Ce dimanche aura lieu le premier tour de l’élection présidentielle. Chaque scrutin permet de s’interroger sur le sens de son vote : pourquoi voter, comment voter ? C’est surtout l’occasion de réfléchir à sa responsabilité politique. Car l’élection est un acte politique avant tout. « Politique », pas religieux, ni même moral.
Une tentation revient toujours à chaque élection chez les citoyens de conviction : voter pour le bien, ou contre le mal. Autrement dit, choisir comme si le bien et le mal dans la société dépendaient des urnes. Cette vision relève d’un moralisme inspiré par un certain relativisme démocratique : le bien et le mal ne dépendent d’aucune majorité.
L’élection est un acte purement pratique, qui n’a rien de sacré. Quand on vote, on ne donne pas son opinion, on n’exprime pas un désir, on fait un choix : ce choix a pour objet de trancher entre plusieurs options possibles afin de désigner un élu qui devra gouverner avec l’autorité requise. Ni plus, ni moins. Quand la démocratie tend à se considérer comme une norme morale en elle-même, il n’est pas inutile de rappeler la dimension avant tout technique de l’élection, aussi digne soit-elle.
La tentation idéologique
En désignant les responsables de la cité, le citoyen électeur n’abdique pas sa responsabilité. Celle-ci doit s’exercer chaque jour à travers toutes ses décisions et ses engagements. Une politique transférée aux seuls élus serait plus ou moins despotique.
Il en va de la politique intérieure comme de la politique étrangère. Si la politique consiste à défendre des valeurs, et non poursuivre des intérêts, ses acteurs finissent toujours par basculer dans l’idéologie et la démesure. La politique se réduit au conflit : les protagonistes ne sont plus que des adversaires, même s’ils partagent les mêmes buts ! L’engagement se définit comme une lutte.
A contrario, dans la perspective de la politique classique, ni idéologique ni doctrinaire, chercher l’intérêt de sa communauté, comme lorsqu’il s’agit de son intérêt propre, commande toujours la modération, et un compromis dans la paix pour progresser utilement.
La politique est un service
Ainsi, pour un chrétien, la politique n’est pas un message, mais un service. Faire progresser le bien, avec les moyens du bord, et la sérénité de ceux qui savent que la politique n’a pas les promesses de la vie éternelle : « Des pauvres, vous en aurez toujours parmi vous » (Jn 12, 18).
L’enjeu n’est pas de construire un modèle, mais de rendre service dans la société telle qu’elle est. Et pour que la société change — Dieu sait si elle en a besoin — le premier service à apporter, c’est de libérer la société des idées qui dressent les hommes et les peuples les uns contre les autres, quand leur bien est au contraire de s’entraider les uns les autres : la paix est la première condition du bien commun.
On objectera qu’on ne peut faire de la politique sans conviction. Oui ! mais la politique ne consiste pas d’abord à proclamer des convictions : il n’y a pas de politique sans action. La conviction guide l’action, elle ne l’éteint pas, ni ne l’enferme dans un hypothétique résultat électoral. C’est ainsi que saint Jean Paul II définit la doctrine sociale de l’Église : « une orientation pour l’action ». On ne vote donc pas pour ses convictions, on vote pour les rendre possibles et opérantes. C’est en progressant dans la société que le bien progressera dans les partis, et non l’inverse.
Choisir un homme
Alors, qui choisir ? Non pas des valeurs, ni un parti, mais un homme qui devra gouverner. Les programmes ont leur importance, mais ils n’ont de valeur que par rapport aux hommes qui peuvent les mettre en œuvre, et leur vision de l’homme, de la politique et de la société. Le futur élu doit se juger sur ses capacités personnelles de gouvernement (son expérience, ses compétences, sa capacité de décider) ainsi que sur sa capacité politique à réunir une majorité parlementaire.
Voter pour un candidat qui n’a aucune chance n’apporte rien, sinon une voix de moins à celui qui peut empêcher le candidat le plus dangereux d’être élu. L’effet dynamique d’un nombre de voix inutiles pour une élection, mais qui amorce un mouvement de conquête est un argument : c’est celui des partisans qui espèrent progresser. La raison se plaide, mais elle doit s’apprécier dans le temps : il est parfois contre-productif d’afficher sa faiblesse numérique. En tout état de cause, le critère moral est celui-ci : son vote ne doit pas aggraver la situation.
Quoiqu’il arrive, il y aura un élu, et cet élu disposera du pouvoir. Son élection entraînera une dynamique parlementaire positive ou négative qu’il faut anticiper. Un citoyen responsable ne peut pas se laver les mains le soir du scrutin, comme si son devoir était rempli pour cinq ans. C’est au lendemain de l’élection que tout commence, pour l’élu, et pour l’électeur qui reste citoyen. Entre eux, si leur volonté est de servir le bien, il faudra coopérer. C’est le bien commun qui commande, et le bien commun, c’est le meilleur possible pour tous.
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