Le château du Val-Fleury à Gif-sur-Yvette (Essonne) accueille du 10 mai au 3 juillet des œuvres de Marcelle Gallois, artiste de talent devenue mère Geneviève après une conversion fulgurante. Portrait d’une religieuse atypique.
Issue d’une famille bourgeoise de Montbéliard, Geneviève Gallois, née en 1888, est ballottée dès son plus jeune âge entre une mère très pieuse et un père anti-clérical. Adolescente sensible, elle se passionne rapidement pour l’art et le dessin et décide d’entrer à l’École des Beaux-arts de Montpellier. Elle poursuit son cursus à Paris et c’est là-bas, inspirée par l’effervescence de la capitale, que son talent va s’épanouir.
Un conversion fulgurante
Il s’avère, en effet, que la jeune fille est très douée et ses aptitudes se font vite remarquer. Attirée par le portrait satirique, elle commence à croquer ses premiers dessins humoristiques et s’applique à rechercher son propre style tout en s’inspirant de l’un des plus célèbres satiristes de l’époque, Toulouse-Lautrec. De 1911 à 1917, elle expose au Salon des dessinateurs humoristes et dans de nombreuses villes européennes. Mais celle qui était promise à un bel avenir voit sa vie changer radicalement du jour au lendemain. En proie à une crise spirituelle soudaine, Geneviève se convertit au catholicisme. Se sentant appelée à la vie monastique, elle délaisse sa carrière prometteuse et rentre au couvent. Elle rejoint en 1917 les bénédictines de la rue Monsieur à Paris. Elle a alors 29 ans.
Une passion retrouvée
Au début de sa vie monastique, Geneviève a un semblant d’activité artistique. Elle rejoint l’atelier d’ornements liturgiques mais on est loin des portraits satiriques qu’elle avait l’habitude de produire. Le couvent n’est, de toute manière, pas le lieu où son talent artistique peut s’épanouir, la règle bénédictine prônant avant tout les travaux manuels. Les sœurs voient d’ailleurs d’un mauvais œil les talents de cette jeune postulante et son caractère fort n’arrange rien. Si cette entrée soudaine dans les ordres semble la couper définitivement du monde de l’art, la vie va pourtant en décider autrement. Le 13 décembre 1931, le docteur Paul Alexandre, féru d’art et premier collectionneur de Modigliani, découvre son travail par hasard dans une vente de charité. Sûr d’être en présence d’un talent exceptionnel, il entre en contact avec les sœurs du couvent afin d’encourager Geneviève à reprendre le crayon. À force de persuasion, le docteur arrive enfin à ses fins ! Geneviève est autorisée à renouer avec la pratique artistique lors de quelques temps libres. Dans une lettre qu’elle lui envoie, elle écrit, heureuse : “Votre opinion a fait poids et soulevé la lourde opposition qui m’écrasait”.
“Ce que j’ai à exprimer, en art, est ce corps à corps avec Dieu”
Pendant plus de vingt ans, Geneviève entretiendra une relation épistolaire avec cet homme, qui, plus qu’un mécène, deviendra un ami fidèle, l’encourageant à produire malgré les réticences du couvent. Réticences qui vont jusqu’à mettre en péril la prononciation des ses vœux définitifs. Elle devra en effet attendre 1939 pour devenir pleinement religieuse, bloquée par une partie de la communauté qui n’accepte pas son activité artistique. Mais son ami Paul Alexandre, qu’elle rencontre pour la toute première fois le jour de ses vœux, la pousse à ne pas se laisser intimider et à continuer sur cette voie, conscient du trésor artistique qui se cache en elle. En 1942, il lui passe d’ailleurs commande d’une série de dessins sur la vie conventuelle. Elle produira au total plus de 150 dessins illustrant les activités matérielles et spirituelles rythmant la vie des religieuses : Épluchage des légumes en communauté, On désherbe, Après Matines, Dimanche : vacate et videte, Le jour de la vêture, On repasse… Capable de saisir l’immédiateté d’un geste et d’une attitude, le style caricatural et humoristique est toujours bien visible, mais il est désormais entièrement tourné vers Dieu et les activités religieuses dont elle cherche à éclairer le sens profond.
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Si les sœurs n’aimaient pas se voir portraiturer ainsi, vexées par ce style trop peu académique, Geneviève resta cependant toute sa vie respectueuse dans chacune de ses représentations. Toute son œuvre était emplie d’une mystique chrétienne qu’elle seule, sans doute, était capable de comprendre. « Pourquoi est-on heureux dans la vie religieuse
? Est-ce parce qu’on est délivré de la condition humaine et de sa progéniture de misères et de travaux ? Eh non ! Serait-ce parce que l’on plane au-dessus ? Qu’on cire ses souliers comme des anges ? Qu’on écosse les pois comme les Chérubins ? Eh non ! On vivote sa petite vie peineuse. Mais sous ces pauvres travaux est un lac de joie, qui boit à la Source de joie que vous avez enfantée au monde, écrivait-elle. Et d’ajouter : “Pour moi, l’art se fond de plus en plus avec la vie, et la vie se fond de plus en plus avec Dieu ; elle descend toujours plus profond, au fond de moi-même, dans un trou qui n’a pas de fond ; et tout ce que j’ai à exprimer, en art, est ce corps à corps avec Dieu, cette lutte pour éliminer tout ce qui sépare du cœur à cœur avec Lui”.
Décédée en 1962, Mère Geneviève Gallois laisse derrière elle une œuvre qui aura marqué son époque. Son succès était tel que de nombreux artistes venaient jusqu’au couvent pour la rencontrer, à l’image de l’artiste française Marie Laurencin, subjuguée par sa série d’eaux fortes, Via Crucis, relatant les dernières heures du Christ. Plus de cinquante après sa disparition, sa figure et ses œuvres continuent toujours de fasciner le milieu artistique comme en témoigne les nombreuses expositions qui lui sont consacrées. Si son entrée au couvent laissait imaginer la fin d’une grande carrière artistique et un retour à l’anonymat, force est de constater qu’elle aura eu, au contraire, tout l’effet inverse.
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Pratique
5, allée du Val Fleury, Gif-sur-Yvettes.
Du mardi au samedi de 14h à 18h,
Dimanche de 14h à 18h30.
Entrée libre.
Fermeture exceptionnelle : pont de l'Ascension du 26 au 29 mai 2022.