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Jean-Baptiste Noé : “Le problème du système scolaire actuel, c’est son caractère monopolistique”

© MARTIN BUREAU / AFP

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Charles Fabert - publié le 22/03/17
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Professeur au collège, Jean-Baptiste Noé publie “Rebâtir l’école, plaidoyer pour la liberté scolaire” aux éditions Bernard Giovanangeli. Entretien (1/2).

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Aleteia : Comment expliquer la hausse des dépenses dans le secteur de l’éducation alors que les résultats sont toujours plus mauvais ?
Jean-Baptiste Noé : L’Éducation nationale est le premier poste de dépense de la France : 146 milliards d’euros de dépenses annuelles. C’est ce que l’on appelle les dépenses intérieures d’éducation, c’est-à-dire le cumul des dépenses effectuées par l’État et les collectivités locales. Contrairement au mythe véhiculé, l’école n’est pas gratuite : c’est indirectement une lourde charge pour le contribuable.
En 1990, un écolier coûtait 3 740 euros par an et un lycéen 7 700 euros. En 2014, un collégien coûtait 6 050 euros  et un lycéen 11 190 euros.
Des dépenses en hausse constante, pour des résultats en baisse continue, ce que démontrent tous les rapports PisaDe nombreux rapports de la Cour des Comptes décrivent ce problème. Parallèlement, l’école privée coûte environ deux fois moins cher, pour obtenir de meilleurs résultats. Preuve donc que l’on peut améliorer les résultats scolaires en faisant des économies, ce qui est une bonne chose pour un État en faillite qui lègue 2 000 milliards d’euros de dette à ses enfants.

Selon vous, l’Éducation nationale ne peut pas survivre dix ans de plus. Pourquoi ?
L’Éducation nationale n’arrive plus à recruter : chaque année, aux concours de recrutement, il y a moins de candidats que de postes à pourvoir. Et le phénomène ne fait que s’accentuer.
Se multiplient aussi les démissions, sans que l’on connaisse leur nombre exact. À cela s’ajoutent les départs en retraite : dans les dix années à venir, 17% des professeurs actuels seront en retraite.
Une grande crise démographique est à venir dans l’Éducation nationale. François Hollande n’a pas réussi à embaucher les 60 000 personnes promises en 2012, faute de candidats.
Aujourd’hui, de nombreuses classes sont sans professeur parce que le ministère manque de personnel.
Les enquêtes menées sur le sujet montrent que c’est d’abord le manque de liberté des professeurs et les violences subies qui dissuadent les étudiants de suivre cette carrière, pas la rémunération.
Le système est sous haute tension. Avec l’accélération des départs en retraite les tensions ne vont faire que s’accroître. Déjà, des parents manifestent parce que leurs enfants n’ont pas de professeur. Ce système-là ne peut pas durer dix ans.

Vous revenez longuement sur Jules Ferry. N’est-il pas l’inventeur de l’école républicaine, celle des hussards noirs ?
Jules Ferry et les républicains de sa génération ont mis en place un monopole de l’éducation. Ils ont commencé par créer le monopole de la collation des grades, qui existe encore aujourd’hui : seules les universités d’État peuvent délivrer les titres de bachelier, de licence et de doctorat.
Mais, contrairement au mythe, Jules Ferry n’est pas le créateur de l’école en France. Quand il devient ministre, tous les villages de France possèdent une école, la scolarité est gratuite pour les plus pauvres et l’analphabétisme est quasiment éradiqué. Les historiens de l’éducation l’ont abondamment démontré.
Jules Ferry étatise l’école et impose un monopole. Ses premières mesures consistent à faire fermer les écoles libres et à expulser les congrégations enseignantes. Des milliers de prêtres et de religieuses se retrouvent ainsi à la rue et errent ou quittent la France. La deuxième grande vague d’étatisation se tient dans les années 1900-1905.
Le combat de Jules Ferry n’est éducatif, il est politique. Il le dit lui-même et ses amis Paul Bert ou Ferdinand Buisson. La République arrive en France par accident : les républicains ont renversé le Second Empire après la défaite de Sedan et les monarchistes, pourtant majoritaires, n’arrivent pas à se mettre d’accord sur un prétendant. Ferry a conscience que la République n’est pas ancrée dans les mœurs. C’est le rôle qu’il assigne à l’école : former des républicains. L’école n’a donc pas comme finalité d’instruire, mais de formater et de conditionner les esprits. Là demeure une ambiguïté, qui n’est pas encore tranchée aujourd’hui.
Les républicains de l’époque s’inscrivent dans la filiation de Danton qui en 1793 affirmait ceci : « II est temps de rétablir ce grand principe qu’on semble méconnaître : que les enfants appartiennent à la république avant d’appartenir à leurs parents ».
Le monopole scolaire vise à cela : détacher les enfants de leur famille pour les mettre entre les mains de l’État. Les choses n’ont pas changé aujourd’hui. Vincent Peillon comme l’actuelle locataire de la rue de Grenelle sont dans cette logique-là, d’où, entre autres, leur combat pour l’idéologie du genre.

Quelle conception de l’école prévalait avant Jules Ferry ?
Après la période révolutionnaire, qui a engendré 25 années de guerres, l’école en France est à rebâtir. De très nombreuses congrégations religieuses ouvrent des classes, dans les villes et les villages. Les jésuites et les lassaliens sont les plus célèbres.
Parallèlement, on trouve des établissements gérés par l’État. Il règne un véritable pluralisme, aussi bien dans les idées que dans les pédagogies.
La loi Guizot (1833) puis la loi Falloux (1850) ont beaucoup fait pour la liberté scolaire. La loi Guizot impose de créer des écoles dans les communes de moins de 500 habitants et impose aux conseils municipaux de prendre à leur charge l’instruction des indigents.
En 1870, les congrégations religieuses enseignantes gèrent 13 000 établissements, ce qui représente environ 20% des élèves.
Presque tous les enfants de France vont à l’école et l’analphabétisme est vaincu.
Preuve que la liberté fonctionne, y compris pour l’éducation.

À vous suivre, le ver entre dans le fruit dès les premières réformes de Jules Ferry.
Le problème du système actuel, c’est son caractère monopolistique. Même l’enseignement privé est touché par cela. Les écoles privées sous contrat sont obligées de suivre les mêmes programmes et les mêmes volumes horaires que les écoles publiques. Ce n’est donc pas une liberté réelle.
La liberté scolaire doit se manifester dans trois domaines : liberté financière, pédagogique et scolaire.
Liberté financière : disposer de l’argent nécessaire à la création et au fonctionnement d’un établissement.
Liberté pédagogique : pouvoir choisir librement ses programmes et ses volumes horaires, afin de les adapter au public que l’on reçoit (on peut toutefois dresser un cadre minimal au niveau national).
Liberté scolaire : pouvoir recruter librement ses professeurs.
Il en va en matière éducative comme dans les autres domaines économiques : le monopole engendre une baisse de la qualité, une hausse des coûts et une raréfaction de l’offre. La liberté scolaire permettrait notamment de créer des écoles dans des zones rurales désertées, ce qui inciterait les familles à s’y installer et donc revivifierait les villages.

Propos recueillis par Charles Fabert. 


Rebâtir l’école, plaidoyer pour la liberté scolaire de Jean-Baptiste Noé. Éditions Bernard Giovanangeli, 2017, 14 euros.


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