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Les « chants du silence » des peintres de la Nativité

THE NEW-BORN

Georges de La Tour (1593–1652)

Georges de la Tour, nouveau-né.

Dominique Ponnau - publié le 23/12/18

La Tour, Zurbaran, Botticelli, trois regards mystiques qui chantent en silence la joie toute pure de Noël "pour ne pas réveiller l’Enfant qui dort". Un message brûlant de lumière qui apporte la paix, même dans les temps troublés de l’Histoire, car c’est la naissance du salut du monde.

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Noël ! Entendrons-nous le chant de la candeur ? Ouvrirons-nous les yeux sur le mystère ? Non pour le dévoiler : pour nous en émerveiller sans fin ? Les voûtes de la cathédrale de Reims retentissaient autrefois quand se renouvelait la naissance de l’Élu de Dieu. « Noël !  Noël ! » s’écriait le peuple quand on lui présentait, sacré, le nouveau roi.

Le sacre du Roi de la terre

Jeanne d’Arc, armée de la seule « Sagesse, qui confond la sagesse des sages », le savait bien, qui fit sacrer le « Gentil Dauphin », et en fit vraiment ce jour-là le « Lieutenant de Dieu, qui est le Roi de France ». Jeanne savait que le vrai roi de France, le Roi des Rois de la terre, était Dieu, l’Homme-Dieu. Un enfant pauvre né dans la froidure d’une grotte en Judée. Le Roi par excellence. Le modèle des Rois. Elle savait, elle qui, avec tout le peuple, criait « Noël ! » au sacre de son roi humain, que Noël était l’apanage du seul Roi divin, renversant toute hiérarchie visible en cette terre, Roi divin promettant à ceux qui, comme elle, le sacrent par la fidélité, la sainteté de leur vie, une fin terrestre analogue à la sienne, colline du Golgotha ou bûcher de Rouen. Tragique est le destin du Roi de gloire ; tragique est le destin de ses vrais disciples. Tragique d’incandescence éternelle. Ainsi les carmélites de Compiègne ornèrent d’éternelle blancheur le « petit Roi » qui leur fut offert, de cellule en cellule, selon la coutume du carmel, en la nuit de leur ultime pèlerinage. Avec la bergère de Domrémy et à sa suite, elles rejoignirent, par le chemin du témoignage sanglant comme le sien, le Roi éternel. Toutes, passant par la grande épreuve, « elles lavèrent leurs vêtements et les blanchirent dans le sang de l’Agneau ».

Le chant des hommes et des anges

Parler de Noël en ce jour sur un ton si grave, est-ce trouver le juste ton ? Noël n’est-il pas le temps de la joie toute pure ? N’y a-t-il pas assez de malheurs comme cela ? Laissez-nous goûter en ce jour une goutte de pur bonheur ! Demain viendra assez tôt ! Oui ! Vous avez raison ! J’écoutais, cette après-midi, en prévision de notre promenade, la merveilleuse composition de Marc-Antoine Charpentier pour la nuit de Noël. Entendez-vous le chant des hommes et des anges, entrelacs de tendresse, ruissellements cristallins d’amour réconcilié entre la terre et le Ciel ? Une pureté si limpide est la source des larmes d’allégresse. Écoutez ! Écoutez le silence du ciel constellé. Prêtez l’oreille. Dans ce doux murmure, percevez-vous le tintement de la cloche lointaine qui annonce minuit, la minuit d’où jaillit soudain l’éblouissement devant le Nouveau-Né ? Mais un éblouissement chantant, d’un chant frère du silence pour ne pas éveiller l’Enfant qui dort. « Ô Infans ! Ô Deus ! Ô Salvator noster ! Ô Enfant ! Ô Dieu ! Ô notre Sauveur… » Que ces bergers agenouillés sont tendres ! Qu’ils veillent à protéger le merveilleux Enfant ! Plus tard lui viendra l’épreuve de vivre ! Et de mourir ! Pour l’instant, il dort encore de son premier sommeil. Que notre chant murmuré lui soit une berceuse ! « Do, do, l’Enfant do… »

La douceur de Noël est grave, comme l’Éternité, « Comme des pas muets qui marchent sur des mousses »… Verlaine, comme tous les vrais enfants, est lavé, baptisé, dans la candeur divine de cet Enfant. Son linge est moins propre que celui de la bergère brûlée et des religieuses décapitées. C’est le linge d’un très mauvais garçon, pas plus mauvais pourtant que ne le fut François Villon. Leur linge sale à ces deux- là, la Sainte Vierge le lavera. Et déjà, il lui suffit pour cela de leur montrer son petit gars.

La lumière de La Tour sur l’Enfant

La Tour l’a vu le premier. Voyez-vous son Nouveau-Né ? Que Marie est belle dans sa robe de drap rouge, en pleine nuit ! Que son calme visage est pur, qui, les yeux baissés, contemple ce petit bonhomme emmailloté de laine blanche d’où ne sortent que son front, ses joues, son petit nez retroussé. Il dort. Il n’a même pas crié. Chut !… Mais nul ne dit mot ! Sa maman lui est un berceau. Près d’elle une paysanne plus âgée, la grand’mère peut-être, profil d’infinie tendresse, mais retenue, dans la pénombre, réserve la lumière de la bougie à la jeune fille et au petit garçon, immobile, parfaitement paisible en son premier sommeil, comme s’il ne devait plus s’éveiller, lui qui n’a pas encore ouvert les yeux. À l’orée de la vie, dans la nuit, le Nouveau-Né est veillé par ces deux amours, celui de la maman et celui de l’aïeule. Que pourrait-il lui arriver ? Les ravages de la guerre de Trente ans qui détruit sa Lorraine ? Le supplice qui l’attend quand il sera grand ? Aujourd’hui, en cette nuit, avec sa grand’mère et sa maman, dormant d’un doux sommeil de certitude, il n’a rien à craindre. Lui, la divine Lumière, reçoit la lumière d’un lumignon dont l’éclaire l’aïeule aimante.

Mais qui est-il, au fond ? L’Enfant Jésus ? Bien sûr ! Bien sûr ? Rien ne le dit. Sauf l’évidence. L’évidence ? En quel enfant autant qu’en cet Enfant se révèle, en un silence si aimant, une paix si profonde ? En quel enfant autant qu’en cet Enfant rayonne la divinité de l’humaine enfance ?

THE NEW-BORN
Georges de La Tour (1593–1652)

Le Nouveau-Né (Georges de La Tour), musée des Beaux-Arts de Rennes

Les deux agneaux de Zurbaran

Mais le voici qui s’est éveillé. Zurbaran, en même temps qu’aux bergers, nous le présente. Au-dessus de la paille de la crèche, presque à même le sol, posé presque nu, ou plutôt exposé sur un grand linge d’une éclatante blancheur, comme la blancheur d’un linceul — le sien peut-être ? — il nous regarde d’un beau regard d’innocence. Ce très bel enfant nous est offert, comme l’agneau aux pattes liées qui dort à ses pieds. Ces deux agneaux n’en sont qu’un. Celui de la mangeoire est celui de Noël, celui du sol est celui de Pâques. Déjà ! Mais point de lieu, en ce lieu, pour la douleur. Place seulement pour la joie émerveillée. Celle des bergers bien sûr, venus à l’appel des anges, celle de la petite paysanne coquine, que son grand frère souriant tient par l’épaule, et qui nous associe franchement à son rire d’allégresse. Elle n’est pas venue les mains vides : elle a apporté un grand panier rempli d’œufs. Bien sûr, ce sont des œufs de Pâques, des œufs d’immortalité. Leur symbole est présent ! Mais ce sont aussi des œufs pour l’omelette : cette pauvre et Sainte Famille aura peut-être faim ! Nous les dégusterons tous ensemble.

ADORATION OF THE SHEPHERDS
Francisco de Zurbaran VIA Wikiart

Le silence de Joseph et le concert des anges

Marie, vêtue de rose, telle une aurore, a le plus beau, le plus pur visage qui soit. Tout en déployant le linge pour nous offrir en cet enfant le Dieu Vivant, elle baisse les yeux et L’adore.  De l’autre côté de la crèche, agenouillé en compagnie d’un vieux berger, le jeune Joseph, les mains croisées sur son cœur, adore lui aussi l’Enfant divin, son enfant. Il a fermé les yeux et contemple le mystère du seul regard de l’âme. Le beau jeune homme Joseph est un contemplatif. Son émerveillement est tout intérieur, comme celui des chartreux pour qui ce tableau fut peint. Soyons un peu chartreux, nous aussi, à son image. Et, comme lui, écoutons les anges ! Ils sont partout : au ciel, sur terre. Au son des instruments, comme ceux de Charpentier, ils chantent la gloire de Dieu dans les hauteurs et sur terre la paix pour ses bien-aimés, les hommes bien sûr, mais aussi les agneaux, les bœufs, les ânes, les œufs, les colonnes, comme celle dont on voit ici le pied et sur laquelle Marie s’appuya quand son temps fut venu.

Ces anges du ciel et de la terre forment un unique concert. Au ciel, dans une échancrure de soleil matutinal, angelots de chanter. Légèrement plus bas, jouant de la harpe, un immense et bel archange vêtu d’une tunique amarante comme une lumière d’aurore, Gabriel en personne. En doutez-vous ? Mais non ! C’est le même archange, revêtu de la même splendeur amarante, qui, selon Zurbaran, vint déjà annoncer, voici neuf mois, l’événement qui changera le monde et advient aujourd’hui. Or, remarquez bien ceci : le concert angélique unissant la terre et le ciel a pour chef d’orchestre un bel ange vêtu de vert, derrière Marie, les yeux levés vers les hauteurs célestes mais posé sur notre sol terrestre.

Cette liturgie de l’adoration

Comprenez ! Le monde connaîtra encore bien des malheurs. Jeanne sera brûlée, les carmélites décapitées, l’Enfant divin crucifié. Mais aujourd’hui, mais cette nuit, par sa beauté fragile, par ses parents, par les bergers, par la naissance du « soleil levant venu nous visiter », il nous apprend ce que chantent les anges : « Le Monde est sauvé ! »

Sauvé est à jamais le monde, depuis cette nuit-là. Sauvé dans l’humilité de la crèche, où Marie, immense adorante agenouillée devant « le fruit béni de ses entrailles », paraît plus grande que l’univers. Au-dessus d’elle, sur le toit de chaume, trois anges, à genoux eux aussi, l’un blanc comme la Foi, l’autre rouge comme l’Amour, le troisième vert comme l’Espérance, adorent le mystère aujourd’hui advenu. Encore au-dessus d’eux, en ronde gracieuse dans le soleil et dans l’azur, douze anges, autant que les Apôtres et que les Tribus d’Israël, se couronnent de rameaux d’olivier ou suspendent leur titre royal dans l’air, enroulant dans leurs phylactères les louanges de la « Mère de Dieu », de l’ »Épouse de Dieu », de la « Reine de l’Univers ». De chaque côté de l’humble demeure d’Emmanuel qui vient de naître, trois Rois-Mages, trois bergers, parmi les anges, s’unissent à cette liturgie de l’Adoration, où se lisaient autrefois, effacées maintenant au regard corporel, la Parole de Dieu telle que la proféra Jean-Baptiste, « voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde », tandis que tout en bas, de nouveau, les trois anges de la Foi, de l’Amour, de l’Espérance étreignent les trois hommes qui représentent toute l’Humanité sauvée. Auprès d’eux, dans le ventre du roc, deux démons se cachent, « pour un temps, deux temps et la moitié d’un temps », selon les prédictions du Livre de l’Apocalypse pour la durée de ce monde transitoire, où Satan n’est pas jugulé pour toujours, mais le sera à la fin ultime du temps.

Un nouveau temps, selon Botticelli

Sandro Botticelli a vive conscience de ce mystère indicible, où s’engage celui du temps serti dans celui de l’éternité, celui de tous les temps jusqu’à la fin des temps, jusqu’au seuil de l’au-delà du temps. Il l’écrit en lettres grecques, d’une syntaxe hésitante (mais qu’importe : il s’agit d’inscrire son message dans l’universel, tant grec que latin !), au-dessus de la scène tout entière, dans ce tableau — à vrai dire, bien plus qu’un tableau ! — qui fut, semble-t-il son œuvre ultime et qu’il garda chez lui. Se référant aux chapitres IX, XII et XIII de l’Apocalypse, nourri du souvenir des imprécations de Savonarole, brûlé vif deux ans plus tôt, effrayé des ravages que la furia francese fait subir à l’Italie, conscient de l’abîme qui sépare en apparence la joie de l’homme sauvé par son Rédempteur et la tragédie renouvelée du mal que secrète son cœur encore étranger à la conversion, y compris dans l’Église, le peintre nous donne à lire, au-dessus de la crèche, un message brûlant de vérité, non seulement pour son temps, mais pour le nôtre aussi, peut-être plus brûlant aujourd’hui que jamais : « Moi, Sandro, j’ai exécuté ce tableau à la fin de l’année 1500… » date d’un nouveau siècle, d’un nouveau temps, au seuil de l’Éternité. Quelles que soient, dans leur multiplicité, les interprétations de ce message d’outre-tombe, inscrit par Botticelli peu avant sa mort tout au sommet de sa Nativité mystique, où se chante l’allégresse des anges et des hommes sauvés, elles nous invitent à méditer que Noël, le grave, le très doux Noël, instant unique du Salut du monde, n’en est pas la fin ultime, mais le premier Avènement de Dieu en la chair, en l’attente de son second Avènement, dont « nul ne connaît ni le jour ni l’heure ». Comme le dit Pascal, « il ne faut pas dormir pendant ce temps-là ».

MYSTIC NATIVITY
Sandro Botticelli (1445–1510)

La Nativité mystique de Sandro Botticelli est à la National Gallery de Londres
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Artsnativite
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