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Samir Geagea : “Les chrétiens doivent renforcer la position des forces modérées”

LIBAN; SAMIR GEAGEA

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Aleteia Liban - Ronald Barakat - Haytham Shlomo - publié le 06/06/17

Après son entretien avec le président de la République du Liban Michel Aoun à Rome, Aleteia a rencontré Samir Geagea, chef des Forces libanaises.

Aleteia : Au cœur des événements sanglants qui assaillent le Proche-Orient, les chrétiens de la région, et spécialement ceux de Syrie et d’Irak, souffrent de persécution collective. Quel est, à votre avis, le plan d’action qu’il faudrait mettre en place pour assurer la protection de ces communautés et leur retour à leurs terres ?
Dr. Samir Geagea : Tout le monde endure des souffrances en Syrie, en Irak et partout où sévissent les conflits au Moyen-Orient. Si on compare le nombre de victimes chrétiennes aux musulmanes, on remarque que le nombre de victimes musulmanes est de loin supérieur à celui des chrétiennes. Il existe une crise importante en Syrie, et une autre tout aussi importante en Irak, à commencer par la Syrie où une crise de régime en place s’est répercutée à la fois sur les chrétiens et sur les musulmans.

Certains peuvent s’imaginer, à tort, qu’une guerre est menée contre les chrétiens. En fait, c’est une guerre entre deux courants qui se déroule en Syrie : l’un extrémiste dictatorial et l’autre modéré et démocratique. Selon cette logique, les chrétiens, aussi bien que les musulmans, sont victimes de violence. C’est pour cette raison qu’il faut trouver le moyen de sauver tout le monde de cette crise que traverse le Proche-Orient. Il n’y a pas une solution seulement pour les chrétiens. On ne peut œuvrer pour le retour des chrétiens à leurs terres en Syrie avant de trouver une solution globale au conflit syrien et mettre en place les moyens pour reconstruire ce pays en entier.

Aujourd’hui, il est clair qu’avec tous ces conflits qui frappent la région, la tension entre musulmans et chrétiens s’intensifie, ce qui représente un danger pour leur coexistence. Comment peut-on la restaurer et promouvoir les valeurs sociales qui pendant longtemps étaient la particularité de cet Orient ?
Nous observons un problème de coexistence entre les différentes composantes des sociétés concernées, non seulement entre chrétiens et musulmans, mais également entre les musulmans, entre les chrétiens, et entre des factions chrétiennes et musulmanes. Pour restaurer les relations inter et intra-communautaires, il faut restaurer l’ordre général en Syrie, par le passage du régime politique actuel à un régime libre, démocratique et pluraliste.

La solution ne concerne pas seulement les chrétiens. On ne peut pas isoler la crise qui touche les chrétiens du reste du pays. Elle est une partie intégrante d’un problème qui englobe tous les groupes sociaux. Mais sur le plan humanitaire, il convient de soutenir les associations chargées d’améliorer les conditions de vie des déplacés et des réfugiés chrétiens qui ont fui les zones de combats.

Croyez-vous que les chrétiens de Syrie désirent un changement de système politique et l’instauration du nouveau régime que vous venez d’évoquer ou bien sont-ils convaincus par le régime actuel ?
Il est certain que les chrétiens de Syrie souhaitent l’instauration d’un nouvel État, mais la majorité qui se trouve dans les zones de conflits est impuissante et ne peut exprimer, ni sa volonté ni ses aspirations concernant l’avenir politique dans leur pays. Mais à y regarder de plus près, je pense qu’ils aspirent tous au changement.

En tant que leader politique chrétien au Liban et en Orient, votre discours influe certainement sur la situation des chrétiens de Syrie et des autres zones de conflits. Jusqu’à quel point prenez-vous ceci en considération pour éviter un impact négatif sur eux ?
Permettez-moi de remonter un peu dans le temps et de vous rappeler les événements de la Seconde Guerre mondiale au cours desquels le pape Pie XII n’a publié aucune déclaration sur la position du Vatican concernant les événements sanglants qui touchent le monde. Jusqu’à ce jour, les médias internationaux lui reprochent cette neutralité.

Nous sommes ici les vrais propriétaires de cette terre. Nous en sommes les autochtones et sommes déterminés à assumer nos responsabilités concernant les problèmes de cette région. À nous de faire preuve de détermination dans nos principes, nos propositions, notre éthique et nos croyances.

Nous sommes convaincus de la nécessité de l’instauration d’un État démocratique, pluraliste et libre en Syrie, quoi qu’il en coûte, et même si notre position devait nous coûter cher. Nous devons avoir une opinion claire et une position morale permanente à l’égard des problèmes que traverse le Moyen-Orient.

LIBAN; SAMIR GEAGEA
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Après la rencontre du pape François avec l’imam d’Al Azhar, en Égypte, et leur déclaration commune pour condamner le terrorisme, quelles sont, à votre avis, les mesures pratiques à prendre pour concrétiser cette condamnation à l’heure où des voix s’élèvent pour réclamer un dialogue islamo-musulman visant à réexaminer la rhétorique extrémiste et par conséquent adopter une position explicite à cet égard pour freiner le courant takfiri ?
Je pense qu’au cours des dernières années, un nombre suffisant de fatwas a été promulgué et publié pour contrer le courant takfiri. Quant à la déclaration commune entre le Pape et l’imam d’Al Azhar, elle trouvera sa concrétisation lorsque l’on comprendra que ce ne sont pas les chrétiens qui ont un problème, mais qu’il existe un problème dans la région entre l’extrémisme et la modération, lequel a des retombées sur tout le monde, y compris les chrétiens. Je pense que les musulmans modérés cherchent un allié dans le combat qu’ils mènent contre l’extrémisme, un allié pour les inciter et les encourager à réexaminer un grand nombre de concepts destinés à prévenir les nouvelles générations des interprétations erronées du Coran et des discours des compagnons du prophète. La solution réside dans la coopération entre tous les groupes modérés pour faire face à l’extrémisme. Par exemple, les sunnites libanais mènent une guerre farouche contre le terrorisme. Donc nous, chrétiens, ne devons pas nous isoler de cette confrontation, mais nous engager davantage au cœur du conflit pour renforcer la position des forces modérées.

Depuis le début du conflit libanais et au fil des années, des organismes occidentaux ont considéré que la guerre menée par les Forces libanaises qui incarnent la Résistance chrétienne au Liban s’inscrit dans le cadre du “jihad religieux”. Autrement dit, pour certains Occidentaux, vous avez porté les armes pendant la guerre mus par un certain fanatisme religieux. Que répondez-vous à ces gens qui, jusqu’à ce jour, n’ont pas compris ou n’ont pas su pourquoi les chrétiens du Liban ont porté les armes ? Si c’était par fanatisme ou non ?
Être à ce point incompris des autres est assurément grave. Nous n’avons certainement pas porté les armes par fanatisme religieux.

À cette époque-là, au Liban, il y avait un système bien établi, avec ses partisans et ses opposants. Mais il n’était ni possible, ni acceptable d’envisager un coup d’État ou un renversement de régime. C’est exactement ce qu’ont tenté de faire des groupes armés non libanais. Ils ont voulu s’emparer de l’État par la force, et utiliser le Liban comme base pour lancer leurs opérations et embraser la région, ce que nous avons refusé de manière catégorique. Pourquoi la plupart des Libanais ont-ils porté les armes à votre avis ? La réponse est claire : car ils ont vu que leurs régions et leurs maisons étaient menacées d’invasion. Si les Libanais n’avaient pas porté les armes, les forces étrangères se seraient emparées d’un grand nombre de régions libanaises. L’un des commandants palestiniens n’avait-il pas dit que “la route de Jérusalem passe par Jounieh” ? Donc, partant du droit de légitime défense nous avons porté les armes, et non pas par un quelconque fanatisme religieux.

Les chrétiens peuvent-ils s’engager dans un jihad particulier et tuer en légitime défense ?
Absolument ! Et la plus grosse erreur commise envers le pays au cours des années 75 et 76 est la fuite de certains Libanais et l’abandon de leur terre, au moment où leurs concitoyens étaient égorgés dans plusieurs régions, et où l’État était au bord de l’effondrement dans le but d’en instaurer un autre qui n’avait rien à voir avec le Liban, un État lié aux conflits du Moyen-Orient.

Donc moralement, selon vous, qui a démontré plus de patriotisme et d’attachement à sa terre ? Celui qui a tout sacrifié pour porter les armes et défendre sa région, ses villes, son peuple, ou celui qui a abandonné son pays pour s’installer en France ou tout autre pays européen et s’est targué d’avoir les mains propres, non souillées de sang ? Je considère que leur départ est le plus grand crime commis envers leur pays.

Pourquoi, à votre avis, cette perception est-elle encore floue pour les Occidentaux ?
Nous avons de tout temps été bombardés de critiques de la part de beaucoup de gens. Aussi bien des opposants à notre projet que des partisans qui prétendaient être dans la même tranchée et qui se sont révélés être des traîtres à la cause. De l’étranger où ils résident, ils promeuvent cette fausse image des Forces libanaises en l’associant au chaos et à la corruption.

Il est clair que votre image en Occident est le résultat d’une mauvaise communication. Votre équipe de travail essaye-t-elle de corriger cette perception pour faire valoir votre véritable image et faire connaître vos objectifs ?
Il est très difficile de changer une image qui est déjà bien ancrée dans l’esprit des gens. Au moment où nous étions sur le champ de bataille pour défendre notre identité, d’autres, des traîtres, s’employaient à fausser l’image des Forces libanaises, à nous représenter comme des factions cherchant à semer le trouble et la misère au Liban. En conséquence, notre acharnement à éviter la chute de nos régions aux mains de l’étranger est  passé inaperçu. À la fin de la guerre civile, l’ère de la tutelle syrienne commença et mon emprisonnement s’ensuivit. On nous a représentés comme des criminels qui attendent leur procès et personne n’a cherché à creuser pour connaître la vérité. Certains de nos compatriotes pour qui nous nous sommes sacrifiés nous ont reniés. Il ne faut pas chercher loin, du moment où l’analyse de la guerre médiatique, son interprétation et le récit des faits ont toujours été faussés ! Il est désolant de constater que les guerres et les affrontements menés par les chrétiens au Liban ont toujours opposé des groupes soudés et intégrés contre une partie seulement des chrétiens, et non pas tous. Aujourd’hui, nous sommes au cœur de l’action politique puisque les Forces libanaises font partie du gouvernement et de la vie parlementaire, représentées par trois ministres et huit députés à la Chambre, et constituent la couverture libanaise et chrétienne la plus notable, celle qui a permis à Michel Aoun d’accéder à la présidence.

La lutte contre la corruption fait la une de votre programme politique. Quel plan avez-vous mis en place et comment peut-on mettre l’éthique chrétienne à contribution dans le processus de réforme ?
Les principes chrétiens doivent être le moteur principal de lutte contre la corruption. On ne peut laisser passer le moindre cas ou soupçon de corruption. Pour cela, il suffit d’ouvrir l’œil sur tout ce qui se passe au Conseil des ministres, et de se saisir de tout projet suspect. Nous enquêtons sur toute affaire qui nous paraît louche et nous combattons jusqu’au bout celle qui s’avère contraire à l’intégrité. L’exemple le plus parlant est l’action récente des ministres des Forces libanaises dans le gouvernement actuel. Avez-vous jamais entendu parler, dans l’histoire du Liban, d’un ministre qui renvoie des employés de son ministère ? En l’espace de deux mois, le ministre des Affaires sociales a renvoyé 400 fonctionnaires, de même le ministre de l’Information, Melhem Riachi, qui a renvoyé 100 autres de son ministère qui ne fournissaient aucun service. Sans perdre de vue aussi les appels d’offres qui sont passés au crible.

Qui sont les partenaires des Forces libanaises dans la lutte contre la corruption au Liban ? Et que pensez-vous de la société civile, à un moment où on perçoit un certain conflit entre les partis politiques et ladite société ?
Nous ne sommes en conflit avec personne, mais avec l’état de déliquescence de l’administration. Nous sommes favorables à toute aide sur ce plan et prêts à joindre nos efforts avec ceux qui veulent combattre la corruption. Nous appuyons même les initiatives indépendantes des nôtres dans ce combat et toute action menée contre la corruption. Mais force est d’admettre que l’unification des efforts est susceptible de produire de meilleurs résultats.

Puisque votre foi chrétienne était le pivot de votre résistance, voire résilience, pendant votre période de détention [de 1994 à 2005, ndlr], comment avez-vous vécu cette foi pendant vos onze années d’isolement dans votre cellule, au niveau des sacrements, des lectures et des réflexions ?
Ma vie en prison était grandement consacrée aux prières, aux méditations, aux réflexions, aux lectures et à la pratique des sacrements. Ils pensaient m’avoir mis en prison, mais moi je me considérais dans l’ermitage avec saint Charbel. J’agissais en conséquence, et grâce à cette profondeur spirituelle j’ai mené une vie d’ermite, riche et intéressante, au point d’avoir redouté, au bout de deux ans, ma libération pour ne pas être soustrait à la profondeur de cet état spirituel.

Je recevais le sacrement de l’Eucharistie une fois par mois, sans pouvoir me confesser car la confession était interdite. Je méditais seul, puis prenais l’hostie que le curé me laissait à la fin de sa visite mensuelle. Je passais de longues heures à lire la Bible, les biographies des saints, tels que saint Charbel, sainte Élisabeth de la Trinité, etc., ainsi que divers livres spirituels.

LIBAN; SAMIR GEAGEA
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Reproduction de la cellule dans laquelle a été enfermé Samir Geagea.

Croyez-vous que les principes chrétiens sont importants dans la vie politique ?
Personnellement, je suis pour la séparation entre l’Église et la politique, mais par contre j’encourage l’intégration de la pensée et de l’éthique chrétiennes dans les principes de gouvernance durant l’exercice politique. Comme il est bénéfique de vivre en gardant à l’esprit la fameuse maxime du bienheureux Stéphane Nehmé qui disait “Dieu me voit”.

Quel message adressez-vous aux lecteurs d’Aleteia ?
N’ayez crainte de rien, car, en fin de compte, justice finit par triompher et, quoi qu’il arrive, Dieu est présent et c’est Sa volonté qui prévaut en toutes choses.

Propos recueillis par Haitham Shlomo Al-Chaer et Ronald Barakat.


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