Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle placent les électeurs devant deux projets de société diamétralement opposés. Jamais fossé ne fut plus grand entre deux candidats. Jamais la France ne s’est retrouvée si divisée. Sans donner de consigne de vote, le pape Benoît XVI avait en son temps proposé trois principes non-négociables à connaître pour voter en conscience. Éclairage de Jean Soubrier, président de l’institut Léon Hamel.
Afin d’éclairer en conscience le vote des fidèles, le cardinal Ratzinger avait, dans sa « Note Doctrinale sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique », établi en novembre 2002 une liste de principes non négociables pour tout électeur catholique. Au-delà des clivages partisans et des idéologies, le cardinal Ratzinger a proposé aux catholiques une série de points non-négociables et transpartisans. Citant au passage l’encyclique Gaudium et spes, l’actuel pape émérite a rappelé que « l’Église catholique n’est liée à aucune forme particulière de culture humaine, de système politique, économique, ou social ». En d’autre terme, l’Église catholique n’a pas vocation à donner une caution morale à tel système ou tel parti politique. Mais le cardinal Ratzinger a néanmoins apporté quelques précisions sur l’engagement du chrétien en politique…
La protection de la vie
La défense de la vie de sa conception à sa mort naturelle. A ce sujet Benoit XVI avait déploré en 2006 que « Les immenses progrès de la technique ont bousculé bien des pratiques dans le domaine des sciences médicales, tandis que la libéralisation des mœurs a considérablement relativisé des normes qui paraissaient intangibles »
La défense de la famille
C’est-à-dire la défense de la famille comme structure naturelle d’union entre un homme et un femme fondée sur le mariage.
«Je désire inviter tous les chrétiens à collaborer, avec cordialité et courage, avec tous les hommes de bonne volonté qui exercent leurs responsabilités au service de la famille, pour que, unissant leurs forces et dans le pluralisme légitime des initiatives, elles contribuent à la promotion du véritable bien de la famille dans la société actuelle » (Benoit XVI à Valence le 9 juillet 2006)
Liberté d’enseignement pour les parents
« La garantie de liberté d’éducation des enfants est un droit inaliénable des parents, reconnu entre autre par les Déclarations internationales des droits humains ». Note Doctrinale sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique (Cardinal Ratzinger novembre 2002).
L’Église à l’épreuve de la République
Pour Jean Soubrier, président de l’Institut politique Léon Harmel*, la réflexion ne doit pas se limiter à ces trois seuls points. Pour ce spécialiste du catholicisme social, la Note Doctrinale du cardinal Ratzinger n’est qu’une partie de la contribution de l’Église au débat politique. Le pape Léon XIII (1878-1903), par l’encyclique judicieusement appelée « Rerum Novarum » (Les choses nouvelles), sensibilisait déjà les fidèles aux questions sociales il y a plus de 100 ans. Née de l’industrialisation et de la paupérisation de la classe ouvrière, elle a surtout a posé les bases du “ralliement” des catholiques à la République. Ce christianisme social, né en France sous l’impulsion notamment d’Albert de Mun et Léon Harmel a donc jeté la première passerelle entre les catholiques français et la République “laïcarde”.
Des points non négociables ou non négligeables ?
La tentation de faire table rase d’un “système” dépassé et de reconstruire les institutions à neuf fait bien des émules. Pour Jean Soubrier, le constat est clair : « les mouvements politiques mêmes les plus extrêmes seront rattrapés par les réalités de la vie élective et s’apercevront que le compromis est nécessaire ». L’heure est à la lucidité. Sans compromis, aucun candidat ne remporterait le suffrage de tous les catholiques puisque pas un seul d’entre eux n’applique à la lettre la Doctrine sociale de l’Église. Mais le devoir citoyen de tout chrétien qui se respecte demeure : aller déposer un bulletin dans l’urne afin de rendre à César ce qui lui revient.
Pour Jean Soubrier, les grands débats sociétaux et politiques qui mobilisent les catholiques depuis cinq ans ne doivent pas occulter les enjeux sociaux. Des enjeux fondamentaux bien que moins visibles et qu’il serait bon de ne pas oublier car ils sont consubstantiel à la foi catholique : « Je constate qu’une grande part des catholiques considèrent qu’il faut être dans la posture guerrière pour gagner. N’oublions pas toutes les initiatives qui sont menées au profit des plus défavorisés. Prenez les colocations solidaires par exemple, elles sont l’application concrète de la notion de Bien commun… Le bien ne fait pas de bruit et le bruit ne fait pas de bien. »
L’auteur de La vie morale, une bonne nouvelle (éd. de l’Homme nouveau, juin 2015) va plus loin. Citant l’américain William Cavanaugh, il martèle “Le chrétien n’est ni un pacifiste ni un va-t-en-guerre. Le chrétien est un traversant et pas un résistant. C’est d’autant plus vrai qu’il est totalement libre. Moïse, le guide et libérateur d’Israël n’a pas envahi l’Égypte ni ne s’est arrêté face aux éléments déchaînés : il les a traversés. De même que l’Église a résisté face aux invasions barbares ni empêché la chute de Rome, elle traversera les périodes les plus tumultueuses de l’Histoire et se maintiendra.”
« Amen, je vous le dis : aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays. Au temps du prophète Élie, lorsque qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ; pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien chez une veuve étrangère. Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien un Syrien. »
À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux. Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas. Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin. (Luc 4, 24-30)
* Léon Harmel (1829-1915) fut l’un des fondateurs du catholicisme social en France et l’inspirateur de la doctrine sociale de l’Église. Proche du pape Léon XIII, il lui inspire de nombreux points de l’encyclique Rerum novarum, publiée le 15 mai 1891.