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La foi, l’Église, les catholiques : Macron et Le Pen dans le texte

FRANCE ELECTION

© Alexandros Michailidis / SOOC

Charlotte d'Ornellas - publié le 04/05/17

Dans la perspective de l’élection présidentielle, le journaliste Samuel Pruvot a rencontré les différents candidats pour aborder avec eux les questions spirituelles. Ces échanges sont réunis dans "2017. Les candidats à confesse" (Le Rocher). À l’approche du second tour, il revient pour Aleteia sur ses échanges avec les deux finalistes : Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

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Aleteia : Marine Le Pen et Emmanuel Macron sont deux personnalités politiques très différentes que l’on ne cesse d’opposer pour des raisons programmatiques. Vous les avez rencontrés. Quel est le trait de personnalité qui les différencie le plus ?
Samuel Pruvot : C’est sans doute la psychologie des personnages.

Marine Le Pen semble vraiment être une combattante résiliante. Elle a résisté au nom qu’elle porte, à sa propre histoire, à son propre destin politique. On a l’impression d’une perpétuelle Jeanne d’Arc que l’on remettrait encore et encore sur le bûcher sans qu’elle abandonne, et qui en renaîtrait. Entre Jeanne d’Arc et le phénix !

Il y a aussi chez Marine Le Pen une souffrance assumée, et donc une forme de dureté.

Chez Emmanuel Macron à l’inverse, on ressent une sorte d’assomption perpétuelle. Comme si ses talents manifestes se déployaient au fur et à mesure de son histoire, séduisaient son entourage… jusqu’à lui-même. Pour prendre là encore une image, on a l’impression d’une béatitude terrestre qui ne serait pas combattive du tout, mais auto-contemplative finalement.

En résumé, Marine Le Pen semble sans cesse défendre et se défendre tandis qu’Emmanuel Macron semble attirer à lui tous ceux qui l’approchent.

Un tel destin est forcément motivé par des événements, une éducation, une histoire… Qu’est-ce qui les a menés l’un et l’autre à cette intense vie politique ?
Chez Marine Le Pen, on pense immédiatement à la famille, à son père… Cela a évidemment eu une influence mais ce qu’elle répète et qu’elle écrivait déjà dans son livre À contre-flots, c’est que sa naissance à la conscience politique s’est faite par l’attentat qui a failli coûter la vie à son père mais également à toute sa famille.

Elle n’avait même pas 10 ans lorsqu’elle a compris que l’engagement politique de son père pouvait comporter des dangers allant jusqu’à la mort physique. Cela peut nous paraître hallucinant parce que la politique française se résume normalement au débat et n’est pas habituellement une question de vie ou de mort… Mais c’est son histoire.

Chez Marine Le Pen, la naissance à la vie politique est donc brutale, sans qu’elle n’en soit d’ailleurs responsable.

Chez Emmanuel Macron, la naissance politique se fait avec la découverte du savoir et de la littérature : il comprend ainsi que la politique est une façon de réussir, que c’est une voie d’excellence.

Là encore, son livre Révolution nous apprend que pour lui, on doit choisir sa vie : il fait des choses que les autres ne font pas et la politique est une voie d’accomplissement et d’ascension personnelle. Il n’y a pas chez lui de révélation qui le pousse un jour à se mettre au service des autres. Il n’a pas non plus de mystique du service de l’État, ce n’est absolument pas la logique dans laquelle il s’inscrit.

Marine Le Pen a reçu une éducation religieuse, Emmanuel Macron a demandé le baptême à 12 ans… Quel est le rapport de l’une et de l’autre à la foi, à l’Église et aux catholiques, qui ne sont d’ailleurs pas forcément cohérents entre les trois… ?
Je vais commencer par le plus intime avec ce qu’ils m’en ont dit.

Emmanuel Macron se dit aujourd’hui « redevenu » agnostique. Au moment de la pré-adolescence, il avait en effet découvert la foi par l’intermédiaire des père jésuites d’Amiens mais il précise, et c’est intéressant, qu’il était déjà à l’époque bien plus en phase avec l’aspect intellectuel de la foi qu’avec sa composante spirituelle.

Lorsque l’on évoque avec lui Saint Ignace par exemple, il arrive parfaitement à situer le personnage, ses exercices spirituels… mais on sent qu’il n’a pas dû souvent les pratiquer ! Cela reste cependant des connaissances rares dans le monde politique : il y a une vraie culture religieuse, c’est indéniable.

Et puis il faut reconnaître aussi qu’il ne dit pas de mal de l’Église. Or il est de bon ton, et notamment dans la classe politique, de se démarquer autant que possible de l’Église, de sa foi ou du catholicisme. C’est une sorte de maladie honteuse dans ce milieu là mais ce n’est pas un phénomène auquel cède Emmanuel Macron.

Il est d’ailleurs assez diplomate avec l’Église et n’a aucun compte à régler avec elle. C’est pour lui comme une vieille tante qu’il n’aurait pas vue depuis longtemps, qui est sortie de sa vie mais pour qui il garde une ancienne affection.

Chez Marine Le Pen, il y a une éducation religieuse indéniable, elle dit elle-même qu’elle a reçu, étant petite, « le minimum vital » au catéchisme.

Mais il y a chez elle, aujourd’hui, des éléments de foi bien vivants. Elle m’a notamment parlé de la Sainte-Vierge, ce qui peut trancher avec l’image assez dure que l’on se fait de Marine Le Pen. Elle a confié ses enfants à la Vierge, elle portait enfant une médaille… Elle parle aussi dans son livre d’une amie d’enfance très pratiquante qui l’entraînait à faire beaucoup de choses. Marine Le Pen observait par exemple le Carême, elle se privait de bonbons… Cela peut sembler anecdotique mais prendre au sérieux l’inscription de la vie religieuse dans sa vie quotidienne n’est pas rien, surtout à l’adolescence.

Mais il est fondamental de comprendre aussi qu’il y a chez Marine Le Pen une grande blessure vis-à-vis des hommes d’Église aussi bien que vis-à-vis de l’Institution. Soit parce qu’elle a senti chez des prêtres une hostilité parce qu’elle s’appelle Le Pen, soit parce qu’elle a réalisé en grandissant que chaque fois que l’Église prenait la parole dans le champ politique et venait à parler de son parti, c’était pour montrer l’incompatibilité entre l’identité catholique et le Front national.

En clair, l’Église catholique est une institution ou des hommes qui lui font mal. Il est plus douloureux pour elle de se faire accuser des pires intentions par des hommes d’Église que par des opposants politiques.

Et j’ai d’ailleurs eu une illustration très étonnante de cela lorsque j’ai parlé avec elle du pape François. Je m’attendais à ce qu’elle me dise qu’il ne comprenait rien aux problématiques migratoires mais elle a très peu développé cet aspect. Elle m’a simplement dit qu’elle avait été très touchée par l’année de la Miséricorde qui lui avait fait retrouver ce qu’elle avait « compris de la religion catholique ».

Il y a donc chez elle, vis-à-vis de l’Église, un grand intérêt mais aussi une blessure manifeste.

Outre ce qu’ils en pensent personnellement, quelle conception de la laïcité et de la légitimité de l’Église catholique à intervenir dans le champ politique portent ces deux candidats ?
La réponse semble finalement assez contradictoire avec ce que je viens de vous dire.

Emmanuel Macron, qui est donc assez indifférent à ce que peut bien être ou dire l’Église considère en revanche qu’elle porte — comme toutes les grandes religions d’ailleurs — une cohérence qui existe y compris dans le champ politique et qu’un homme politique doit donc en tenir compte.

Un journaliste lui avait demandé s’il était normal pour lui qu’un croyant puisse être mal à l’aise avec certaines lois de la République. Il avait immédiatement répondu qu’il comprenait qu’il y ait pour les croyants une transcendance inviolable et par conséquent au-dessus de toute loi.

Aucun politique ne dit jamais ça en France. Certains diront que ça fait le jeu de l’islamisme mais Emmanuel Macron reconnaît qu’il existe la loi de Dieu et la loi des hommes, et comprend que ce n’est pas la même chose ni la même hiérarchie pour certains.

Je pense donc qu’il comprend que l’Église a une source d’autorité morale importante pour les catholiques et que si elle venait en conflit avec la loi — mariage pour tous, la GPA ou l’euthanasie — les croyants refuseraient naturellement de confondre le légal et le moral. Lui-même affirme d’ailleurs que le légal et le moral ne sont pas forcément liés.

Emmanuel Macron le reconnaît, mais n’y adhère pas. Il est d’une autre philosophie, qui considère que la Vérité est inaccessible et qu’il faut juste chercher le consensus afin que les hommes parviennent à vivre ensemble sans se taper dessus.

Chez Marine Le Pen en revanche, la conception de la laïcité correspond beaucoup plus à son profil psychologique.

Elle reconnaît volontiers l’héritage du christianisme sur les plans culturel ou civilisationnel, mais préfère nettement que la religion demeure dans la sphère privée et ne s’impose pas au politique. Marine Le Pen reconnaît intuitivement l’autorité morale de l’Église mais refuse qu’elle s’exprime dans le champ politique. Cela s’explique sans doute par son exaspération des condamnations régulières d’hommes d’Église envers le Front national.

Le problème c’est qu’une autorité morale qui reste dans la sphère privée entretient en réalité le communautarisme.

Quand il y a des conflits de ligne ou de prises de positions, ce qu’on a parfois vu avec sa nièce Marion Maréchal Le Pen, Marine Le Pen a tendance à trancher avec une vision assez dure de la laïcité. Pas anticléricale mais assez radicale : la religion n’a pas de droit dans le domaine politique.

Qu’avez-vous pu saisir de leur rapport au pouvoir ?
C’est une question finalement assez intime et je vais donc vous dire ce que j’en ai perçu à partir de ce qu’ils m’ont dit eux de leur relation au pouvoir.

On sent chez Marine Le Pen une sorte de détachement douloureux par rapport au pouvoir. Elle a un destin, un nom de famille, les qualités nécessaires, la bonne place au bon moment, et elle se doit donc de répondre présente. Elle m’a répété plusieurs fois que le pouvoir n’était pas pour elle une affaire de jouissance ou de reconnaissance personnelle mais une question de devoir. Elle a même employé un mot religieux en parlant souvent de sacrifice.

Il faut se souvenir de cet attentat qui a éveillé Marine Le Pen à la politique : elle conçoit l’engagement politique jusqu’à la mort. On doit être capable, pour elle, de mourir pour ses idées.

Alors bien sûr, elle ne serait pas là où elle est si elle ne désirait pas follement le pouvoir, mais il est d’abord conçu comme un sacrifice et non comme un accomplissement personnel.

Chez Emmanuel Macron, j’ai été étonné de constater qu’il se défendait immédiatement d’une idée que j’avais en tête et qui était celle d’une ambition intarissable. Emmanuel Macron, le jeune homme talentueux et couronné de succès qui serait prêt à tout pour devenir président avant ses 40 ans.

En réalité, il répond très clairement qu’il n’est pas prêt à tout sacrifier, et certainement pas sa vie de couple notamment. C’est une réponse qu’il a formulée alors que je lui faisais parler de son épouse, en lui demandant si elle avait une place particulière dans sa vie politique. Il m’a répondu qu’elle était sa boussole, notamment dans les épreuves et qu’elle primait donc sur le reste.

Je n’ai pas tellement de mal à le croire lorsque je vois les décisions qu’il a été capable de prendre, notamment avec cette femme qu’il a imposée à son entourage malgré la complexité de la relation. Et il n’y renoncera pas contre le pouvoir.

Cette position semble parfois contradictoire parce qu’il est légitime de se demander si l’on peut aspirer à devenir président de la République tout en gardant des zones franches et des forces que l’on ne consacrerait pas au combat politique.

Un président de la République ne s’appartient plus tellement et il y a dans ce rôle une part inévitable de sacrifice pour donner raison à Marine Le Pen sur ce point. Cela pose en tous cas une vraie question.

Propos recueillis par Charlotte d’Ornellas.


2017. Les candidats à confesse de Samuel Pruvot. 2017, 8,90 euros.

Tags:
ÉlectionsEmmanuel Macronmarine le pen
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