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Kevin Victoire : « En finir avec le capitalisme et remettre l’humain et ses besoins effectifs au cœur de la société »

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© Kevin Victoire FB

Camille de Montgolfier - publié le 07/10/16

Aleteia a rencontré les auteurs de l'essai "La catastrophe écologique, fruit pourri du capitalisme ?". 4/5

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Kevin Victoire est un journaliste indépendant et contribue à la revue écologique Limite.

Aleteia : D’où vient le besoin d’accumuler si caractéristique de notre société ?
Kevin Victoire : Le « besoin d’accumuler » a été très longtemps condamné par toutes les sociétés. Dans la Grèce antique, l’hybris – c’est-à-dire la démesure – constituait un crime. C’est l’opposition à cet hybris, par la tempérance ou la « juste mesure » d’Aristote, qui fonde l’éthique grecque. L’accumulation de richesse, qu’Aristote nomme la « chrématistique », est alors condamnée moralement. Le mythe du roi Midas, qui acquiert auprès du dieu Dionysos la faculté de transformer tout ce qu’il touche en or, au point de devenir incapable de manger et de boire, illustre très bien ce propos.

L’accumulation sans fin des richesses est également dénoncée dans la tradition judéo-chrétienne. « Malheur à ceux qui ajoutent maison à maison, et qui joignent champ à champ, Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’espace, Et qu’ils habitent seuls au milieu du pays ! » explique le prophète Isaïe (5, 8). C’est évidemment encore plus clair dans le Nouveau testament où l’accumulation excessive de biens matériels est toujours opposée à l’élévation spirituelle : « Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un, et aimera l’autre; ou il s’attachera à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon » (Matthieu 6, 4) ; « Et que sert-il à un homme de gagner tout le monde, s’il perd son âme ? » (Marc 8, 36), etc.

Ce que j’explique pour la Grèce antique ou pour le judéo-christianisme est aussi vrai pour l’islam, le bouddhisme, l’hindouisme, le confucianisme et toutes les autres grandes philosophies ou religions. Ainsi, comme le montre l’économiste Karl Polanyi (La Grande transformation, 1944), s’il a toujours existé du commerce et des marchés, tout cela était contenu dans les coutumes et traditions des sociétés, ce qui freinait l’accumulation effrénée des richesses, même s’il existait évidemment des inégalités sociales. Ce n’est qu’au XVIIe, que l’économie commence à se constituer comme pôle autonome. À partir du XVIIIe et du XIXe siècle, des penseurs, comme Bernard Mandeville, David Hume et Adam Smith estiment que la réhabilitation morale du désir favorisera une société capable d’une expansion infinie. Mandeville va jusqu’à expliquer dans La Fable des abeilles (1714) que « les vices privés font la vertu publique ». Pour les libéraux, le désir étant potentiellement illimité, sa satisfaction inconditionnelle devrait assurer une production toujours croissante. Mais une telle entreprise n’est possible qu’en combattant la vieille morale religieuse. C’est ainsi que la croissance économique, qui était jusqu’ici à peu près nulle – et même négative entre l’an 1 et l’an 1 000 – passe la barre des 2% en 1830.

Une seconde étape est franchie après Mai 68. Alors que la révolte étudiante avait notamment pour objectif de combattre la société de consommation naissante, sans le vouloir elle va l’accentuer. Très vite après Mai 68, le capitalisme digère sa critique et retourne l’hédonisme soixante-huitard – symbolisé par le « vivre sans temps mort, jouir sans entrave » du situationniste Raoul Vaneigem – en simple produit marketing. Le besoin d’accumulation de ceux qui détiennent les richesses est alors aidé par les désirs incessants des consommateurs. L’apparition des nouvelles « classes moyennes » jouent un rôle essentiel. Un système fou naît, où l’écoulement d’un nombre de gadgets toujours plus grand est assuré par la création de besoins artificiels, via la publicité – dont le budget, de 500 milliards de dollars par an, est le deuxième mondial, après les dépenses militaires. Un mécanisme parfait pour assurer une croissance économique sans limite… Du moins si notre planète était capable supporter une telle chose.

Vous appelez à sortir du capitalisme. Mais pour le remplacer par quoi ?
Pour en finir avec le capitalisme, il me semble qu’il faut remettre l’humain et ses besoins effectifs au coeur de la société. Seule une société où les citoyens décident ensemble d’un projet commun – ce qui nécessite un fort lien social – me semble à la hauteur.

Je peux difficilement dire quels contours exacts prendraient cette société. Mais il paraît évident que la production doit être relocalisée et que nous devons revenir à de plus petites échelles, pour que les citoyens puissent avoir réellement prises sur les choses. Le capitalisme étant un « fait social total », pour reprendre une expression de Marcel Mauss, il a envahi tous les aspects de notre vie. Nous devrons donc changer bons nombres de mauvaises habitudes acquises ces dernières décennies.

Peut-on imaginer une croissance verte ?
La croissance verte me semble être un leurre. Elle repose sur l’idée qu’on arrivera à produire plus avec une technologie de meilleure qualité, qui polluera moins. Mais comme l’écrit si bien Pierre Thiesset, journaliste au mensuel La Décroissance : « Ce n’est pas avec des remèdes techniques ou économiques que nous résoudrons les maux précisément engendrés par notre puissance technique et notre organisation économique. Ni en achetant de nouveaux styles de vie individuels au supermarché, avec ampoules économes, application sur smartphone pour fluidifier le trafic urbain, voitures électriques en libre-service et tri des déchets ». Pour prôner la « croissance verte », il faut soit être intoxiqué par l’idéologie dominante au point de ne plus pouvoir imaginer le monde sans croissance, soit ne voir l’écologie que comme une nouvelle source potentielle de profit.

Propos recueillis par Camille Tronc. 


En savoir plus sur La catastrophe écologique, fruit pourri du capitalisme ? :

On ne sauvera pas l’homme sans sauver la planète, avertissait le pape François dans Laudato Si’. Après la parution de la magistrale encyclique en 2015, les prises de positions en faveur de l’environnement se sont multipliées chez les catholiques. Difficile, en effet, d’ignorer plus longtemps les alertes d’une planète de plus en plus perturbée. Cette planète, c’est la nôtre. Elle est la maison commune à toute l’humanité que Dieu a créé, à charge pour l’homme de la préserver.

Les Altercathos est une association fondée en 2011 par des catholiques lyonnais, et qui se veut un laboratoire de réflexion pour l’engagement des catholiques dans la vie de la Cité. Cet essai ne fera pas l’unanimité, loin de là. Il se veut résolument radical, à la fois dans sa critique de notre mode de consommation, et son approche globale de la responsabilité environnementale de l’homme.

Les auteurs, tous acteurs de la société et spécialistes de l’environnement, développent tour à tour leur réflexion à travers les grands axes de ce livre, qui sont autant de critiques contre le capitalisme débridé, l’idéologie de la croissance économique perpétuelle, le manque de courage face à notre devoir environnemental et le grignotage par l’argent de toutes les sphères de nos vies.

© Les Altercathos
© Les Altercathos
© Les Altercathos

La catastrophe écologique, fruit pourri du capitalisme ? par Olivier Rey, Mgr Rey, Patrice de Plunkett, Thierry Jaccaud, Marie Frey, Cyrille Frey et Kevin Victoire. Les Altercathos, mai 2016, 10 euros.

Tags:
Bien communÉcologieenvironnement
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