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“On travaille pour vivre et non l’inverse”

HOMME EN TRAIN DE TRAVAILLER

© Pixabay

Thomas Renaud - publié le 06/06/17

Burn-out, sur-activité, perte du sens, Hélène Michon, maître de conférences et membre de l’Opus Dei, nous parle de la sanctification du travail.

Aleteia : En fondant l’Opus Dei, saint Josémaria Escriva a laissé une place centrale au travail, quelle était l’originalité de son intuition ?
Hélène Michon : Comme il le disait lui-même, l’esprit de l’Opus Dei n’est pas original au sens strict « mais vieux et nouveau comme l’Évangile ». Si nouveauté il y a, c’est dans l’accent porté sur le lien profond entre travail et prière, souvent juxtaposés dans la tradition chrétienne depuis « Ora et labora». Pour saint Josémaria, d’un côté la messe est travail de Dieu, de l’autre, l’étude ou le travail est prière. Cela dit, la force de l’esprit de l’Œuvre consiste, fondamentalement, dans la mise en pratique : pour que le travail devienne prière de manière effective, il faut qu’il soit bien fait, (sanctification du travail) et offert à Dieu. Chacun doit en faire une forge de vertus pour lui-même (se sanctifier dans son travail) et une occasion de charité, de service (sanctifier les autres par le travail).

La sanctification par le travail paraît difficile lorsqu’un emploi est aliénant : pensons à l’ouvrier sur sa chaîne de montage, à la caissière de supermarché… Ne faut-il pas également dénoncer cette aliénation pour stopper la machine à broyer les âmes ?
Chercher à bien faire son travail et à s’améliorer intègre la recherche légitime de bonnes conditions de travail, qui satisfont à la vertu de justice. Saint Jean Paul II, dans sa grande encyclique Laborem exercens, où l’on perçoit son expérience personnelle du travail en usine, a clairement rappelé les conditions pour qu’un travail soit humain. Il doit ainsi être au service de l’homme et pas l’inverse. La sanctification du travail passe donc aussi par la poursuite de la justice sociale et de la solidarité, par un exercice juste de l’autorité : pas de sainteté sans préoccupation du collègue ou du subalterne.

Certaines critiques viennent reprocher à l’Opus Dei un certain fatalisme, en invitant chacun à accepter sa situation, aussi aliénante soit-elle. Est-ce une incompréhension ?
Comme le dit la sagesse populaire « le ciel n’est pas sur terre », adaptation libre de l’affirmation du Christ dans l’Évangile : « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Mc, 14, 7). Toute utopie qui voudrait nous faire croire que l’on peut ramener le ciel sur la terre, risque de faire couler beaucoup de sang. Benoît XVI l’a d’ailleurs rappelé dans Spe Salvi. Mais si le ciel n’est pas sur terre, le message évangélique encourage tous les baptisés à promouvoir et bâtir une société incarnant les valeurs évangéliques ou s’en approchant. Le soin du pauvre et du plus faible, la recherche du bien commun sont donc loin d’être secondaires. Le chrétien, et donc le membre de l’Opus Dei, doit concilier l’investissement dans la cité des hommes — pierre de touche d’une vie spirituelle dans le monde — et le désir de la Cité de Dieu.

La spiritualité de la sanctification par le travail a-t-elle modifié votre vie ?
Ayant connu l’Opus Dei adolescente, je n’ai pas l’expérience d’un changement dans ma perception du travail professionnel. En revanche, j’ai pris très vite conscience que le travail universitaire (Hélène Michon est maître de conférences en littérature française à l’université de Tours NDLR) peut occasionner un fort individualisme (on travaille plutôt seul) et une tendance à la surestime de soi (on travaille souvent pour soi). De ce point de vue, ma vocation est un stimulant et un rappel constant que tout travail est un service et que c’est avec cette mentalité qu’il convient d’aborder non seulement les cours dispensés aux étudiants mais la recherche universitaire elle-même.

Les occidentaux sont de plus en plus soumis au stress et au « burn-out ». Le constatez-vous également dans votre entourage professionnel ? Pourtant il n’y a jamais eu autant d’ouvrages sur le développement personnel. Fait-on fausse route ?
Il est vrai que, dans mon domaine aussi, la concurrence est forte, poussant à une augmentation des publications qui peuvent finir, à terme, par nuire à la qualité du travail. Sans doute faudrait-il revenir à l’antique distinction entre scientia, source de l’érudition et de toute avidité insatiable de savoir, et la sapientia, sagesse qui recherche le savoir pour mieux vivre. Il est certain que l’on manque de sages aujourd’hui qui pourraient nous rappeler que l’on travaille pour vivre et non l’inverse. Peut-être que cette frénésie de l’action cache une certaine angoisse, celle de ne savoir pourquoi nous sommes là et de vouloir y répondre à notre manière, en cherchant désespérément à nous rendre indispensables, alors qu’au fond, nous savons bien que nous ne le sommes pas, sauf aux yeux de Dieu mais il faudrait pour cela, être sûr qu’Il existe.

Les reconversions tardives sont nombreuses et souvent liées à une (re)conversion spirituelle. Tel banquier se fait tailleur et tel contrôleur de gestion se fait charpentier. Chercher un métier qui a du sens avant de chercher celui qui rapporte, guider nos enfants en ce sens, n’est-ce pas le meilleur chemin pour parvenir à « l’unité intérieure » qu’évoque si souvent saint Josémaria dans ses écrits ?
Oui, l’économique a aujourd’hui, tout envahi, et l’on a tendance à se préoccuper essentiellement du matériel. Pourtant, une fois les conditions légitimes de bien-être étant acquises, il convient de savoir s’arrêter, dans la consommation comme dans la production. Je souscris à l’appel du philosophe Pierre Rabhi, qui demande une “insurrection des consciences” contre ce matérialisme débridé et fait l’apologie de la sobriété heureuse. Un travail qui a du sens, et dont la dimension de service est tangible, s’il fournit les conditions de cette sobriété heureuse réclamée par Rabhi, peut effectivement faciliter ce chemin vers la vertu.

Quelle place joue la prière dans votre journée de travail ? Et la méditation ?
Chronologiquement et affectivement la prière occupe la première place dans ma journée, même si quantitativement elle est moindre que les heures passées à ma table de travail. Placés tôt le matin et en fin d’après d’après-midi, mes moments d’oraison sont des moments de récupération, de paix, de ressourcement auprès du Dieu et de l’Évangile. C’est aussi le moment de l’examen de conscience. La prière agit comme un baume et comme un correctif : elle m’apprend silencieusement à me remettre en cause et ouvre au dépassement de moi-même.

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