Après une semaine éreintante pour la deuxième ville de Syrie et l’ensemble de ses habitants, le point sur la situation avec un témoin sur place.
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Chaque jour, en Syrie, des dizaines de morts et des centaines de blessés – des civils essentiellement – sont pris entre deux feux : celui des terroristes et celui de l’armée syrienne. En dépit de cette douloureuse évidence que nous vérifions jour après jour, témoignage après témoignage, tant de commentateurs très avisés accablent l’armée syrienne de tous les maux, le plus souvent depuis leur salon. Il nous ont promis que la tragédie d’Alep-Est serait être aux yeux du monde la preuve irréfutable de cette barbarie unilatérale.
Au service de cette ambition, toutes les compromissions sont permises. Toutes les manœuvres sont bienvenues pour mener à bien la distorsion du réel, dans cette guerre de l’image, des mots, des tweets. Dans le plus grand silence, la partie ouest d’Alep vit depuis plus de quatre ans sous les tirs des mortiers. Un million et demi d’habitants vit sous une pluie de roquettes, de bombonnes de gaz bourrées de clous et de missiles « home made » en tuyaux de fonte, ou visée par les balles explosives des snipers.
Des familles meurent en silence, à l’est comme à l’ouest
Je me rends à Alep depuis un et demi tous les mois. J’aime cette ville et ses habitants. J’y compte de nombreux amis. Je connais son clergé, ses associations et ses bénévoles. Chaque mois, une personne que j’affectionnais ou que je ne connaissais que de vue manque à l’appel : partie ou morte. Je croise et je côtoie des gens qui ont perdu beaucoup d’êtres chers.
Certains sont partis à Tartous (sur la cote ouest, Ndlr), dans la Vallée des chrétiens, à Beyrouth au Liban, à Erbil au Kurdistan irakien, en Allemagne, en France, en Suède, en Australie, au Canada… D’autres sont morts dans leur maison parce qu’elle s’est effondrée sur eux, frappée par un missile artisanal venu depuis l’autre moitié de la ville ou de sa périphérie. Certains sont morts dans la rue parce qu’au détour d’un immeuble, une bombonne de gaz les a déchiquetés. Des familles meurent en silence, à petit feu, assoiffées parce que l’eau est coupée, congelées dans leur chambre en hiver parce qu’il n’y plus de quoi se chauffer. Aucun d’eux n’a succombé sous les balles de l’armée syrienne. Tant d’entre eux comptent un ami, un fils, un cousin dans les rangs cette armée de conscrits et tremblent aussi pour les appelés, âgés de de 18 à 43 ans.
Les stations d’épuration d’eau se situent à Alep-Est, les jihadistes assoiffaient donc la population de l’ouest. Les premières images qui nous parviennent de l’Est repris par l’armée loyaliste, montrent les habitants se ruer sur les quartiers généraux de la rébellion, transformés en dépôts et remplis de l’aide alimentaire internationale que les terroristes confisquaient à leur seul profit, affamant les alépins sous leur contrôle.
Les centrales électriques ont toutes été détruites par les jihadistes et la dernière en date qui permettait encore aux habitants d’avoir de la lumière, de l’eau chaude, du chauffage a été détruite par un bombardement américain l’année dernière. La route qui passe par Ramousseh, au sud de la ville est le cordon ombilical qui relie Alep à Homs par Khanasser, en passant par Istriya et Salamye… C’est la seule qui permette à Alep d’être ravitaillée en tout : nourriture, essence, matériel et supplétifs militaires… Elle est sans arrêt coupée, fragmentée par les jihadistes qui hantent la campagne environnante.
Soutenir l’armée syrienne : une nécessité, pas un choix
Il est impossible de dire si l’armée syrienne réagit ou surenchérit. Chacun ici a sa propre idée. Tous les Syriens aimeraient que tout cela s’arrête. Beaucoup sont écœurés des méthodes de ces guerriers « modérés » qui veulent être entendus en s’acharnant à éliminer ceux qui veulent continuer à vivre. Si la cause de leur combat est noble, pourquoi faire pleuvoir la mort sur ceux qui n’ont rien choisi, rien demandé ?
Tous ceux qui sont restés fidèles au pouvoir actuel n’en sont pas forcément des admirateurs. Pourquoi les détracteurs de Bachar el-Assad n’ont-ils pas tous gagné les rangs des insurgés me demanderez-vous ? Parce qu’ils savaient très bien ce qui les attendait s’ils commettaient une pareille erreur. Pour entrer dans ce camp-là, il vaut mieux être musulman sunnite et encore… Tant d’entre eux se désintéressent complètement d’un tel projet ! La rébellion est un luxe que l’on ne peut pas s’offrir quand on est chrétien, druze, chiite duodécimain, alaouite ou ismaélien. Tous savent très bien à quoi s’en tenir depuis les premières heures de la crise. Il n’y avait qu’à jeter un coup d’œil du côté irakien pour comprendre le sort qui leur était réservé…
Les horreurs en Irak n’ont pas commencé avec l’émergence de l’État islamique en 2007. Dès l’intervention américaine en 2003, les minorités ont commencé à souffrir. Les rackets, les enlèvements, les assassinats et les viols de chrétiens étaient déjà monnaie courante. Les pillages et les destructions systématiques des maisons et des églises…
Il ne s’agit pas d’une guerre entre Alep-Ouest et Alep-Est : c’est Alep toute entière qui souffre parce que l’ennemi abime, blesse et humilie les deux côtés de la ville. La guerre oppose des criminels à l’armée de l’État syrien et à ses alliés sans état d’âme. Dans cette guerre, aucun camp n’est modéré si tant est qu’un seul l’ait jamais été.
Comment rester modéré dans un tel contexte d’usure ?
La riposte de l’armée syrienne est ultra-violente. Après six ans de conflit, vous ne faites plus la guerre à coup de frappes “chirurgicales”. L’Histoire nous l’enseigne et Dresde, Tokyo, Berlin n’en sont que de tristes illustrations. Comment rester modéré dans un tel contexte d’usure ? Les plus laïcs d’entre les rebelles se sont laissés pousser une barbe au bout de quelques semaines à peine et ont continué la guerre sous les étendards noirs du jihad. On ne les entend plus crier « Vive la démocratie » mais « Allahu akbar ».
Pour les Alépins, il n’est pas compliqué de se faire une opinion sur la bienveillance de l’un ou de l’autre camp. Qui coupe la seule route de réapprovisionnement de la ville ? Qui tire à feux nourris et à l’aveugle sur les populations désarmées ? Qui vise les universités, les écoles et les églises en pleine période de fêtes ? Qui confisque le peu de nourriture qu’il reste aux populations civiles ?
La population vivant à l’est d’Alep commence à peine à témoigner de ses conditions de vie sous la férule des rebelles. Le travail d’investigation qui éclairera les responsabilités des uns et des autres dans cet interminable conflit prendra du temps. La vérité en attendant, continue à souffrir de toutes les approximations, de la désinformation et de la propagande qui saturent nos médias. J’affirme avec force que la souffrance de tous les Syriens est immense et je suis convaincu que tous les syriens méritent notre compassion et non pas un camp plutôt qu’un autre.