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Questions sur une hypothétique enquête parlementaire

SENAT PARIS

Juan Camilo Ospina M I Shutterstock

Jean Duchesne - publié le 11/10/18

Certains sénateurs voudraient créer une commission d’enquête sur les « crimes de pédophilie dans l’Église ». Ce projet soulève bien des questions.

1. Qu’est-ce qui justifie ce projet ?

Depuis quelque temps, des « affaires » de prêtres ayant abusé d’enfants se sont multipliées dans les médias. Mais ce ne sont pas les seules dans le domaine sexuel. À ce compte-là, pourquoi ne pas demander aux parlementaires de s’intéresser aussi à ce que l’on appelait autrefois le « droit de cuissage » et aujourd’hui le harcèlement sur les lieux de travail, suite à la campagne « Balance ton porc » ? Ou encore aux viols au sein de familles ?

2. Pourquoi la pédophilie dans l’Église seulement ?

Certes, c’est sans doute là qu’est le plus flagrant et choquant l’écart ou la contradiction entre la raison d’être d’une institution et des agissements qui renient tout ce qu’elle représente et promeut. Mais il serait hypocrite de feindre de croire que l’Église a le monopole de ce genre de scandale. Alors, pendant qu’on y est, pourquoi ne pas enquêter partout où il arrive que des prédateurs investis d’une autorité éducative s’en prennent à des jeunes ?

3. D’où est venue cette idée d’une enquête parlementaire ?

L’initiative est venue du journal Témoignage chrétien, qui a lancé le 30 septembre une pétition demandant une enquête parlementaire pour « faire toute la transparence sur les crimes de pédophilie et leur dissimulation dans l’Église catholique ». Cette pétition aurait recueilli près de 30 000 signatures. Peut-on considérer cela comme un mouvement de masse ?




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4. Qui soutient cette initiative ?

Témoignage chrétien a ensuite commandé un sondage, qui a trouvé que neuf catholiques sur dix sont favorables à une telle enquête. L’étude a été réalisée en deux jours (4 et 5 octobre 2018), auprès de 1 014 Français interrogés sur Internet, les catholiques représentant 60 % de l’échantillon et les « pratiquants » 16 %, par Odoxa, « institut indépendant », fondé en 2014. La question n’est pas tellement de savoir si ces chiffres sont fiables. Car il faut plutôt se demander si les personnes interrogées à distance étaient bien informées de ce qu’est une enquête parlementaire.

5. Une enquête sur la pédophilie est-elle de la compétence du Parlement ?

Les enquêtes parlementaires ont été nombreuses sous les Troisième et Quatrième Républiques. Elles visaient à contrôler et censurer l’action du gouvernement. La Cinquième a strictement limité ce recours, afin d’exclure tout empiètement sur les pouvoirs non seulement exécutif, mais encore judiciaire. En l’occurrence, le gouvernement n’a rien à craindre, mais la commission parlementaire, si elle est constituée, ne pourra s’intéresser à aucune « affaire » relevant de la justice, ce qui est précisément le cas des crimes de pédophilie. Dans ces conditions, il est légitime de se demander ce que la commission parlementaire trouvera à se mettre sous la dent, en dehors de témoignages unilatéraux et tous à charge, et quels remèdes ou solutions pourront alors être préconisés.

6. Pourquoi le Sénat plutôt que la Chambre des Députés ?

Des députés socialistes figuraient parmi les premiers signataires de la pétition de Témoignage chrétien. Mais un parti d’opposition n’a le droit de demander la constitution que d’une seule commission d’enquête par an, et les députés du groupe à l’Assemblée nationale n’avaient apparemment pas envie de griller pour si peu leur unique cartouche. La « patate chaude » a donc été refilée aux sénateurs socialistes. Reste que leur demande d’enquête parlementaire devra être approuvée d’abord par le ministre de la Justice, puis par la commission des lois du Sénat, où les socialistes sont loin d’être majoritaires.


CEF

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7. Alors que penser ?

On pourrait, avec un brin d’optimisme, supposer qu’une investigation menée par une commission d’élus du peuple permettrait de mesurer l’ampleur du fléau de la pédophilie, et pas seulement dans l’Église. Mais « l’affaire Benalla » l’été dernier a montré les limites d’une commission d’enquête parlementaire. Celle constituée en 2006 suite à l’affaire d’Outreau (condamnations pour pédophilie, avec un prêtre parmi les accusés ensuite acquittés) a débouché sur des lois remédiant à certains dysfonctionnements de la machine judiciaire. Mais on ne voit pas quelle législation pourrait prévenir les abus sexuels, ni quelles améliorations pourraient être apportées au dispositif judiciaire qui existe pour sanctionner ces crimes.

Les séances des commissions d’enquête parlementaires peuvent être publiques et sont abondamment médiatisées. Elles tendent à transformer l’opinion publique en juge qui se prononce en fonction des images qu’on lui présente et des émotions que celles-ci suscitent. En l’occurrence, le risque est de donner à croire que la pédophilie est un mal omniprésent et de jeter le soupçon sur tous les éducateurs, qu’ils soient prêtres ou non, et chrétiens ou pas.

La bonne question à se poser est de savoir si ce fléau est uniquement dû à des institutions qui se protègent en accordant à leurs membres l’impunité, ou bien s’il vient aussi, voire d’abord de faiblesses et de contradictions dans la nature humaine ou dans la morale « reçue ».

8. Un problème de société ?

La pédophilie inspire une révulsion unanime — du moins officiellement. En fait, la limite s’avère bien arbitraire et fragile. Deux adultes consentants peuvent faire n’importe quoi. Mais atteindre l’âge de 18 ans suffit-il à devenir du jour au lendemain capable de consentir ? Dans un monde porté à tout « érotiser » et à laisser croire que l’activité sexuelle, quelle qu’elle soit, n’est pas seulement un droit mais même un devoir, la réflexion est à reprendre sur la nécessaire réciprocité du désir, sur le corps, sur l’amour, sur le respect de l’autre surtout s’il est plus faible, sur la maîtrise de toutes les pulsions (et pas seulement libidineuses)…

Comment faire comprendre que le sexe est trop important et trop beau pour être banalisé en consommation addictive ? Une société qui se flatte d’approuver toutes les formes de relations sexuelles et condamne la pédophilie n’a-t-elle pas un problème de cohérence dans ses fondements ? La frontière entre le bien et le mal se situe-t-elle entre la pédophilie et tout le reste, ou bien entre toutes les formes de jouissance égoïste et la concrétisation charnelle d’une union bien plus profonde, bien plus durable – et féconde ?

9. Que peut faire l’Église ?

Il va de soi que, non seulement le clergé, mais encore tous les catholiques ne doivent plus mésinterpréter la parole de Jésus : « Malheur à celui par qui le scandale arrive ! » (Matthieu 18, 7). Des abominations ont été couvertes pour éviter que le scandale n’arrive. Comme ça, malheur à personne… Gravissime erreur ! Ce n’est pas de l’indignation publique que le Christ parlait, mais du mal souvent irréparable fait à des innocents qui croyaient en lui. L’Église semble déterminée à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour empêcher que ces scandales se reproduisent, pour livrer les coupables à la justice des hommes et leur appliquer les rigueurs de son propre droit (dit canonique), ainsi que pour rendre la parole aux victimes en les écoutant. Mais il lui revient aussi de montrer, par l’enseignement et le témoignage, ce qu’est, pour l’homme et la femme dans le mariage, l’amour, dont la pédophilie, même si elle est particulièrement hideuse et révoltante, n’est hélas pas la seule négation.


CHURCH ALSACE

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Tags:
ÉgliseparlementPédophilie
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