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Et si vous goutiez au silence ?

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Marzena Devoud - publié le 24/07/18 - mis à jour le 17/11/23

Étouffés par le bruit, de plus en plus de personnes sont en quête de tranquillité. Certaines tentent des retraites spirituelles en silence, d'autres des cures de silence. Comment expliquer cette recherche qui, bien que de plus en plus répandue, semble appartenir à un autre âge ?

Comment retrouver le silence intérieur ? Comment réussir à atteindre le silence pour se réconcilier avec soi-même et se mettre à l’écoute de Dieu ? Dominicain, docteur en théologie et secrétaire général de l’Institut dominicain d’études orientales au Caire, Frère Rémi Chéno, est l’auteur de “Les voies du silence” (ed. Cerf), dans lequel il invite chacun à tenter l’expérience du silence. Entretien.

Aleteia : Comment expliquez-vous cette quête du silence ?
Frère Rémi Chéno : Si elle est répandue elle n’est pas non plus partagée par tous. Beaucoup aiment travailler en musique, se détendre en musique, faire du sport en musique… En Égypte, où je réside, les gens n’aiment pas trop le silence car ils sont profondément habitués au bruit. Une employée de notre communauté s’est même plainte un jour du silence du couvent après huit mois de travaux sur les bâtiments dont le boucan nous avait envahis mais qu’elle regrettait ! Elle se sentait angoissée par ce retour au silence. 

Il y a probablement des âges plus propices au silence et d’autres au bruit, à la conversation incessante, à la musique. Les adolescents se créent une bulle de musique, les écouteurs ancrés aux oreilles. L’enfant en bas âge est capable de moments contemplatifs, tout comme la personne âgée. Ce qui est sûr, c’est que nos sociétés modernes sont plus connectées et donc plus bruyantes. Pourtant, si l’on regarde le monde qui nous entoure, en dehors des villes, il est relativement silencieux. Les oiseaux pépient, mais pas à toute heure. Les grands mammifères sont plutôt silencieux, en dehors des parades ou des combats. L’homme est la créature la plus bruyante et la plus polluante sur cette terre. Et je ne parle pas des espaces infinis dont le silence effrayait même Pascal !

Il y a aussi des silences de peine et de souffrance, de solitude ou de désespoir, qui sont comme des cris rentrés, qui écrasent et étouffent le cœur. Et puis, il y a le silence voulu, le silence recherché dans son quotidien, ou bien à l’écart, dans un monastère, dans le cadre d’une retraite spirituelle ou d’une cure de silence. Une telle quête est au carrefour de nombreuses recherches – équilibre intérieur, recherche de soi, recherche d’un vrai repos de l’âme – et de plusieurs mises à l’écart (paroles oiseuses, saturations du sens, bombardement d’informations…). Luxe ? Illusion ? Besoin réel ? Nécessité spirituelle ? Les raisons qui nous poussent à chercher le silence sont nombreuses et chacun suit son chemin. A nous de les accueillir tel qu’ils sont.

Ceux qui ont tenté l’expérience ont souvent le même témoignage : Ils disent que le silence leur a permis d’être à l’écoute de Dieu comme d’eux-même et des autres, de leurs enfants, de leurs clients, de leurs employés… Le silence est-il donc la meilleure manière de se mettre… à l’écoute ?
Cela me semble évident ! Comment écouter tout en parlant ? C’est même le B-A BA de la courtoisie. Écouter, ce n’est pas seulement se taire. C’est aussi laisser la voix de l’autre s’adresser à moi, me toucher, me blesser parfois, ou me réjouir. Certes, le cerveau humain a une capacité assez extraordinaire pour reconnaître les voix : un simple bonjour au téléphone peut me suffire à identifier l’ami qui m’appelle. Pourtant, nous avons tous fait l’expérience bizarre d’entendre notre propre voix enregistrée et d’être surpris par elle. Nous ne savions pas que nous avions une telle voix ! Mais c’est peut-être aussi l’indice que nous ne savons pas nous écouter nous-mêmes.

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Paradoxalement, faire silence, c’est un peu comme remettre les compteurs à zéro et retrouver ses amis, leurs voix, leurs inflexions. C’est aussi se retrouver soi-même, retrouver son souffle, ses joies et ses peurs, ses rages et son enthousiasme. La voix est le vecteur de beaucoup d’émotions et pas seulement de sens, elle peut se faire menaçante, cajolante, aimante, sévère, douce, fatiguée ou joyeuse… Les exigences du travail, tout comme les réalités quotidiennes, nous font croire que seules les informations sont importantes. Notre société, efficace, technique, requiert la précision de la parole juste et rejette les longs discours. Mais la voix a quelque chose de l’ordre d’une mise à nu de l’autre quand il s’adresse à moi, tandis que la parole prétend l’écraser par la puissance de la sémantique. Faire silence c’est peut-être cela aussi : quitter la parole pour retrouver la voix. La voix revient à quitter l’objectivité froide du sens pour retrouver la personne.

Vous dites que le silence n’est pas un silence d’absence mais un silence de présence…
Je ne cherche pas immédiatement à identifier cette présence. Je cherche plutôt à faire l’expérience du silence et à découvrir qu’il n’est pas pesant. Ce silence n’est pas lourd, il ne m’écrase pas. Il n’est pas effrayant et il est même étrangement plein. De quoi ? De qui ? Qu’importe, dans un premier temps. Il faut d’abord faire l’expérience d’une paix, d’une sérénité, d’un calme, qui ouvre la poitrine, qui déploie ma respiration, qui apaise mes voix intérieures. Identifier ce silence, c’est le recouvrir de mots, trop vite prononcés. Le paradoxe, est que le silence n’est pas l’expérience d’une absence, qui ferait mal, qui pèserait lourd. Non. Le silence a un goût propre. C’est la douceur du silence.

Pourquoi avons-nous, paradoxalement, si souvent peur du silence, par exemple dans une conversation ?
Le silence est une mise à nu, un risque pris. Je peux m’y retrouver insignifiant, léger, superficiel, inconséquent, vide. Mais dans la relation amicale ou amoureuse, nous découvrons que les moments suspendus entre deux paroles, ces silences survenus sans qu’on les prévoit, sont les moments les plus intenses, les plus forts, ceux qui forgent la relation. Le silence, c’est l’arrivée de quelque chose d’autre, l’émergence d’un je ne sais quoi qui remplit le cœur et peut faire monter les larmes aux yeux. Dans la relation pastorale, le prêtre ou le laïc accompagnateur doit apprendre à retenir son flux de paroles et à laisser la place au silence s’il veut vraiment accueillir la personne accompagnée et la laisser être devant lui telle qu’elle est. C’est une mise à nu pour l’un autant que pour l’autre, une exposition sans défense. C’est de l’ordre du don gratuit.

Comment alors se mettre à nu, apprivoiser le silence ?
Les livres sur le sujet ne manquent pas ! Je vous recommande par exemple les deux livres du frère Jean-Marie Gueullette, Petit Traité de la prière silencieuse et L’Assise et la présence : La prière silencieuse dans la tradition chrétienne. Il ne s’agit pas d’explorer des méthodes très sophistiquées : Ménagez un espace pour vous, respirez lentement et profondément, et… enfoncez-vous dans le silence. La cacophonie ne cessera pas. Mais vous vous en moquerez. Vous ne vous laisserez pas troubler par elle. Vous ne devez pas rêver à je ne sais quel miracle d’abstraction de ce monde, de retirement loin de tout.

Laissez cela cohabiter avec votre descente dans le silence. Je crois qu’il est possible d’être à la fois dans le bruit (intérieur et extérieur) et dans le silence (intérieur). Cela se fait sans combat mais plutôt dans la confiance. Si vous vous dites « je n’y arrive pas », demandez-vous à quoi vous n’arrivez pas ? Au silence tel que vous rêviez ? À un exploit ascétique ? Qui vous a dit que vous n’y arriviez pas ?

Pour rejoindre le silence vous utilisez l’image d’un sous-marin qui rejoint les eaux profondes. Pour y plonger, faut-il oublier tout ce qui nous tient en surface ? Nos soucis, nos tristesses, nos angoisses ?
Justement, je ne parle pas d’oublier. Je parle de laisser de côté, ce qui est très différent. Ou plutôt de laisser vivre ces soucis ou ces angoisses, sans croire qu’il faille pour autant leur laisser toute la place. Même dans la souffrance, je peux monter dans mon petit sous-marin et rejoindre les eaux profondes. La tempête peut gronder à la surface, et me blesser de ses lames gigantesques, mais je continue, vaille que vaille, à descendre en plongée. Il y a sans doute des cas extrêmes où je n’y arriverais pas si je n’en ai pas fait l’expérience auparavant et si je n’ai pas acquis une certaine habitude de plongée. L’entraînement est important justement pour les moments plus difficiles.

Le silence intérieur est-il une force sur laquelle on peut s’appuyer, quelle que soit l’épreuve ?
Si vous considérez le silence intérieur comme une force en cas d’épreuve, vous en faites un instrument utilitaire, une béquille ou un médicament, un traitement thérapeutique… Il vaudrait mieux le considérer comme un don qui nous est fait et pas un outil qu’on se donnerait à soi-même. Et ce don vient de Dieu même si nous ne savons pas toujours le nommer.

Est-ce mieux d’écouter Dieu en silence ?
Je n’ai pas dit cela. Si une personne vient me dire le contraire, je ne me fâcherai pas avec elle. Mais aura-t-elle au moins essayé la voie que je lui propose ? Je ne sais pas si c’est plus efficace qu’une autre méthode mais j’ai tout de même du mal à comprendre comment on peut écouter Dieu, avec la révérence qui lui est due, sans faire silence. Quand j’écoute mon chef de service, un professeur ou un confesseur, je reste en silence. Alors, avec Dieu… !

Qu’est-ce la méditation chrétienne ?
Je n’en ai pas la moindre idée ! Elle consiste à laisser l’Esprit-Saint faire son œuvre en nous. C’est un mouvement de foi. Les Anciens disaient qu’il fallait se mettre « en présence de Dieu ». Il n’y a pas grand-chose de plus à dire ! Je préfère parler de prière silencieuse plutôt que de méditation : le mot « méditation » pourrait nous faire penser à des idées à méditer.

La prière chrétienne a de nombreuses formes : la lectio divina, la contemplation et l’oraison…. Il y a aussi les prières récitées, le Notre Père et le Je vous salue Marie, la prière du Rosaire, etc… La prière chrétienne, c’est également ses formes liturgiques : la prière des heures, les célébrations sacramentelles. Et c’est enfin tout le reste, que l’Esprit fait surgir dans le cœur des croyants : un simple cri du cœur, un regard émerveillé, une action de grâce, un appel au secours… Lisez les psaumes : ils sont le recueil séculaire des prières des croyants.

Comment la prière silencieuse a-t-elle changé votre vie au quotidien ?
Je n’en sais rien. Je reste pécheur, je garde mon tempérament pas toujours facile. J’espère seulement qu’elle féconde ma vie d’une façon qui me reste assez mystérieuse. Mais c’est bien ainsi : je ne risque pas de l’instrumentaliser pour atteindre un objectif que je me serais fixé.

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Quel conseil donneriez-vous à ceux qui se croient incapables de prier en silence ?
Je leur dirais simplement de tenter sans se décourager ! Plus sérieusement, qu’ils ne s’imaginent pas un exploit à réaliser mais qu’ils se lancent dans une expérience toute simple. Il n’y a pas à se demander si on a « réussi » ou pas. Cela n’aurait aucun sens. C’est juste un goût à développer. Bien sûr, on peut s’encourager en couple, avec un ami ou avec un accompagnateur spirituel. Mais, même seul, on peut très bien se lancer.

Vous dites que le silence est un abandon au bout duquel on écoute le silence de Dieu. Pourquoi écouter le silence de Dieu et non pas parler avec Lui ?
Vous faites comme vous voulez ! Mais si vous voulez parler avec Dieu, en général, on ne se prive pas de lui débiter des tonnes et des tonnes de phrases, de prières et de réclamations, ne voulez-vous pas commencer par l’écouter ? Je crois que Dieu n’est pas bavard. Et je n’ai pas eu, pour ma part, d’expérience d’une parole que Dieu m’aurait adressée, sinon par les Saintes Écritures.

Je ne l’ai jamais entendu m’appeler par mon nom : « Rémi ! Rémi ! » Alors, je fais le récit de ce que j’ai appris à connaître : le silence de Dieu. Il y a bien des mots qui me viennent, comme des gémissements, des paroles à moitié prononcées, des ébauches de phrases. Mais je ne peux pas dire que je « parle avec Dieu » quand je m’exerce à écouter son silence. D’autres fois, bien sûr, je lui raconte mes malheurs ou mes joies, je lui présente des intentions particulières. Mais c’est autre chose.

Qu’est-ce que veut dire « goûter au silence de Dieu » ?
J’attendais cette question ! C’est le cœur de ce que j’ai voulu écrire. Le silence n’est pas une épreuve, un poids, une souffrance. C’est l’expérience d’une présence. Et je crois que c’est l’expérience de la présence de Dieu. Ce silence est la voix même de Dieu, comme celle sur la montagne de l’Horeb qu’Élie a reconnue.t. La Bible parle de la « voix d’un silence ténu ». C’est exactement cela. Du moment où on réalise que ce silence est la voix même de Dieu, alors on peut goûter ce silence, aimer ce silence, savourer ce silence. Dieu n’a pas besoin de mots pour me parler, parce que, pour ce qu’il veut me dire, les mots ne suffisent pas. Dieu est le Dieu poète qui fait éclater les mots en un silence bien plus savoureux que tous les mots des hommes.

Les voies du silence, Rémi Chéno, Cerf, avril 2018, 10 euros.

Les lieux où trouver le silence :

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