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Marché, éthique et liberté

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By isak55 | Shutterstock

Jean-Yves Naudet - publié le 18/05/18

L’économiste Jean-Yves Naudet livre pour Aleteia son analyse de "Œconomicae et pecunariae questiones – Questions économiques et financières, en latin", le document événement publié cette semaine par le Vatican sur l’économie et la finance mondiale.

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Le texte publié le 17 mai 2018 par le Vatican sur les questions économiques et financières est digne d’intérêt à plus d’un titre. Certes, il ne s’agit pas d’une encyclique sociale, mais il a une autorité certaine, étant rédigé à la fois par la Congrégation pour la Doctrine de la foi et par le dicastère pour le Service du développement intégral et ayant été approuvé par le Pape, qui en a ordonné la publication. Il se situe d’ailleurs dans la droite ligne de la doctrine sociale de l’Église, dont il utilise le vocabulaire : bien commun (le terme est cité 27 fois, ce qui est considérable), subsidiarité et solidarité. La dignité de la personne en est le fil conducteur, et il est sous-tendu par une anthropologie, celle de la personne, comme être de relations.

Ce qui frappe d’emblée, c’est que le document se situe clairement dans le monde d’aujourd’hui, tel qu’il est, le monde des marchés et de la mondialisation. Le terme de marché revient d’ailleurs 37 fois dans le texte. On est bien dans un système de liberté et le mot de liberté se trouve d’ailleurs onze fois dans le texte, qui rappelle l’importance des choix libres et responsables. Tout le document vise à rendre le marché compatible avec la morale et le bien commun. On se situe donc sans ambigüité dans le monde réel et non dans la recherche d’un système alternatif utopique, même si le but est bien de construire « la civilisation de l’amour ».

L’importance accordée à l’éthique

Cela n’empêche donc en rien l’Église de chercher à moraliser l’économie de marché. Ce qui est notable dans ce texte, c’est l’importance accordée à l’éthique : le terme est probablement le plus cité, car il revient 45 fois (sans compter les termes « morale » et « moralisation », qui reviennent 16 fois !). C’est d’autant plus important que le document explique que, derrière les structures, les marchés, ce sont toujours des personnes qui décident et agissent, et les rappels à l’éthique et à la morale concernent donc chaque personne, car les faiblesses humaines, le péché, peuvent pervertir le bon usage de la liberté. Et le marché ne peut, par lui-même, « produire » l’éthique dont il a besoin pour fonctionner correctement ; l’Église, elle, peut au contraire, comme elle le fait dans sa doctrine sociale, et dans ce texte du Vatican, offrir cette éthique dont l’économie et la finance ont besoin. Bien entendu, on ne sera pas surpris de trouver aussi des appels à la régulation (dix fois), donc aux règles étatiques ou supra-étatiques, mais il y a exactement autant d’appels à la responsabilité de chaque acteur (dix fois également) et la régulation peut être aussi une autorégulation, liée à l’éthique des acteurs des marchés. D’où l’importance de la formation morale, y compris dans le système éducatif (le texte vise explicitement les écoles de commerce notamment).


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Le court-termisme en accusation

Parmi les critiques adressées à l’économie et à la finance actuelles, on trouve d’abord le court-termisme : cette absence de vision à long terme, qui privilégie l’immédiateté, les résultats rapides aux décisions durables, ce que la financiarisation à outrance de l’économie accentue. La question de l’entreprise est également abordée, le texte critiquant la place excessive accordée aux profits des actionnaires (« shareholders ») au détriment des autres parties prenantes (« stakeholders ») et il est vrai que la financiarisation excessive, favorisant les seuls résultats à court terme, déséquilibre les choses, alors que, dans une vision à long terme, il n’y a pas d’incompatibilité, au contraire, entre le fait de bien traiter ses salariés ou ses clients et les résultats financiers de l’entreprise. On remarquera d’ailleurs qu’à propos de l’entreprise, la question des rémunérations énormes de certains dirigeants, liées aux résultats immédiats, est surtout critiquée par le fait qu’elles ne soient pas « contrebalancées par des pénalités équivalentes en cas d’échec des objectifs ».

La question de la dette publique est également abordée. Certes, le texte critique vivement les paradis fiscaux, comme pénalisant les recettes des pays dans lesquels les entreprises ne paient pas d’impôts (mais peut-être aurait-il fallu se demander aussi pourquoi les entreprises fuient ces pays, car s’il y a des paradis fiscaux, c’est sans doute qu’il existe des enfers fiscaux). Mais le document n’écarte pas pour autant les responsabilités des États, car « la dette publique est aussi souvent générée par une gestion maladroite du système d’administration publique » et elle « est aujourd’hui l’un des plus grands obstacles au bon fonctionnement des différentes économies nationales ». Et le texte appelle à une réduction raisonnable de la dette publique. On aurait pu ajouter, ce qui n’est pas dans le texte, que la dette publique est également immorale, puisqu’elle reporte la charge des dépenses sur les générations suivantes.

Comprendre le réel et distinguer les innovations financières

Cependant, l’essentiel du texte porte sur les questions de finances, parfois en abordant des sujets pointus et techniques, connus des spécialistes, mais qui donnent un caractère très concret et actuel aux propositions, s’agissant des produits dérivés, des swaps, des CDS, des marchés offshore, etc. Les spécialistes pourraient argumenter sur telle ou telle proposition, mais ce qui frappe c’est la volonté non seulement de comprendre le réel, dans sa complexité et son actualité, mais aussi de distinguer les innovations financières, parfois fort utiles, des perversions auxquelles leur usage immoral peut conduire.




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Pour autant, au-delà de ces aspects techniques complexes, ce qui ressort de ce texte, c’est qu’il s’adresse « à tous les hommes et femmes de bonne volonté » et donc pas seulement aux croyants et surtout pas seulement aux spécialistes. En effet, le texte ne cesse d’insister, notamment sur la fin, sur « nos responsabilités », celles de chacun de nous, puisque nos décisions d’épargne ou de consommation ont des conséquences sur l’économie et guident l’économie, et donc ces décisions doivent aussi et d’abord reposer sur la morale. On notera d’ailleurs que le texte dit que « quelqu’un a parlé du “vote avec son portefeuille”. Il s’agit effectivement de voter chaque jour au marché pour ce qui aide notre bien réel à tous et de rejeter ce qui lui nuit ». L’expression vise en fait le « plébiscite quotidien du marché » cher à Hayek, mais le nom de cet économiste était sans doute délicat à citer dans un texte de cette nature, qui puise essentiellement ses références dans les encycliques des différents papes. Mais la conclusion du texte, au-delà de tous les appels aux pouvoirs publics ou à la régulation, redonne tout son sens au document et est en parfaite cohérence avec les économies de marché, après en avoir dénoncé toutes les dérives : « Face à l’immensité et à l’omniprésence des systèmes économiques et financiers d’aujourd’hui, nous pourrions être tentés de nous résigner au cynisme et de penser que nos pauvres forces n’y peuvent faire que bien peu. En fait, chacun de nous peut faire beaucoup, surtout s’il ne reste pas seul. » D’où l’importance de la société civile et des associations qui la composent. Nous avons donc tous notre rôle à jouer pour moraliser la vie économique.

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