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Les méga-barrages hydroélectriques sont-ils parés de toutes les vertus ?

THE THREE GORGES DAM AT YANGTZE RIVER IN CHINA

By PRILL | Shutterstock

Le barrage des trois-Gorges en Chine.

Paul De Maeyer - publié le 02/07/18

Si les barrages géants de Chine, d’Éthiopie et de Colombie sont sources d’énergie propre, leur impact social, culturel et environnemental, est discutable. En témoignent les problèmes survenus lors de leur construction.

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Dans un monde de plus en plus assoiffé d’énergie, celle obtenue à partir de la force de l’eau remonte à des origines lointaines. Marcus Vitruvius Pollio, connu sous le nom de Vitruve (environ 80 av. J.-C. – après 15 av. J.-C.) décrit le mécanisme des moulins à eau dans son traité De architectura. Aujourd’hui, on estime que plus de la moitié de l’énergie produite en Amérique du Sud est d’origine hydraulique. Dans certains pays du monde, dont le Costa Rica et la Norvège, l’hydroélectricité frôle même les 100% de la production totale.

Néanmoins, même si l’énergie hydraulique ne pollue pas et évite souvent aux pays producteurs de devoir importer des sources d’énergie polluantes et non renouvelables à un prix élevé, son utilisation exige la construction de centrales hydroélectriques pour transformer la poussée de l’eau en énergie. Et c’est là son côté un peu moins positif. Dans le cas des centrales qui utilisent un bassin-réservoir, il faut un barrage qui bloque l’écoulement du fleuve. Et plus une digue est grande, plus le réservoir est grand, la  production d’énergie sera importante. Mais les retombées sur l’environnement et au plan social sont importantes.

Le barrage des trois-Gorges en Chine

Le barrage des Trois-Gorges sur le fleuve Bleu, dans la province chinoise de Hubei, est le plus grand barrage hydraulique du monde. Le Yangtsé, comme on l’appelle aussi, est le plus grand fleuve d’Asie, let troisième au monde par sa longueur après l’Amazone et le Nil. L’immense barrage, avec 2,3 kilomètres de longueur et 185 mètres de hauteur, régule l’eau du bassin – un lac artificiel de 600 km de long – dont la capacité, en temps normal, est de 22.000 millions de m³, mais peut contenir jusqu’à 39 milliards de m³, son volume maximum.

La construction du barrage, largement contestée, a été approuvée par le Congrès national du peuple en 1992 avec un nombre record d’abstentions. L’objectif n’était pas seulement de produire de l’énergie propre, mais de rendre aussi le trafic fluvial plus sûr et de mieux contrôler les crues du Yangtsé. Le barrage a été mis en production par étapes de 2006 à 2009 et n’a commencé à tourner à plein régime qu’en 2012, après la mise en service de la dernière de ses 32 turbines. Aujourd’hui, le barrage des Trois-Gorges évite de brûler 31 millions de tonnes de charbon par an. Et donc de libérer 100 millions de tonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère chaque année, comme le rappelle Il Corriere della Sera. Ce qui est éminemment positif.

En revanche, l’impact social, culturel et environnemental du barrage est jugé négatif. Non seulement il a fallu « délocaliser » 1,4 millions citoyens chinois, mais  les eaux du réservoir ont en plus détruit 1.300 sites archéologiques et historiques, submergé 13 villes et 140 villages. Et puis il y a les risques géologiques. L’énorme barrage n’est pas seulement construit sur une faille sismique. Certains experts comme Matt Ridley, dans le Wall Street Journal, pensent que l’énorme volume d’eau retenu dans les réservoirs peuvent induire des phénomènes sismiques. Dans un entretien pour Chinadialogue , le géologue Yang Yong, directeur du Hengduan Mountain Research Institute, fait le lien entre le tremblement de terre  qui a fait plus de 600 morts dans la province du Yunnan, en août 2014,  et le système de barrages installé sur un affluent principal du Yangtsé supérieur, le fleuve Jinsha.

Les projets hydrauliques en Éthiopie

Afin de stimuler son développement économique, l’Éthiopie a elle aussi lancé de grands projets en hydroélectricité, le long du fleuve Omo, dans le sud-ouest du pays. Une série de cinq barrages dont les centrales  Gibe I, Gibe II et Gibe III sont déjà opérationnelles, alors que sont en cours de préparation  les travaux de Gibe IV et Gibe V. Mais là aussi, l’impact social et environnemental jette une ombre sur le projet. Alors que pour la construction de la première centrale, Gilgel Gibe I 100 000 personnes ont été déplacées, l’ensemble du projet menace les populations qui vivent d’agro-pastoralisme, et fait baisser le niveau du lac Turkana, situé à la frontière avec le Kenya, relèvent différentes ONG, dont Survival International.

Gibe III, construit par la multinationale italienne Salini Impregilo et inauguré en 2016, est – avec une hauteur de 243 mètres et une retenue de 14.000 millions de m³ – le plus haut barrage d’Afrique.  Mais ce record sera bientôt battu par un autre projet pharaonique : Le barrage de la Grande renaissance d’Éthiopie. Or il se trouve que cet autre géant de l’hydroélectricité, toujours construit par le groupe industriel Salini Impregilo, a des répercussions sur les pays voisins. Érigé sur le Nil bleu qui rejoint le Nil blanc à Khartoum, pour former le Nil, qui traverse le Soudan et l’Égypte, la centrale a une action directe sur les crues annuelles du Nil, qui sont d’une importance capitale pour l’Égypte. A l’ouverture des travaux, en 2013, le président égyptien de l’époque, Mohammed Morsi, a été très clair : « Si une seule goutte du Nil est perdue, notre sang sera la seule alternative », a-t-il affirmé, précisant aussitôt après : « Nous n’appelons pas à la guerre, mais nous n’accepterons jamais que notre sécurité soit mise en danger ».

Le 10 juin dernier, le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed Ali, s’est voulu rassurant auprès des autorités égyptiennes. Il a promis au président égyptien actuel, Abd al-Fattah al-Sisi, lors d’une visite au Caire, qu’ils « prendront soin du Nil » et « préserveront leurs quote-part des eaux », s’engageant même à augmenter ces dernières. « L’Éthiopie veut tirer profit du fleuve, mais sans faire de mal au peuple égyptien », a assuré le premier ministre éthiopien, cité par Deutsche Welle. Élu le 2 avril dernier à la tête du gouvernement, Abiy Ahmed Ali, souhaite clairement éloigner le spectre d’une éventuelle guerre de l’eau entre les deux pays.

Comme l’explique Franco Nofori sur le site African Express, une fois les travaux terminés, il ne faudra pas moins de trois ans pour remplir le bassin d’eau. Il n’ya plus qu’à espérer qu’Addis-Abeba sera en mesure de maintenir le flux du Nil Bleu pendant tout ce temps.

Le projetHidroituango en Colombie

Malgré leur taille gigantesque, ces barrages semblent parfois des géants « aux pieds d’argile » (cf. Livre de Daniel 2, 31-35), comme le montre cette alerte rouge lancée en mai dernier en Colombie, pour de très graves problèmes survenus au barrage Hidroituango, encore en construction sur le fleuve Cauca, l’un des plus importants du pays. Quelque 5.000 personnes vivant à proximité du site ont été évacuées après un glissement de terrain, dû à de fortes pluies, qui a bloqué un tunnel de déviation du Cauca, rapportait BBC Mundo le 18 mai. Face au risque de débordement et d’effondrement du barrage, les ingénieurs d’Empresas Públicas de Medellín (EPM) n’ont eu d’autres choix que d’inonder la salle des machines. Bien que 25.000 autres campesinos aient été évacués par mesure de précaution, la situation semble maintenant se stabiliser, rapporte la Caritas colombienne.

Si le projet Hidroituango est porté à terme, c’est tout un habitat naturel de plus en plus menacé qui disparaîtra sous les eaux. Mais également à jamais toutes les fosses communes de desaparecidos, tués par le groupe paramilitaire Les Autodéfenses unies de Colombie (AUC, Autodefensas Unidas de Colombia), pendant la guerre civile, avertissent les auteurs d’un article publié sur le site Researchgate.net.  Selon eux, « la thèse selon laquelle les centrales hydroélectriques sont une source d’énergie propre par rapport à celles basées sur l’énergie fossile, est fausse ».

Pour l’écologiste et théologien Alirio Cáceres Aguirre, professeur et chercheur à la Faculté de théologie au sein de l’Université pontificale xavérienne de Bogotá, le barrage ne devait pas être construit. La zone choisie pour le projet « est caractérisée par une cordillère friable, sujette à de fréquents glissements de terrain », souligne-t-il, et donc « absolument pas adaptée à ce genre d’installation ». Ce « mégaprojet pharaonique », poursuit le théologien « dénote une culture de domination sur la nature », comme celle que dénonce le pape François dans Laudato Si’, qui consiste à suivre « un paradigme technocratique, croyant que les problèmes sont facilement résolubles ».

Ce bref parcours confirme à quel point les grands projets d’infrastructure peuvent influer et peser sur l’environnement et l’entourage. Comme a dit l’un des pères de la physique quantique, Werner Heisenberg (1901-1976) « quand un enfant jette sa poupée hors du berceau, l’étoile Sirius vacille », pour indiquer que toute action humaine a toujours, d’une manière ou d’une autre, un impact universel[1]. Ne l’oublions pas !


1] En allemand : « Wenn ein Kind seine Puppe aus der Wiege wirft, dann wackelt der Sirius”

Tags:
Chrétiens en Chineenvironnementéthiopie
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