Les Français sont capables du meilleur quand ils sont bien gouvernés. Pour Xavier Patier, l’échec des réformes est, en France, toujours un échec de la méthode politique.Le mouvement des Gilets jaunes a obtenu un premier résultat : conforter l’idée reçue selon laquelle la France est un pays décidément très difficile à gouverner. Les Français savent faire la Révolution, nous rappelle-t-on, mais pas une réforme. Ils savent casser les codes mais sont inaptes aux compromis. Ils savent se mobiliser pour manifester, pas pour construire. Par-dessus le marché, ils sont ignares en économie. Bref, ce sont “des Gaulois réfractaires aux changement” pour reprendre la saillie du président Macron lancée l’été dernier depuis un pays étranger, formule insultante pour le peuple qui venait de l’élire justement pour qu’il conduise le changement, mot malheureux qui a joué un rôle dans l’exaspération qui alors se levait.
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Les miracles français
Mais est-ce vrai ? Les Français sont-ils inaptes à la discipline collective ? Sont-ils incapables de se réformer ? Sont-ils ignares en économie ? L’histoire permet d’en douter. Quel peuple plus que le nôtre a su prouver sa capacité d’adaptation, donner son travail, verser son argent et même son sang pour la cause nationale ? Par quel miracle l’indemnité de cinq milliards de francs or versée à la Prusse à partir de 1871 a-t-elle été acquittée en moins de trois ans ? Par quel miracle la France a-t-elle fourni au début du XXe siècle la moitié des brevets d’invention déposés dans le monde, plus que les États-Unis, l’Allemagne et la Grande-Bretagne réunis ? Par quel miracle la France des années 1960 a-t-elle connu (aux côtés du Japon) l’évolution la plus rapide, la durée annuelle du travail la plus longue, le taux d’investissement le plus élevé, et donc la croissance la plus forte des pays de l’OCDE ? Le Français ont-ils tant changé en si peu d’années ? Le président Macron serait-il fondé à affirmer, comme Louis XIV après la bataille d’Audenarde : “Je ne reconnais plus les Français” ?
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Les Français n’ont guère changé, en réalité. S’ils étaient devenus inaptes à l’effort, nos grands groupes ne se seraient pas modernisés aussi vite ces dernières années — et d’abord dans les unités de production situées en France. Notre tissu économique n’aurait pas survécu aux chocs de l’euro surévalué, aux entraves de la réglementation européenne, à la folie fiscale, ni aux effets mortifères de la mondialisation. Nos collectivités locales n’auraient pas évité la faillite. Notre armée n’aurait pas géré la fin du service national et la baisse spectaculaire de ses moyens sans faire parler d’elle. Nos villes moyennes, qui souffrent temporairement de langueur, seraient mortes pour de bon. Aurions-nous encore des agriculteurs ? Aurions-nous encore des artisans ?
L’échec de la méthode
Il n’y a pas deux catégories de Français, les citoyens et les salariés, les électeurs et les travailleurs. Ce sont bien les mêmes Français qui se cabrent contre les réformes annoncées par le gouvernement et mettent en œuvre, avec une agilité exemplaire, celles, souvent plus radicales, conduites dans leur entreprise grande ou petite, publique ou privée. Cela doit nous conduire à nous interroger non pas sur la capacité des Français à se réformer, mais plutôt sur l’incapacité de la classe politique à les gouverner. Car pendant que le monde politique s’enlisait depuis trente ans jusqu’à disqualifier l’idée même d’autorité, le monde privé trouvait son chemin. Les collectivités locales aussi le trouvaient, et même les administrations centrales de l’État, qui sans faire la une des journaux accomplissaient des mues remarquables, imposées par le numérique, certes, mais pilotées avec intelligence.
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L’échec du macronisme n’est pas un échec d’un genre si nouveau qu’on le dit. Il ne doit rien à la prise de pouvoir par les technocrates. Il doit tout à la démission des politiques. Les technocrates ne font que leur métier. Il faut reconnaître que faute d’un pilotage politique lisible, nos fonctionnaires ont particulièrement brillé depuis les années 1970 : ils ont développé le chiffre d’affaire de l’État et ses parts de marché, c’est à dire — hélas ! — nos impôt et le secteur public. Ils ont fait ce qu’on leur avait appris à faire, par défaut d’une vision politique qui les aurait orientés vers une autre direction. L’échec des réformes est, en France, toujours un échec de la méthode politique. Dans chaque période où le peuple se met en colère contre les technocrates, le poujadisme sous la IVe République, le Front National pendant les cohabitations, les populismes sous François Hollande, se dissimule une faillite au sommet de l’État et nulle part ailleurs.
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Le désir de pouvoir inspiré
La France n’est pas ingouvernable : elle est “ingouvernée”. La solidité des institutions de la Ve République donne une rente de situation à la médiocrité. À un pouvoir débile, elle laisse un délai de grâce. À un pouvoir inspiré, elle offre du temps utile. La promesse politique de Macron ne disait pas autre chose. Un Président capable de sentir le peuple, de l’écouter, de l’entraîner, c’est au fond ce que les Français attendaient en 2017. Ils voulaient qu’on leur donne du désir et non pas qu’on leur fasse la leçon. Avec les Gilets jaunes, les Français découvrent qu’il y a pire que le régime des partis : le régime sans parti. Il n’est sans doute pas trop tard pour revenir à ce que la vieille politique avait de meilleur, à l’époque où l’on savait se parler : prendre son temps pour aller vite, penser ensemble, offrir du rêve et donner envie.