépourvues de séparateur. Puis la hausse de la taxe sur le gazole, en principe pour des raisons écologiques.




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La limitation de vitesse massive et uniforme contrevenait évidemment au principe de subsidiarité : c’était un parfait exemple de décision totalement centralisée, ne laissant aucun rôle aux autorités locales ni aux services techniques (nos ingénieurs des Ponts-et-Chaussées ne sont pourtant pas des imbéciles !) pour apprécier où il convenait, le cas échéant, de diminuer la vitesse limite et, pourquoi pas, rechercher aussi l’existence éventuelle de tronçons où rouler à 100 km/h ne présenterait guère de danger.

Chaque personne est capable de prendre ses responsabilités

Mais il y a plus. L’encyclique Quadragesimo anno n’indique pas seulement qu’il est malvenu de décider au plus haut niveau ce qui peut l’être par des autorités de rang plus modestes, plus proches du « terrain ». Elle commence par dire : « On ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur propre initiative et par leurs propres moyens. » Autrement dit, le principe de subsidiarité fait d’abord et avant tout appel à la jugeote de chacun d’entre nous ; il considère chaque personne comme responsable et capable, sauf exception, de prendre ses responsabilités.


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L’existence même d’une limitation de vitesse imposée par une autorité politique ou administrative est donc questionnée par ce principe important de la doctrine sociale de l’Église, comme toute limitation apportée à la liberté individuelle. Dans Centesimus annus, quelques décennies après son prédécesseur Pie XI, Jean Paul II soutint la responsabilité personnelle avec un argument auquel l’économiste aurait mauvaise grâce de ne pas adhérer : « En intervenant directement et en privant la société de ses responsabilités, l’État de l’assistance provoque la déperdition des forces humaines, l’hypertrophie des appareils publics, animés par une logique bureaucratique plus que par la préoccupation d’être au service des usagers, avec une croissance énorme des dépenses. »

La liberté de croissance dans la vérité et la bonté

Fichtre ! Voilà Emmanuel Macron, son gouvernement et ses soutiens parlementaires, et bien des prédécesseurs de ce beau monde, classés parmi les partisans de la « logique bureaucratique » qui ne fait aucun cas de la capacité de jugement des simples particuliers. Nos papes n’apprécient pas plus que Tocqueville ce « pouvoir immense et tutélaire […] absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux » qui veut être « l’unique agent et le seul arbitre » de notre bonheur ». Et les Gilets jaunes partagent sans doute tout simplement, sans le savoir, l’idée très positive que le Catéchisme de l’Église catholique donne du libre arbitre : « La liberté est le pouvoir, enraciné dans la raison et la volonté, d’agir ou de ne pas agir, de faire ceci ou cela, de poser ainsi par soi-même des actions délibérées. Par le libre arbitre chacun dispose de soi. La liberté est en l’homme une force de croissance et de maturation dans la vérité et la bonté. »


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Il semblerait qu’Emmanuel Macron ait commencé à comprendre quand le président des maires ruraux du Lot, lors de la toute récente visite élyséenne aux maires de ce département, lui a dit en substance : « Redonnez du pouvoir aux maires ! Les mairies sont devenues des coquilles vides. » En réponse, le président de la République a en effet admis la possibilité de « remettre la décision au plus près du terrain ».

Reste que les Gilets jaunes, semblables en cela à la plupart de leurs compatriotes, sont agacés par la tendance des gouvernements successifs à vouloir toujours orienter le comportement de chacun, comme si dans les palais nationaux on savait toujours mieux que Monsieur Dupont et que Madame Durand ce qui est bon pour eux et pour leur famille.

Peut-on gouverner un pays sans essayer de tout régenter ?

Quand on examine les milliers d’articles de loi, de décrets et d’arrêtés qui sont édictés chaque année dans le but d’influencer notre comportement dans le sens jugé souhaitable par les autorités, il y a de quoi être effaré. Les entreprises, comme les ménages, sont prises dans un filet de règlements destinés à leur dicter une partie conséquente de leur conduite. Et quand l’obligation est jugée impossible, inutile ou trop difficile à mettre en œuvre, l’État passe à l’incitation.


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Par exemple, l’investissement dans les PME non cotées en bourse est jugé utile et méritoire par les pouvoirs publics ; au lieu d’alléger les contraintes et complications qui pèsent sur ces entreprises, contraintes et complications qui dissuadent les personnes qui auraient pu envisager d’en créer une, et celles susceptibles d’investir dans sa création ou son développement, Bercy propose aux investisseurs potentiels des « avantages fiscaux ». Quand l’ISF était en vigueur, ces investisseurs avaient le choix entre une réduction d’ISF et une réduction d’impôt sur le revenu ; maintenant il reste la seconde.

La manie de l’incitation fiscale

La même manie d’incitation fiscale sévit pour l’investissement dans certains types de programmes immobiliers. Les programmes Duflot et Pinel sont, dans ce domaine, les derniers en date d’une longue série. Et les dépenses pour économiser l’énergie bénéficient elles aussi de « dispositifs de défiscalisation », notamment le « crédit d’impôt pour la transition énergétique ». Etc., etc.


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Ces différents dispositifs, qui alourdissent le travail administratif des particuliers et mobilisent de nombreux fonctionnaires, correspondent à une forme particulière de nudge, expression qui désigne « la méthode douce pour inspirer la bonne décision » ou, en termes plus savants, « l’architecture du choix ». Cette méthode est utilisée par les grandes surfaces quand elles organisent leurs rayons de façon que les clients soient attirés sans s’en rendre compte vers les rayonnages où se trouvent les articles à forte marge. Ce n’est pas joli-joli que des entreprises se conduisent de cette manière, alors pourquoi serait-ce bien quand c’est l’État qui essaye d’influencer « en douceur » notre comportement ?

Laisser faire les Français

L’article 354 du Compendium de la doctrine sociale de l’Église aborde ce type de questions en s’appuyant, là encore, sur l’encyclique Centesimus annus de Jean Paul II. Citons-le : « L’intervention publique devra s’en tenir à des critères d’équité, de rationalité et d’efficacité, et ne pas se substituer à l’action des individus, ce qui serait contraire à leur droit à la liberté économique. Dans ce cas, l’État devient délétère pour la société. » Autrement dit, s’il est normal que l’État subventionne certaines activités parce qu’elles produisent ce que les économistes appellent des « externalités positives »2, il ne doit pas le faire s’il s’agit seulement de faire prévaloir les préférences idéologiques de certains hommes politiques.


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Non seulement on peut, mais on doit essayer de gouverner sans intervenir sans cesse dans les choix des citoyens. Le Président Pompidou avait dit cela à ses ministres et hauts-fonctionnaires de manière très carrée, très directe : « Arrêtez d’em… les Français. » Les Gilets jaunes reprennent, à leur manière, cette philosophie. Idéalisons-les, en ne conservant de leur mouvement que ce qu’il a de positif : ils veulent bien servir la France, ils ne veulent pas servir un maître. Jésus, lui aussi, fut un serviteur qui n’eut jamais de maître.


{1} Nous ne parlerons pas ici des casseurs qui, comme à leur habitude, profitent des manifestations pour commettre des violences, des actes de vandalisme et des pillages.

{2} On parle d’externalité lorsqu’une action produit des effets, positifs ou négatifs, pour des agents qu’elle ne concerne en principe pas. Par exemple, la construction d’une autre maison à proximité de la mienne entraîne pour moi certains désagréments : bruits, poussières, etc. Celui qui fait construire n’a évidemment pas comme objectif de me nuire, mais néanmoins il créée une nuisance, une « externalité négative ». Si, ensuite, il plante de beaux arbres dont la vue me réjouira, il me fera plaisir sans que ce soit spécifiquement son but : c’est une externalité positive.

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Bien commungilets jaunesPolitique
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