Harcèlement, pratiques déloyales, manipulation… Il est parfois difficile d’être chrétien, quand on baigne dans un univers contraire à ses valeurs. Comment concilier foi et travail ? Dans un livre, paru ces jours-ci, Magouilles et compagnie, aux éditions Quasar, Myriam Terlinden aide à se poser les bonnes questions.Que faire si on est confronté à un cas de conscience morale dans son entreprise ? Comment réagir si les procédés de la société ne sont par très « catholiques », ou orienté uniquement vers le gain à tout prix. Comment réagir ? Comment concilier ses valeurs, sa foi, et (parfois) les pratiques officieuses de l’entreprise ?
La magouille n’est pas une fatalité
L’auteur confie être de plus en plus confrontée, dans son cabinet, à des personnes qui souffrent de pratiques malhonnêtes dans leur entreprise et qui ne savent pas comment réagir : Laisser faire, au risque d’aggraver leur cas de conscience et leur malaise ? Résister, au risque de subir des pressions de plus en plus fortes ? Dénoncer, au risque d’être licencié et de bouleverser leur vie de famille ? Choix impossible à faire, pourrait-on penser. Mais Myriam Terlinden invite justement le lecteur à discerner, ce qui est malhonnête ou pas, ce dont on est responsable ou pas, si on peut agir ou pas, si le jeu en vaut la chandelle ou pas, et à user de son libre-arbitre et de sa liberté pour prendre les décisions qui correspondent à ses aspirations profondes, à son épanouissement personnel, à la vérité, au respect et à l’honnêteté. « La magouille n’est pas une fatalité », affirme-t-elle.
Les pratiques douteuses vis-à-vis des clients
Une entreprise, pour être pérenne, doit faire des bénéfices. C’est un fait. En revanche, le but économique justifie-t-il tous les moyens ? Où est la frontière entre des astuces commerciales et des pratiques déloyales (tromperie du consommateur) ? Entre des usages bien ancrés dans un secteur et la corruption ? Entre le conseil et l’abus de confiance ? Ces questions ne concernent pas uniquement les grands patrons. Chacun, à notre niveau, pouvons être confrontés à ce type de questionnement qui engendre parfois un véritable cas de conscience morale. Chacun de nous peut se trouver dans une situation concrète où des valeurs essentielles, universelles, telles que la vérité, l’honnêteté, la loyauté, sont mises à mal. Ce livre aide à y voir plus clair.
Les pratiques douteuses vis-à-vis des employés
Un des objectifs de l’ouvrage est de responsabiliser les décideurs, et de les inviter à respecter la dignité de chacun des employés. Combien de personnes souffrent-elles d’une pression exacerbée ? De manipulation ? De harcèlement ? Myriam Terlinden donne en exemple deux manières de gérer un licenciement pour motif économique, l’une qui respecte la dignité de la personne, l’autre non. La première méthode consiste à licencier, régler les justes indemnités, et accompagner l’ex-employé dans sa nouvelle recherche d’emploi. La seconde consiste à faire peser une telle pression sur les épaules de l’employé que ce dernier finit par craquer, et démissionner. De cette façon, l’employeur n’a pas d’indemnités à verser… Ici, la logique économique ignore complètement la dignité de l’homme.
Est-il utopique d’avoir une conscience morale en entreprise ?
Non, répond Ghislain Lafont, juge au tribunal de commerce de Paris : « Au bout de 40 ans de vie professionnelle, je suis convaincu que la moralité, en affaires, est possible. Cela implique une règle de vie personnelle. (…) Si vous cherchez à vous en tirer par la carabistouille, soit la justice des hommes vous dira stop, soit vous vous prendrez les pieds dans le tapis. Soit encore, si vous croyez en Dieu, il vous faudra lui rendre des comptes. Et enfin, si vous n’y croyez pas, vous n’échapperez pas à un grand rendez-vous avec vous-même. On peut se faufiler entre les mailles de la justice, pas entre celles de la conscience. »
Le témoignage de Pauline invite également à la vérité. En plus de correspondre à une éthique personnelle, la transparence lui permet d’établir des relations saines et durables avec ses clients ou ses partenaires : “Quand on m’a demandé de dire aux clients la semi vérité parce qu’il y avait un problème, j’ai préféré leur dire toute la vérité et leur expliquer le problème, et ils ont très bien compris. J’ai toujours trouvé des moyens autres que ceux parfois suggérés par ma hiérarchie, lorsqu’ils manquaient de transparence, afin de rester dans la vérité et de travailler en mon âme et conscience. Et puisque je ne cachais rien aux clients, eux non plus ne me cachaient rien ! ”
La réponse de l’Eglise : se mettre au service du bien commun
Le bien commun est une notion philosophique et politique qui désigne un bien partagé par les membres d’une même communauté. Son existence dépend du respect du bien de tous et de chacun. Il tend à concilier l’individualisme, qui se préoccupe des intérêts particuliers sans se soucier du groupe, et le collectivisme, qui prétend veiller à l’intérêt du groupe, sans prendre en compte les intérêts individuels. La prise en compte du bien commun est donc nécessaire si l’on veut concilier réalisme économique et justice sociale.
La Doctrine Sociale de l’Eglise fournit une réflexion sur la contribution des chrétiens à la vie économique, politique et sociale, en cherchant à accorder leur vie personnelle et leur vie en société, car nous ne pouvons pas tout cloisonner. Le Pape François écrit dans La Joie de l’Evangile : « On ne peut plus affirmer que la religion doit se limiter à la sphère privée et qu’elle existe seulement pour préparer les âmes pour le ciel. (…) La conversion chrétienne exige de reconsidérer spécialement tout ce qui concerne l’ordre social et la réalisation du bien commun. »
Construire une société plus juste et plus fraternelle relève de la responsabilité de chacun. Myriam Terlinden conclut en soulignant que la vocation de tout citoyen est de se mettre au service de la justice et de la paix sociale. « Cela demande parfois du courage, mais c’est ce qui donne la joie, la vraie. »
Magouilles et compagnie, Cas de conscience au travail : comment réagir ?, Myriam Terlinden, Editions Quasar, 12€, Juin 2017.