Leonard Cohen, décédé le 7 novembre 2016 à l’âge de 82 ans, laisse une œuvre considérable. On commence à publier ses textes inédits, puisés à même les archives, comme The Flame, paru en français aux éd. du Seuil. Il écrit : « Je prie pour avoir le courage / À la fin / De voir la mort venir / En amie ». Ce n’est pas de ce livre que je veux vous parler, mais d’un autre qui risque de passer sous le radar tant le titre détonne dans nos sociétés sécularisées : Leonard Cohen et son Dieu.
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L’auteur-compositeur de Montréal est connu à travers le monde pour ses chansons au style incisif et obscur. Nous oublions que bon nombre de celles-ci évoquent sa quête religieuse. Les spécialistes eux-mêmes ont souvent passé à côté de ses thèmes religieux, peut-être parce qu’ils n’avaient pas les clés pour décrypter le message spirituel du poète. Il faut dire que la quête religieuse n’est pas très à la mode dans l’industrie du spectacle, le mot Dieu étant difficile à cerner, à définir, comme la poésie.
Dominique Cerbelaud, théologien dominicain et admirateur du poète devenu son ami, décortique cet aspect fondamental dans le corpus cohénien. En bon exégète de ses chansons, il nous ouvre la porte de ses inspirations religieuses, qu’elles viennent de la Bible ou d’ailleurs. Je salue sa traduction française de larges fragments des chansons d’une vingtaine d’albums de l’artiste, où l’aspect religieux se dévoile à travers métaphores et symboles qui surprendront bon nombre d’amateurs.
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L’ouvrage est divisé en huit chapitres où sont abordés les religions, sagesses et initiations, le monde des récits bibliques, la figure de Jésus, la sainteté chrétienne, la liturgie et la mystique juive, l’expérience de Dieu. Ce sont autant d’étapes d’un itinéraire singulier qui commence en force en 1967 avec l’album Songs of Leonard Cohen pour se terminer en 2016 avec son ultime au revoir “You Want it Darker”.
L’auteur, qui comme moi fut séduit dès l’adolescence par la chanson “Suzanne”, a rencontré plusieurs fois “Lenny” qu’il considérait comme son “frère”. Son étude de 120 pages marque le sceau de cette proximité sans être complaisante. On voit Cohen (nom hébreu qui veut dire “prêtre”) dialoguer avec les religions et spiritualités, tout en évitant le syncrétisme, restant conscient des différences, sans renier son identité juive. Évidemment, le monde biblique occupe une place centrale dans le corpus de ses chansons, évoquant ici et là les figures de Caïn, Abraham, Isaac, Moïse, Samson, David, Qohélet, et surtout Jésus, en croix sur le Calvaire, qui lui répond dans “Passing through” : “parlons d’amour et non de haine / il reste de l’ouvrage il se fait tard / j’ai si peu de temps et je ne suis là qu’en passant”.
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Ce Jésus navigateur dans Suzanne devient un maître spirituel: “tu veux voyager avec lui / tu veux voyager en aveugle / et tu penses pouvoir lui faire confiance / car il a touché ton corps parfait avec son esprit”. Quelle étonnante déclaration pour un auteur juif ! Jusqu’à cet aveu dans le touchant “Treaty” de son dernier album : “j’aimerais qu’il y ait un pacte que nous puissions signer / peu m’importe qui prend cette colline sanglante”.
Cohen surprend en se penchant sur des figures de la sainteté chrétienne, en commençant par Marie, femme juive reconnue par les chrétiens comme la mère de Dieu, “Our Lady of Solitude” : “chère Dame, reine de la solitude / je te remercie de tout cœur / pour m’avoir retenu si près de toi / quand tant d’autres, oh tant d’autres restaient loin”. Il y a aussi des chansons consacrées à Jeanne d’Arc et à Bernadette de Lourdes, “un jour elle a vu la reine du ciel / et la vision s’est gravée dans son âme”.