Je suis un jeune Parisien de bientôt 25 ans que rien ne destinait à se tourner un jour vers cette chose indistincte et que j’appelais jusqu’à récemment encore « la religion ». Pourtant, depuis bientôt deux ans, je me considère comme catholique – et je serai très prochainement baptisé.
Je dois dire que mon entreprise fut avant tout guidée par la volonté d’imiter un ami dans sa démarche. Un peu maladroitement, je décidai de me priver de toute nourriture sucrée, dont je raffole. Après deux jours passés avec succès à l’écart de tout gâteau et de tout dessert, je succombai sans même m’en apercevoir. À vrai dire, j’avais oublié que j’étais supposer jeûner. Je ne m’en rendis d’ailleurs compte que quelques jours plus tard en engloutissant un biscuit.
La seconde tentative fut plus heureuse. J’étais dans une ville étrangère, loin de ma famille et de la plupart de mes amis, au cœur d’un hiver rigoureux comme en connaissent les pays d’Europe continentale. Je pris la décision de renoncer à toute consommation d’alcool. Sans dire que celle-ci égalait en fréquence ma consommation de gâteaux, elle l’égalait au moins en plaisir, et il me semblait donc qu’il s’agissait là d’un sacrifice important.
Une amie avait, cet hiver-là, avantageusement décidé de se priver, pendant tout le Carême, de fromage. Choix étrange, qui lui permettait ainsi de « faire d’une pierre de coup », en entamant un régime à l’approche de l’été tout en faisant de ses repas des repas « maigres ». Sans juger de la pertinence d’un tel choix, il apparut bien rapidement que ni elle ni moi ne pûmes tenir nos engagements. L’appel du chèvre et de la vigne fut trop fort pour les deux Français que nous étions, exilés en terre étrangère.
Cet échec, néanmoins, me causa du souci. Car j’avais dans l’ensemble plutôt bien réussi mon jeûne. Mis à part quelques écarts, je n’avais pas le sentiment de m’être laissé emporter. Mais je n’avais pas non plus le sentiment d’avoir réellement fait Carême. Quelque chose d’étrange avait dépourvu ma démarche de profondeur. J’avais évidemment cru qu’un simple régime alimentaire modifié suffirait à donner un sens au Carême, sans réaliser que si l’esprit n’est pas dans une disposition favorable, aucun jeûne n’y peut rien changer.
Cette expérience ne fut pas inutile, et me permit d’entamer, la troisième année venue, un jeûne différent. Cette fois, ni aliment interdit, ni privation de biscuits. Je décidai de refuser toute invitation à déjeuner ou à dîner, de réduire tous mes repas à de brefs moments uniquement destinés à m’alimenter – et non à tirer un quelconque plaisir. De cette manière, le jeûne s’appliquerait certes à mon corps, mais surtout à mon esprit, qui se trouverait plongé dans une forme d’austérité saine et propice à la prière et à la méditation.
C’est à cette occasion que je ressentis certains effets positifs de ces privations sur l’esprit. Je me trouvai étrangement disponible, plus souvent absorbé dans des pensées qui me tournaient vers les autres. Il serait bien prétentieux d’en vouloir tirer quelque conclusion quant aux liens qu’entretiennent la chair et l’âme – la plupart des chrétiens les ont déjà ressentis. Et même si je dus céder une ou deux fois, jamais je n’eus à ce point l’impression d’être parvenu à l’approfondissement et au détachement que j’avais vainement recherchés les années précédentes en ne pensant au jeûne que sous son aspect formel.
« Mais quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra ». (Matt 6, 6)