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Martin Steffens : « L’assurance de la vie éternelle est un don absolu »

MARTIN STEFFENS

Stéphane OUZOUNOFF - CIRIC

Martin Steffens

Jules Germain - publié le 08/01/18

Sorti aux éditions Desclée de Brouwer, "L'éternité reçue" de Martin Steffens, nous ouvre au plus grand des dons que nous fait Dieu : la vie éternelle. Il nous explique pourquoi ce don ne peut être un dû, mais une grâce dont il faut du temps pour en approcher le mystère.

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Comment ouvrir son cœur au don de la vie éternelle ? Nous avons rencontré Martin Steffens à l’occasion de la parution de son ouvrage L’Éternité reçue aux éditions Desclée de Brouwer. Il y poursuit sa profonde réflexion entamée notamment dans le très beau livre Petit traité de la joie. Consentir à la vie, ou encore dans Vivre ensemble la fin du monde. On y retrouve les mêmes interrogations avec cette approche très simple de la fragilité de nos vies comme lieu pour vivre les plus belles grâces.

Aleteia : Dans votre ouvrage Petit traité de la joie et sous-titré « Consentir à la vie », vous évoquiez déjà cette « sagesse de camomille qui empoisonne la vie ». Que désignez-vous par « sagesse de camomille » et que lui reprochez vous ?
Martin Steffens : Je reproche à cette sagesse de camomille ce que Hannah Arendt reprochait à la psychologie : elle tente de nous permettre de vivre dans le désert en nous faisant croire qu’on peut se réconcilier avec lui ; comme si l’on pouvait accepter et s’acclimater au tragique et à l’insupportable de l’existence humaine, le rendre acceptable. Alors que ce qui m’intéresse en philosophie, c’est au contraire d’analyser les points sur lesquels l’existence humaine achoppe, pour montrer que là où il y a contradiction, là où l’on est arrêté dans notre élan, dans notre vie, c’est là que quelque chose d’intéressant se passe. Les sagesses camomille sont ainsi ces stratégies de l’homme, inventées par l’homme et pour l’homme, consistant justement à nier cette contradiction, pour éviter d’avoir à s’ouvrir à un au-delà de l’homme.




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« La philosophie, dès lors qu’elle pense la mort autrement que comme un scandale profane la vie », écrivez-vous. Pourquoi la mort doit-elle d’abord être perçue comme un scandale ?
Déjà, je pense qu’elle est spontanément perçue comme un scandale. Ce serait terrifiant si ce n’était pas le cas. La mère qui accueillerait la mort de son enfant comme un simple fait serait quelque chose d’affreux. Ensuite, ce fait bête qu’est l’instinct de survie, c’est aussi la forme dans ce monde que prend le fait que nous avons été faits pour la vie éternelle. La mort est un scandale parce que nous percevons dans le plus intime de nous-mêmes que nous ne sommes pas faits pour elle. Faire taire ce scandale, c’est refuser d’entendre que le cri de la vie contre ce qui la tue est beau. Je reste dans la tradition chrétienne de l’anti gnosticisme : la chair n’est pas une malédiction, la vie n’est pas un séjour pénible dont il faut être libéré. Tout le néoplatonisme, le catharisme, qui revient désormais sous la forme des sagesses orientales, a toujours été combattu par l’Église. L’idéal qui veut surmonter, dépasser ou oublier le corps, ce n’est pas chrétien.

Peut-on dire qu’il y a deux manières d’accepter la mort, l’une par dégoût de la vie, que vous rapprochez du bouddhisme et de l’ataraxie des philosophes grecs, et une autre comme la chance d’accepter de tout perdre pour tout recevoir comme un don dans une ouverture totale à l’amour ?
On peut dire que dans une des sagesses, on vous dit : si tu es parfaitement mort, tu ne mourras pas. L’autre, celle du Christ, dit : si tu es pleinement vivant, tu mourras complètement, mais par là même te sera redonné cette vie pleine. Mais l’essentiel pour comprendre cet enseignement du christianisme, c’est d’y aller lentement et de ne pas faire comme si c’était une logique par A+B. En effet, la force de la sagesse juive et chrétienne, c’est de voir que la vérité, quand elle se donne, ce n’est pas dans un traité logique mais dans un récit et à travers une personne : Dieu et son alliance, le Christ et son l’Église. Ce mal qu’est la mort, s’il doit être vaincu, ce n’est pas par une sagesse mais au fil d’une histoire : l’histoire de notre vie qui fait des petites morts des occasions de s’ouvrir à beaucoup plus. Cela ne peut se faire que dans une histoire.




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Cela peut paraître paradoxal : j’ai voulu faire un livre de philosophie sur ce que la vie nous apprendra à condition qu’on la vive pleinement et qu’on ne se contente pas de philosophie purement logique. Il est important d’écouter ce qui est viscéral en nous. J’ai eu le témoignage notamment d’une praticienne en soins palliatifs, qui connait bien toute cette littérature de préparation à la mort, voulant voir la mort comme une chose naturelle. Et elle était très heureuse de voir dans mon livre que la mort soit pensée comme scandaleuse, incompréhensible, puisque c’est en réalité comme cela qu’on la vit. Elle m’expliquait ne jamais se faire à la mort de ses patients : elle était toujours insupportable à accepter.

Dans quelle mesure les petites morts qui nous atteignent au cœur de la vie sont-elles la possibilité de voir le renoncement à soi et le dessaisissement comme la possibilité du plus grand amour ? Que nous disent-elles sur la vraie et ultime mort ?
Ces petites morts, on pourrait croire qu’elles ont un caractère automatique. Mais en réalité, il n’y a pas de sagesse des petites morts possible. Elles n’arrivent jamais au bon moment. Les petites morts arrivent quand on n’a pas pu les prévoir : c’est ce à quoi on doit consentir. On ne les choisit pas : en cela, on voit qu’elles sont proches des grâces.  Cela vient de cette vérité forte : ne peut nous être donné que ce qui ne nous appartient pas. Mais cela n’annule pas la volonté : il faut bien faire le plan de sa vie pour accepter qu’il soit déjoué.

Par ailleurs, Simone Weil m’a donné accès à ce mystère des absences où l’on peut être le plus présent. Par exemple, quand on écoute quelqu’un : on devient le soutien de ce qu’il essaye de nous dire. Quand on écoute, on écoute à l’extérieur de soi. On essaye d’être ce vide par lequel l’autre va pouvoir dire ce qu’il a à dire. Il faut faire complètement place à l’autre, paradoxalement, pour que le dialogue ait lieu. Et c’est là qu’un grand moment de présence à soi est possible. On voit bien la différence avec les conversations où l’autre n’écoute pas : on parle à l’autre, et il nous dit « ah c’est exactement moi, « ça me fait penser à moi, à mon ami, ma vie, mes parents, ma situation » et il commence à nous parler de lui… Le paradoxe, c’est que c’est dans le consentement à ne pas avoir la première place que l’on trouve une vraie place, notre place, celle qui nous convient. Moins je me mets en avant, plus Dieu se prononce et agit par moi.

Quand je me donne tout entier, ce que je reçois, c’est moi. J’en parle au début de mon livre par exemple : quand je veux me saisir de ma vie, par exemple dans le plaisir, je m’y perds. La seule façon d’être présent à son plaisir, c’est de l’abandonner à un autre, dont on reçoit le plaisir. La mystique de Jean-Paul II sur la chair, c’est toujours et encore une mystique du don. Le plaisir est donné comme un surcroît au don. Quand on dit Dieu d’abord, c’est soi-même qu’on reçoit par surcroît.




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On sent dans votre livre la volonté de prendre le lecteur par la main pour lui faire suivre tout un itinéraire : vivre d’abord, mourir parfois, mourir, ressusciter. Chaque étape semble avoir une valeur fondamentale et passer trop vite au mystère de la résurrection, ce peut être tromper la beauté de la vie ou la vérité de la mort. Pourquoi souhaitez-vous insister sur le temps qu’il faut et le chemin à traverser pour « intégrer la mort à la vie » ?
Le péché, c’est essentiellement une relation au temps. Le péché du philosophe, c’est la logique dans la mesure où elle ignore le temps. Dans le problème logique, tout est déjà là, il s’agit juste de le déployer. Alors que précisément il y a des choses qui ne se résolvent que dans le temps. Dire quelque chose de contradictoire, cela veut dire affirmer en même temps quelque chose et son contraire, comme l’explique Aristote.

Donc si l’on se situe dans le temps, que l’on sort de ce « en même temps », on peut comprendre que la mort peut être synonyme de vie. Il faut accepter la dimension du temps pour ça. C’est précisément pour cela que Dieu choisit de se révéler dans le temps. Le temps, c’est le grand drame de l’être humain et le péché, c’est vouloir se saisir d’une chose avant qu’elle nous soit donnée. Comme le disait très bien Tertullien, le mal, c’est l’impatience du bien. C’est l’impatience d’un bien qui va nous être donné, mais qu’on arrache. Il y a un temps de la conversion, une irruption de la vérité, un besoin de récit dans le temps. Par exemple, dans la personne de Caïn dans la Bible, le fait qu’il veuille s’installer dans l’espace, fonder une ville, c’est un refus de vivre dans le temps. Et ce n’est pas ce que Dieu veut. Dieu veut que l’on vive dans le temps, dans la durée, dans une histoire et non qu’on utilise l’espace comme une protection.

Nous avons déjà évoqué l’itinéraire que vous proposez : vivre, mourir et ressusciter. Ne peut-on pas y voir la forme par excellence du mystère pascal et de la vie du Christ ? N’est-ce pas Jésus Christ qui nous apprend à consentir à la mort non par dégoût de la vie mais comme l’occasion d’une ouverture à l’amour absolu ?
C’est le paradoxe sur lequel je réfléchissais à propos de la consolation. Soit on est au-dessus et ce qu’on dit n’a aucune valeur si ce n’est pour énerver celui qui souffre, en lui disant : ça ira mieux, tout ira bien, etc. Soit on se désole avec lui et l’on ne peut rien dire de plus que lui : c’est affreux, quelle horreur, etc. Il n’y a en réalité que Jésus qui puisse être vraiment consolateur : quand il rejoint l’homme dans sa mort, c’est pour y semer la vie et c’est en cela qu’il est le Dieu vivant. Pour lui et pour lui seul, choisir la mort, c’est accepter d’y semer la vie.

Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on ne peut pas et l’on ne doit pas posséder l’assurance de la vie éternelle. Elle reste un don, un don absolu. Cela rejoint la structure de la promesse. Je pense à mon fils qui me demandait : « Est-ce qu’on va à la piscine ? Est-ce qu’on va à la piscine ? » Je lui disais « oui » mais il voulait des garanties. Je lui ai dit : « Je ne peux rien faire de mieux que te le promettre. » J’ai compris que la promesse, c’est posséder quelque chose comme quelque chose que l’on ne possède pas. On possède une chose qui reste dans notre possession même le don qui vient d’un autre. Mon fils aurait voulu qu’on fasse un contrat. Mais non, ce n’est pas un contrat. Et il n’y a pas de contrat de résurrection. Cela reste un don absolument gratuit.

C’est peut-être un moyen de rejoindre ceux qui ne croient pas en Dieu : dire que notre connaissance de l’au-delà n’est pas une certitude ou un savoir objectif mais une promesse que l’on a reçue, la confiance que l’on fait à quelqu’un qui est venu auprès de nous. Elle n’est ni un dû ni une récompense. Oui, pour les gens qui ne croient pas, le fait de gagner sa place au paradis, avec un côté automatique, c’est vrai que ça les rend fous. Et ils ont raison, ce n’est pas ça l’espérance. Au fond, la religion catholique a toujours été en conflit avec l’idolâtrie, l’hérésie, plutôt qu’avec l’athéisme. Le marteau qui permet de détruire les idoles est salvateur. Le problème de Nietzsche, c’est qu’il semble en venir à idolâtrer son marteau. Cela me fait penser à un de mes étudiants qui respectait Dieu mais refusait les religions. C’est un phénomène assez répandu : il refuse que Dieu prenne corps. Il y a le risque de ne pas vouloir pervertir Dieu en faisant partie d’une Église. Or, justement, c’est en vivant la pauvreté de la vie en Église que l’on peut vivre une certaine vérité de Dieu.


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Il semble en fait que le plus grand adversaire du christianisme, ce ne soit pas l’athéisme, mais ce refus que Dieu s’incarne, cet apophatisme contemporain, qui refuse que l’on dise quoi que ce soit de Dieu, car ce serait l’abaisser ?
Oui, de même que les juifs pensaient au temps de Jésus que l’ennemi était l’occupant romain, alors que pour Jésus c’est un certain rapport à la loi. Ils se trompaient d’adversaire. On peut donc dire qu’accepter l’incarnation du Christ et accepter cette adhésion à un corps qui est l’Église, c’est un seul et même mouvement. Cela rejoint le combat contre le gnosticisme. C’est toujours le même adversaire, qui se pense angélique. Dire que la priorité des chrétiens, c’est d’investir l’Église comme corps, comme moyen de vivre la pauvreté de l’autre, le fait qu’on ne soit pas d’accord, qu’on ne ressemble pas, cela me parait important. C’est tout de suite plus concret. C’est la vie humble des paroisses. Cela me rappelle un échange que j’avais eu avec deux prêtres avec lesquels je partais en voyage à Rome : je leur avais demandé s’ils faisaient partie d’un mouvement chrétien en particulier. Ils m’avaient dit « oui, oui, bien sûr, c’est un mouvement qui s’appelle prêtre de paroisses » (rires). Être là et investi dans la simplicité et l’humilité d’une paroisse, c’est très important.

L’Église, c’est encore une forme de kénose. Dieu s’abaisse en arrivant comme un simple nourrisson. Il s’abaisse dans sa passion, sur la croix. Il s’abaisse en étant présent dans l’Eucharistie, là où il n’a même plus visage d’homme. Il s’abaisse encore en se rendant présent par son Église. L’Église participe de ce mouvement kénotique. On peut dire « oh il n’y a que des cheveux blancs etc. », mais c’est peut-être là la grandeur et la profondeur de Dieu. C’est près de ces cheveux blancs, de ces bancs clairsemés, que Dieu s’abaisse et c’est en étant là, à leur côté, malgré tout, qu’on peut faire l’expérience de Dieu la plus profonde.

Propos recueillis par Jules Germain. 

L’éternité reçue, de Martin Steffens, édition Desclée de Brouwer, 252p., 18,90 euros.

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