Pendant le synode pour les jeunes qui se tiendra à Rome au début de l’automne, l’abbaye de Solesmes ouvrira ses portes le 6 octobre à tous les jeunes qui se posent la question de la vocation ou s’interrogent sur la vie quotidienne d’un moine. Rencontre avec frère Emmanuel Vaillant, moine de Solesmes.
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Le 6 octobre l’abbaye de Solesmes (Sarthe) ouvrira ses portes pour faire découvrir la vie monastique. Le frère Emmanuel Vaillant, moine de Solesmes, répond aux questions les plus susceptibles de pouvoir éclairer une jeune femme ou un jeune homme interpellés par la vie religieuse ou qui s’interrogent sur sa foi tout simplement.
Aleteia : Quel est le but de cette journée du 6 octobre ?
Frère Emmanuel : Ce jour-là, les abbayes bénédictines de Saint-Pierre (moines) et de Sainte-Cécile (moniales) de Solesmes organisent pour les jeunes (lycéens, étudiants et jeunes professionnels, garçons et filles de 16 à 30 ans) une journée de découverte de la vie monastique. Cette initiative est une réponse à une invitation de l’Abbé primat de la Confédération bénédictine, à Rome, d’apporter une contribution monastique en écho à la prochaine assemblée générale du Synode des évêques sur le thème « Les jeunes, la vie chrétienne et le discernement ». Plus concrètement, en France, la Conférence monastique de France et le Service des moniales, qui regroupent l’ensemble des monastères de vie contemplative masculins et féminins, ont relayé cet appel en proposant à tous les monastères qui le souhaitent d’organiser une telle journée à la même date du 6 octobre. C’est dans cet esprit que cette proposition commune entre ces deux monastères bénédictins des bords de la Sarthe a été formulée. Notre souhait, en nous rattachant à cette initiative, est d’ouvrir largement cette journée, qui n’est en rien conçue comme une séance de recrutement plus ou moins déguisée, à tous les jeunes intéressés, dans l’objectif de permettre à tous ceux qui le désirent un premier contact avec la réalité de nos vies de contemplatifs bénédictins. L’idéal étant de toucher des cercles plus larges que la frange bien “catho” des plus engagés, il s’agit là d’une initiative résolument missionnaire.
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Un jeune un peu perdu peut-il avoir la vocation même sans “structure de base” ?
Dieu appelle qui il veut, comme il veut et quand il veut. S’il appelle, d’une manière ou d’une autre, c’est aussi parce qu’il peut donner à celui ou celle qu’il appelle les aptitudes à remplir cet appel, en dépit de toutes les difficultés d’ordre physique ou psychologique, des conditionnements et des infirmités. Ces aptitudes sont, d’ailleurs, un élément important pour le discernement d’une vocation. Ainsi, celui qui ne supporte pas la solitude n’est sûrement pas appelé à la vie érémitique, quoi qu’il en pense. De même, celui qui ne peut pas se tirer du lit au grand matin, voire au milieu de la nuit, n’est sûrement pas appelé à entrer dans une communauté qui pratique l’office de nuit. Pour répondre plus directement à votre question, j’ajouterai que celui qui est “déstructuré” — encore faut-il savoir ce que l’on entend exactement par là — est bien souvent dans l’incapacité même d’écouter l’appel qui passe autant par les événements de la vie que par le désir du cœur. Par ailleurs, celui qui entend l’appel, s’il lui manque quelque chose pour y répondre pleinement, est aussi invité par cet appel à se mettre en disposition d’y répondre s’il souhaite le suivre.
La vocation monastique est-elle plus difficile que le mariage ?
La vocation monastique n’est pas plus difficile ou moins difficile que le mariage. Poser cette question, c’est affirmer que dans l’absolu il y aurait une difficulté intrinsèque propre à chaque état de vie qui vaudrait pour tous, toujours et partout. Le mariage a ses exigences, et elles ne sont pas petites ; la vie monastique a aussi les siennes, qui sont différentes. Ce qui est difficile, c’est, pour tous, de mettre notre vie en cohérence avec les exigences de l’état que nous avons embrassé librement et sans contrainte, toujours et partout. Ce qui est difficile, c’est de s’élever à la mesure de l’idéal qui nous a attiré, alors que nos limites apparaissent au fil de la vie de plus en plus criantes. D’une certaine manière, c’est plus difficile pour les époux chrétiens dans une société où leur idéal est aujourd’hui fortement dévalorisé, pour ne pas dire plus. Il y a toujours le risque de s’aligner sur le discours ambiant. Mais le moine aussi est souvent tenté d’en rabattre un peu, voire beaucoup.
“Réserver à celui qu’on aime un cœur sans partage”
Le père Albert Chapelle, jésuite, estimait que la question première pour un discernement est celle du célibat. Qu’en pensez-vous ?
Tout dépend de quel discernement nous parlons. Dans sa règle, saint Benoît demande que l’on s’enquiert, à propos de celui qui demande à entrer au monastère, s’il « cherche vraiment Dieu », pas s’il est apte au célibat qui n’est qu’un des moyens donné pour que le cœur soit vraiment disponible pour cette recherche. C’est parce que cette recherche occupe tellement de place dans la vie de celui qui reçoit cet appel, reçu comme un don et une grâce particulière, que cela conduit à ce qu’on ne se marie pas, pour réserver à celui qu’on aime un cœur sans partage. N’est-ce pas ce que dit saint Paul dans sa première lettre aux Corinthiens (1 Cor 7, 32-35) ? S’agissant du discernement concret, que chacun a à mener en toute vérité pour vérifier un appel entendu à la vie consacrée, appel qui implique toujours celui de la virginité pour le Royaume, il faut bien sûr se demander si l’on se sent capable de cela en fonction de sa constitution physique et psychologique. C’est un préalable indispensable. Si l’on prend les trois vœux de religion, les vœux d’obéissance et de pauvreté peuvent avoir des modalités variables selon la communauté choisie. Mais celui de chasteté n’a jamais, quel que soit le lieu où on le prononce, qu’une seule modalité, celle du célibat et de la virginité. C’est en cela qu’il s’agit d’une question première ou primordiale en vue du choix de la vie consacrée.
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Comment apprendre à écouter pour trouver sa vocation ?
Si c’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est en écoutant qu’on devient soit même écoutant. Au delà de la boutade, on ne peut vraiment écouter qu’en “désenveloppant” l’écoute, laquelle demande que cessent tous les bruits parasites qui empêchent le message de parvenir jusqu’à nous. Il n’y a donc pas d’écoute sans silence préalable. Silence extérieur d’abord, silence intérieur ensuite. Or les « armes de distraction massives » se sont répandues aujourd’hui à un tel point qu’on peut vivre dans le bruit tant extérieur qu’intérieur du premier instant de sa journée jusqu’au dernier, en tous lieux et dans toutes les circonstances. Dans ce brouhaha permanent, difficile de cultiver la moindre vie intérieure. C’est d’ailleurs fait pour cela. Apprendre à écouter suppose qu’on puisse trouver des lieux de silence pour pouvoir un tant soi peu rentrer en soi-même et ne plus vivre uniquement à la surface.
Que dire à un jeune qui se pose la question de la vocation pour l’orienter tout en respectant sa liberté ?
On a toujours très peur, trop peur de brider la liberté de quelqu’un en osant effleurer un tant soit peu ce sujet. À celui qui pense entendre un appel, le seul accompagnement qui tienne est celui qui lui permet de comprendre cet appel et l’aide à donner une réponse — qu’elle soit positive ou négative — qui lui permette de grandir et de vivre en paix par la suite. Pour ne pas en vivre triste comme le jeune homme riche de l’Évangile. Cela passe par une aide à un premier discernement. Je donnerai ici trois pôles qui permettent ce premier discernement. Une vocation, le choix d’une vie, passe par les événements de la vie, le désir de mon cœur, et le jugement de l’Église. Tout appel s’inscrit dans une histoire, c’est à l’aune de cette histoire qu’il faut donc commencer par examiner cet appel. Ensuite tout appel naît dans un cœur qui aime, c’est donc en comprenant mieux ce que je porte, ce que je cherche, ce que je veux que je réalise et que je comprends ce que Dieu veut que je fasse. Enfin, tout appel se vit toujours, d’une manière ou d’une autre, dans une communauté — à tout le moins dans la communion des saints — ; cette dimension communautaire passe donc par un regard extérieur qui a autorité pour authentifier et ratifier le désir que je porte. Ce discernement n’est pas toujours facile, il peut même parfois pour certains être particulièrement ardu. Mais un signe qui ne trompe jamais, c’est la paix et la joie que j’éprouve en m’engageant dans la direction choisie, si obscure qu’elle paraisse. La qualité de mon écoute et la docilité de mon cœur à suivre le chemin indiqué sont d’autres signes que je suis sur la bonne voie. Une courte prière de sainte Brigitte de Suède résume tout cela : « Seigneur, montre-moi ton chemin et rend moi prête à le suivre ».
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Quelle est la vocation monastique et quel bonheur y trouver ?
Si la devise de sainte Jeanne d’Arc était « Messire Dieu premier servi », celle du moine serait alors : « Dieu seul servi ». Telle est la vocation monastique : un attrait exclusif, hors de toute œuvre déterminée qui pousse à chercher Dieu pour Dieu et parce qu’il est Dieu. Alors oui, les moines ne servent à rien, à rien du tout, mais ils servent Dieu, et… Dieu est tout. Et celui qui a tout que peut-il avoir de plus ? Quoi d’autre pour combler ses désirs ? Au psaume 4, la question est posée : « Qui nous fera voir le bonheur ? » Réponse de la Parole Dieu : « Sur nous, Seigneur, que s’illumine ton visage. ». Voilà ce qu’est le moine : un miroir qui veut rayonner la gloire et la tendresse de Dieu. Puisse-t-il être assez transparent pour cela.