Entretien avec l’auteur de “Église et immigration, le grand malaise”.
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Alors qu’il juge artificielle l’opposition faite entre son livre et celui d’Erwan Le Morhedec, Laurent Dandrieu a répondu en détail à des questions posées « à contrepied », défendant son livre sans langue de bois.
Aleteia : Vous décrivez votre livre comme un sursaut contre le désespoir, une volonté de dissocier votre foi d’une « religion de la différence » et de la concilier avec la préservation de « l’immense héritage reçu »…
Laurent Dandrieu : Comme tous les fidèles catholiques, je suis aussi un citoyen, et comme l’immense majorité d’entre eux, soucieux du bien commun de sa patrie, et au-delà, de la civilisation dans laquelle elle s’inscrit. Et, comme beaucoup de catholiques, la situation de la France, comme celle de l’Europe, m’inquiète : la présence massive d’une immigration de populations extra-européennes, avec ce que cela suppose de différences culturelles et le poids de l’islam dans ces populations. Un islam de plus en plus radical d’ailleurs, dont un rapport de l’Institut Montaigne, pourtant très favorable à la “diversité”, note que 28% des musulmans de France « ont adopté un système de valeurs » clairement opposé au nôtre, proportion qui monte à 50% chez les moins de 25 ans : tout cela a de quoi inquiéter quant à la préservation de notre identité.
Or l’Église ne nous parle que d’accueil, condamne toutes les politiques restrictives, balaie toutes les réticences qu’elle condamne comme des frilosités, voire comme du racisme. Les souffrances des populations européennes semblent sorties de son champ de vision, comme une mère qui se détournerait de ses enfants pour choyer exclusivement un inconnu. Or, la plus haute tradition catholique a toujours été de « tenir les deux bouts de la chaîne », comme le dit Bossuet, entre ces deux vérités qui paraissent contradictoires mais qui sont complémentaires : l’appel à la fraternité universelle et la défense des communautés naturelles. Elle doit renouer au plus vite avec cet équilibre, sous peine de conduire l’Europe à la catastrophe et de creuser le fossé avec les peuples européens.
Votre cri est incontestablement celui d’un catholique et pourtant, paraît au même moment, le livre Identitaire : le mauvais génie du christianisme, d’un autre catholique : Erwan Le Morhedec. Il voit dans votre « crispation » le symptôme d’un « mauvais génie du christianisme ». Que lui répondez-vous ? Est-ce qu’une nouvelle grande séparation pointe à l’horizon ?
Erwan Le Morhedec ne parle pas de moi dans son livre, bien qu’il pourrait sembler que la sortie de son livre ait été programmée pour parasiter mon propos et ramener ma critique du discours de l’Église sur les migrants à une manifestation de ce supposé « mauvais génie »… Étant avant tout catholique, je ne me reconnais évidemment pas dans la manipulation de la foi au service de la politique qu’il croit déceler dans ce qu’il nomme “identitarisme”, qu’il ne définit d’ailleurs pas clairement et dont il n’arrive à décrire que des manifestations anecdotiques jusqu’à l’insignifiance. En réalité, derrières ces attaques lilliputiennes, je crains fort que ce soit l’engagement des catholiques au service de l’idée patriotique qu’il vise sans oser le dire. Et s’il n’ose pas, c’est qu’il sait bien que l’Église a toujours salué « la valeur religieuse », selon l’expression de saint Jean Paul II, de la fidélité à l’identité nationale. Et sa lutte contre ce qu’il définit comme des « crispations » est, en réalité, contraire à toute la tradition de l’Église.
« Il ne s’agit pas ici d’accabler l’Église, mais de l’aider, à notre modeste niveau, à dépasser l’enfermement dans l’esprit du temps qui caractérise trop souvent son discours actuel » écrivez-vous. Est-ce un manque de courage ou un manque de clairvoyance que vous reprochez à l’Église ? Vous sentiriez-vous plus éclairé que le Pape sur ces questions ?
Le manque de clairvoyance me semble lié à une certaine confusion théologique actuelle, qui mélange volontiers les ordres, pour parler comme Pascal, et qui oublie que la charité doit être juste, efficace, et que, comme l’écrit saint Thomas d’Aquin, « les plus proches ont un droit de priorité ». L’appel à la radicalité évangélique me paraît par ailleurs être paradoxalement le masque de cette mondanité, pourtant si souvent dénoncée par le pape François, qui pousse à prendre des positions médiatiquement avantageuses plutôt que réellement courageuses. Dans mon livre, je montre que ces positions sont en réalité des positions essentiellement politiques, sur lesquelles l’Église ne me paraît pas pouvoir se prévaloir d’une assistance divine particulière, contrairement aux questions de foi bien entendu…
Votre livre n’incarne-t-il pas un trait typiquement post-moderne qui est le commentaire permanent des moindres propos du Pape ? Vous évoquez fort peu, dans votre livre, la riche Tradition. Ne manque-t-on pas, aujourd’hui de profondeur historique ?
Mais les propos du Pape, ils s’imposent médiatiquement à nous, surtout sur ce sujet où son discours se fait littéralement obsédant ! Et il devient difficile, dans beaucoup de paroisses, d’échapper à un discours moralisateur et “surplombant” sur les migrants. Dans mon livre, je déplore au contraire une parole faiblement enracinée dans la tradition catholique, une conception abstraite de la charité qui ressemble de plus en plus à ce que Chesterton appelait « les vertus chrétiennes devenues folles ». Malheureusement, l’Église ne s’est penchée sur ces questions que tardivement, et il est donc difficile de lui opposer sur ces sujets les pères de l’Église…
Vous reprochez au Pape de délaisser le sort de l’Europe en faveur des populations du tiers-monde, n’est-ce pas ignorer la nécessaire « universalité » de la parole pontificale qui doit embrasser les problématiques mondiales dans leur entier ?
Le génie particulier de l’Église, l’un de ses miracles en tout cas, a toujours été d’assumer sa nature universelle tout en se faisant l’âme des différents peuples où elle s’inculturait ! Aujourd’hui, le souci de la fraternité universelle semble avoir tout dévoré, et l’Église divorce peu à peu des peuples dont elle est censée être la mère…
Benoît XVI avait déclaré que « les immigrés ont le devoir de s’intégrer dans le pays d’accueil, en respectant ses lois et l’identité nationale ». Ces termes étant souvent négligés, de part et d’autre, ne sont-ils pas essentiels ?
L’honnêteté m’a poussé à citer de tels propos à chaque fois que les papes les tenaient. Dans son discours au corps diplomatique, le 9 janvier dernier, le pape François a d’ailleurs déclaré que « les migrants, eux-mêmes, ne doivent pas oublier qu’ils ont le devoir de respecter les lois, la culture et les traditions des pays dans lesquels ils sont accueillis ». Le problème est que ces phrases isolées sont toujours noyées dans un discours très favorable à l’accueil inconditionnel des migrants. Dans ce même discours, le Pape a d’ailleurs précisé qu’« une démarche prudente de la part des autorités publiques ne comprend pas la mise en œuvre de politiques de fermeture envers les migrants ». On cite souvent une phrase de Jean Paul II engageant à « préserver avant tout le droit à ne pas émigrer » : mais dans le même texte, il écrit que « le phénomène des migrations contribue à cultiver le “rêve” d’un avenir de paix pour l’humanité tout entière »… Concrètement, en France, à chaque fois qu’un gouvernement, quel qu’il soit, a tenté de prendre des mesures pour limiter l’immigration, les évêques les ont condamnées comme portant atteinte aux droits humains.
Les positions les plus radicales des catholiques « identitaires », pour reprendre l’expression d’Erwan Le Morhedec, ne se trouvent-elles pas démonétisées par l’absence d’intérêt porté au développement des pays de départ, par absence d’empathie ?
Je ne fais pas partie de ceux qui se permettent de juger, ni de la qualité de certaines conversions au catholicisme, comme le fait Erwan Le Morhedec dans son livre, ni de l’empathie de tel ou tel. Ce qui est certain, c’est que l’aide à la stabilité et au développement des pays d’émigration est absolument primordiale. La France a beaucoup fait par le passé en ce sens, elle doit faire sans doute davantage encore. Le paradoxe est qu’une partie de la gauche ecclésiale qui soutient Erwan Le Morhedec a souvent dénoncé cette aide comme paternaliste et néocoloniale…
Propos recueillis par Thomas Renaud.
Église et immigration : le grand malaise : le pape et le suicide de la civilisation européenne de Laurent Landrieu, presses de la Renaissance, 2017, 17,90 euros.
Pour aller plus loin :
La tribune d’Arnaud Bouthéon : “Identitaires catholiques : la menace fantôme”