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Roza Thun : « les catholiques français ne sont pas conscients de leur force »

Portrait de Róża Gräfin von Thun und Hohenstein

Marzena Devoud - publié le 09/05/18

La députée européenne polonaise Roza Thun est un des fers de lance de la construction d’une Europe unie et chrétienne. Elle répond aux questions d'Aleteia.

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Issue d’un milieu d’intellectuels catholiques proches du futur pape Jean Paul II, Roza Thun, 65 ans, est mariée à un autrichien et mère de quatre enfants. Étudiante à Cracovie, elle était porte-parole des étudiants de Solidarnosc au début des années 1980. Après le changement de régime, elle a présidé la Fondation polonaise Robert Schuman. Militante associative, elle fut l’un des principaux artisans du référendum sur l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne en 2004. Elle a d’ailleurs dirigé la représentation de la Commission européenne en Pologne de 2005 à 2009.

Roza Thun est aujourd’hui une députée européenne parmi les plus influentes. Inscrite au groupe du Parti populaire européen (PPE), élue à plusieurs reprises par The Parliament Magazine, meilleure parlementaire de l’année, elle dirige la commission du commerce digital (e-commerce) qui est notamment à l’origine de la suppression du roaming à l’intérieur de l’Union Européenne. Roza Thun confie à Aleteia sa vision décapante d’une Europe dont le christianisme serait le cœur et le moteur.


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Aleteia : Avec un groupe d’eurodéputés, vous préparez le Congrès des Chrétiens d’Europe, prévu à l’automne 2018. Quel est le sens de ce congrès ?

Roza Thun : Je suis très heureuse de faire partie de ce groupe. Nous sommes douze parlementaires de toutes tendances politiques : il y a des démocrates-chrétiens, des libéraux, des verts ou des socialistes. L’idée de ce congrès est d’entamer une réflexion commune sur ce qui est essentiel pour nous, les Européens. Il est plus que temps de prendre conscience de ce qui nous unit réellement.

Justement, qu’est-ce qui nous unit le plus, selon vous?

Sans aucun doute, le christianisme ! Il est important de se rappeler quelle est notre culture commune, indissociable de nos racines chrétiennes. Cela veut dire que nous disposons du capital immense des valeurs du bien et de l’amour chrétien. Nous devons les faire fructifier au quotidien. Nous devons nous réunir pour transmettre à nos enfants une Europe meilleure et unie. Sinon, quel est le sens de ne laisser à nos enfants que des biens matériels, alors que des conflits graves peuvent exploser à n’importe quel moment ?

Que signifie une Europe meilleure et unie ?

Cela veut dire une Europe réunie par son histoire commune, par sa culture, par ses racines chrétiennes. Sans elles, l’Europe n’existerait pas. Il n’y aurait pas d’Europe unifiée sans la Déclaration du 9 mai 1950. Il faut rappeler que Robert Schuman, Konrad Adenauer et Alici de Gasperi étaient des catholiques engagés. Ils ont pris le commandement de l’amour du prochain au pied de la lettre. Seule leur vision profondément chrétienne de l’Europe leur a donné la force et le courage d’une telle initiative entre des pays qui, quelques années plus tôt se déchiraient. N’oublions pas que nous étions juste au lendemain de la seconde guerre mondiale ! A Strasbourg, là où siège le Parlement, l’histoire dramatique de générations entières d’Alsaciens m’a marqué. Pendant l’occupation allemande, ils ont été contraints d’apprendre l’allemand, de changer de nom. Après la guerre ce sont souvent eux qui ont été traités le plus durement par les Français. Quant à l’Italie, elle sortait à peine du fascisme. Et c’est à ce moment que Schuman, Adenauer et Gaspari ont pensé à une Europe unie pour les générations futures. Il fallait tout faire pour éviter que la folie meurtrière de la guerre se répète.


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D’où venait leur audace de construire quelque chose en commun ?

J’ai la conviction qu’une telle audace politique a été rendue possible parce qu’ils étaient profondément croyants. Pour eux, le commandement de l’amour du prochain signifiait quelque chose de réel. C’est dans leur foi qu’ils ont puisé les sources du bien commun de l’Europe. C’est dans le pardon et l’amour qu’ils ont trouvé les fondements de l’unification profonde de l’Europe. Quand il est pris au sérieux, le christianisme est une source immense de bien au niveau politique, social, national et international. C’est une source d’inspiration inouïe, qui constitue un puissant moteur d’action. Pour moi, le christianisme ne se limite pas à la tradition ou à l’aspect uniquement cérémonial de la religion. C’est avant tout une foi en Dieu vivante, active et actuelle. Je crois dans la puissance de l’Évangile au quotidien. Nous avons aujourd’hui un pape merveilleux qui porte des messages clairs. Qu’on s’inspire de lui ! Pour moi, il est un homme d’Évangile. Il nous rappelle tout le temps que la révolution du christianisme nous a apporté une chose essentielle – le commandement de l’amour du prochain.

Mais comment construire une Europe réellement unie ?

En construisant un espace commun dans lequel le prochain vit dans la dignité, le respect et la possibilité de développer ses talents. Une Europe où chacun peut s’épanouir.

Cela paraît très idéaliste…

Oui, c’est idéaliste. Mais c’est possible. Il faut commencer par quelque chose. Comme les pères fondateurs de l’Europe. Ils ont commencé avec quelques pays tout en ayant dès le départ une vision de la grande Europe unie. Le christianisme nous donne une force incroyable, celle qui permet d’éviter les obstacles, de dépasser les égoïsmes, de surmonter les blessures et de pardonner les conflits passés. Quand j’entends dire qu’il faut mettre de côté la religion car elle divise les gens, je proteste. La religion peut, au contraire, constituer un véritable pont entre tous. Tout le contraire d’une barrière.




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Souvent ce n’est pas le cas. Pourquoi ?

Parce que nous ne lisons pas l’Évangile. Parce que nous oublions ce qui est l’essentiel de notre foi. Nous oublions que la vie spirituelle doit être au coeur de toute action. Personnellement, je suis admirative des catholiques français. Ils ne sont pas nombreux, mais ceux qui le sont s’engagent de façon consciente et profonde. C’est émouvant de voir toutes ces communautés nouvelles qui trouvent leurs racines en France, qu’elles soient monastiques ou laïques. C’est une merveilleuse inspiration pour les autres Européens. Je ne sais pas si les catholiques français sont conscients de leur force.

Qu’est-ce qui vous inspire le plus dans votre travail quotidien ?

Je pense souvent à Robert Schuman. Il pratiquait son catholicisme au quotidien, dans tous ses actes. Il a également su collaborer avec des non-chrétiens, c’est un exemple qui m’aide personnellement. Ce fut le cas pour lui notamment lorsqu’il a fallu rédiger la Déclaration du 9 mai avec Jean Monnet, qui lui n’était pas catholique du tout. Il y a aussi le préambule de la Constitution Polonaise écrit par Stefan Wilkanowicz, un catholique engagé dans le sillage de Karol Wojtyla, le futur pape Jean Paul II. Dans ce préambule, il y cette phrase que je trouve très forte : « Nous, la nation polonaise, tous les citoyens de la République, croyants en Dieu qui est la source de la vérité, de la justice, du bien et de la beauté, ainsi que ceux qui ne partagent pas cette foi, mais dans les valeurs universelles venant d’autres sources, (nous sommes) égaux dans les droits et les devoirs envers le bien commun – la Pologne ». Cette phrase me guide dans mon action de parlementaire. Je crois qu’il est possible de travailler ensemble pour le bien commun, avec la conviction que l’intention des pères fondateurs de l’Europe ne doit pas rester abstraite. Il faut la concrétiser dans chaque domaine. Quand je légifère sur les droits d’auteurs ou ceux des personnes qui voyagent avec un handicap, j’essaie le mieux possible de réaliser cette devise : travailler ensemble pour le bien commun. L’été dernier je suis allée à Taizé. À ma surprise, j’ai rencontré un collègue député belge du parti des Verts. En fait, il vient tous les ans à Taizé avec sa femme et ses enfants pour se ressourcer et recharger ses batteries. Il m’a dit qu’il trouve à Taizé l’inspiration nécessaire qui lui permet de lutter pour l’environnement. Je me suis alors rendue compte que son travail est très proche de l’idée chrétienne du respect des dons de Dieu. Cela m’a servi de leçon : même si nos appartenances politiques nous divisent, la Foi nous donne un immense chantier commun pour servir le prochain le mieux possible.

Vous êtes née à Cracovie, votre famille était engagée dans l’opposition catholique anti-communiste, elle était proche du futur saint Jean Paul II. Quelle feuille de route vous a-t-il laissé ?

C’est grâce à lui que nous avons une Europe élargie. Sans sa lutte personnelle et son soutien, l’unification de l’Europe n’aurait pas été possible. Il voulait mourir dans une Europe unifiée, pour être sûr que la tragédie de la guerre n’arrive plus jamais sur notre continent. Tel est, selon moi, la mission qu’il m’a transmise : celle de m’engager dans l’unification profonde de l’Europe. Je n’oublierai jamais le jour de l’adhésion de la Pologne à l’Union Européenne. C’était le 1 mai 2004. Pour mon père qui a vécu la guerre (Jacek Wozniakowski, grande figure intellectuelle polonaise ndlr),– il est né la même année que le pape – c’était un événement historique. C’est ce jour là qu’il m’a dit : « Pour nous les polonais, la seconde guerre mondiale est enfin terminée ».  

Vous croyez beaucoup à l’audace…

Sans audace, nous régressons et nous risquons de retomber dans les dangers du passé. Il suffit de voir à quel point ils rodent dans une Europe qui n’a jamais autant douté qu’aujourd’hui. Il est temps d’être plus déterminé que jamais. Le temps de la prudence est vraiment passé. Il faut dire les choses de façon nette. C’est pourquoi j’apprécie l’audace de votre président Emmanuel Macron. Et je suis d’accord que nous avons besoin d’une vision claire et courageuse, des institutions européennes fortes, d’un budget européen ambitieux.

Vous pensez à son discours aux Bernardins ?

Oui. Aussi. Sans faire un acte de foi personnel, il a insisté sur le devoir de réconciliation de la France avec sa foi catholique. C’est un discours courageux, complètement nouveau en France. C’est, pour moi, le signe d’un homme qui dépasse les tabous et les lieux communs pour une vision où le christianisme est important. Si on considère qu’en face, Angela Merkel confesse sa foi chrétienne, cela me donne de l’espoir que cette vision chrétienne revienne au cœur de l’Europe. Je pense aussi à son intervention au Parlement Européen le 17 avril dernier. Il y a en lui une audace qui coupe court avec la prudence paralysante de ces dernières années. Sa voix est forte et claire. C’est sans doute nécessaire pour la France et bien sûr pour nous tous en Europe. Voici la preuve que l’Europe est en marche, que les chrétiens et les non chrétiens peuvent la faire avancer dans le respect de l’autre en suivant les valeurs essentielles de l’Évangile.

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Union européenne
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