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Au service des prostituées : “Vous connaissez le film Taken ? Eh bien vous y êtes.”

© John Carey / Getty

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Azur Guirec - publié le 09/09/16
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Le témoignage d’une étudiante qui agit dans l’ombre mais réchauffe les cœurs gelés des femmes du trottoir.Marie a 23 ans. Étudiante audacieuse au tempérament explosif, elle a décidé de canaliser sa vive énergie et son profond désir d’aider les autres dans des études d’éducatrice spécialisée. Elle se met au service des prostituées et des toxicomanes lors de ses stages.

Elle tient à rappeler combien la misère existe autour de nous. Une misère lourde, implacable, que nous ne voyons même plus. Nous la croisons sans cesse, et nous n’avons pas le droit de l’ignorer. Marie raconte, et invite chacun à sa mesure à participer à ce service de l’autre, gratuit, absolument indispensable pour grandir.

Guidée par l’exhortation de Baden-Powel “Tu trouveras le bonheur en te mettant au service d’autrui”, elle témoigne de sa grande joie de travailler auprès de femmes qui se prostituent. Oui, un regard positif mérite d’être posé sur elles !

Une écoute, une présence, savoir qu’elle ne les sauvera pas d’emblée : l’humilité

“Tu vois Marie, moi je vais prier pour toi, prier pour que tu trouves un homme qui te respecte, car toi, tu le mérites.” Sa première rencontre. Sonia, 73 ans, aux origines bien françaises, se prostitue depuis l’âge de 17 ans. Pour elle, il n’y a pas d’autre avenir possible, pas d’alternative. Elle assume ce qu’elle fait, malgré la souffrance que trahissent ses paroles. Elle aurait aimé avoir une autre vie, mais de gros soucis financiers et familiaux l’ont poussée au coin de cette rue. Voilà, chaque mercredi Marie la retrouve au même endroit, à la même heure, pendant juste quinze minutes. C’est tout, et ça suffit, un regard neutre s’est posé sur elle, un regard qu’elle n’oubliera pas et qui peut-être lui permettra un jour d’abandonner son coin de rue.

“23h30, Betty rentre dans notre camion, le bout du nez gelé. Nous ignorons son âge, mais ses petites joues rondes et ses traits fins ne trompent pas : 15 ans, pas plus. Elle vient se réchauffer à l’intérieur de notre camping-car installé depuis dix-neuf heures. Là, nous parlons de tout et de rien. De son pays, des clients, de ses copines, etc. Elle vient d’un pays étranger, acheminée par bateau avec plein d’autres femmes. Un ami lui a promis un travail en France, mais rapidement, elle se retrouve sur le trottoir, endettée à cause d’un homme qui lui demande mille euros chaque mois pour la ‘‘location du trottoir’’. Vous vous demandez de quel droit cet homme se permet de se dire propriétaire du trottoir, et bien le voilà : le monde de la prostitution. Un jour, un homme s’est dit : ‘‘Ce trottoir m’appartient, si tu veux te prostituer ici, c’est mille euros par mois’’. Et c’est ainsi que naît le proxénète. Mais Betty est forte, elle sait qu’elle peut s’en sortir, et c’est pour cela que tous les lundis, elle vient chez nous apprendre le français afin de passer des entretiens d’embauche”.

Les apprivoiser, construire des liens vrais : la patience

Marie écoute ces femmes, mais construit aussi avec elles des liens uniques :

“Printemps est une femme chinoise de 45 ans, qui ne parle pas français. Mais ça ne fait rien ! Elle est arrivée en France, sûre de trouver un travail pour nourrir sa famille. Malheureusement, elle a vite compris qu’elle ne pourrait jamais s’en sortir, sinon par la prostitution. Elle se retrouve donc dans le même réseau que Betty : mille euros pour sa partie de trottoir. Sans compter les 1200 qu’elle doit au marchand de sommeil qui loue des chambres pour les passes, l’argent qu’elle envoie chaque mois à sa famille, et celui qui paie sa dose de cocaïne. Printemps n’en peut plus de la vie qu’elle mène, elle veut partir, respirer, se changer les idées. Alors nous sommes parties en vacances, avec quatre de ses ‘‘amies du trottoir’’ vivre une semaine de rupture dans le Poitou, découvrir les produits du terroir et respirer l’air pur de la campagne. Marché, cheval, visite de ferme, feu de cheminée, tricot, cuisine : voilà comment s’organisait notre séjour. Des vacances pour chacune d’entre elles, et même pour moi. Quoi de mieux pour établir un véritable lien de confiance mutuelle ? Les échanges étaient bien plus profonds et les relations bien plus humaines. Le retour à Paris fut certes difficile après une telle semaine, mais désormais, ces cinq femmes viennent toutes les semaines au bureau pour préparer leur sortie de prostitution”.

Agir sans se préoccuper du résultat, mais croire en sa victoire : le désintérêt et l’espérance

Parfois, de vrais résultats leur permettent de croire que leurs efforts ne sont pas vains, que la misère contre laquelle ils se heurtent n’est pas inéluctable.

“Marie je t’en supplie, trouve-moi un foyer, je n’en peux plus de voir des hommes défiler chez maman”. Hammad, 9 ans, vit avec sa petite sœur de 2 ans et sa mère, Nina, dans une cave à Châtelet. D’origine algérienne, cette famille a dû quitter le pays pour violences conjugales. Impossible de retourner au pays, le père ayant monté une grande partie du village contre eux. Arrivés en France, la mère et ses deux enfants ont réussi à trouver un logement… insalubre. Le loyer ? Pas d’argent, juste quelques prestations sexuelles de temps en temps. Et oui, ça existe, le propriétaire d’un hôtel qui ‘‘aménage’’ ses caves pour des familles étrangères sans papiers ni logement. Nina n’est pas la seule dans cette situation. Ses voisins ont sept enfants, et survivent de la même manière. Hammad n’en peut plus, il veut changer de vie sans être séparé de sa famille. Un foyer ? Il n’y aura jamais de place pour sa maman. “À nous de tirer la sonnette d’alarme auprès de nos partenaires pour lui trouver une place. En attendant, nous invitons la famille à venir fêter Noël avec nous : cadeaux, musiques, etc.” explique Marie. “C’est la première fois que je goûte au chocolat chaud !” déclare Hammad des étoiles dans les yeux. Aujourd’hui, cette famille vit dans un appartement avec plusieurs autres familles, appartement tenu par un prêtre, à deux heures de Paris. Le petit est à l’école et sa sœur en crèche. Leur situation est régularisée et Nina cherche désormais un travail et pouvoir enfin nourrir son petit monde.

S’accrocher même lorsque tout semble fatal : la persévérance

Parfois, une véritable frustration assombrit le cœur de Marie. Qu’il est amer de considérer son impuissance face à la misère malgré un investissement absolu…

“Comme d’habitude, nous marchons dans le quartier à la rencontre des femmes. Tout à coup, une femme nous tend un papier et s’enfuit. Nous découvrons en le dépliant un numéro de téléphone. Mais qui est cette femme ? D’où vient-elle ? Rentrés au bureau, nous appelons le numéro : la ligne a été coupée, nous parlons dans le vide… C’est là que nous avons découvert une autre sorte de réseau au sein du quartier : la traite des êtres humains à des fins sexuelles. Vous connaissez le film Taken ? Eh bien vous y êtes. Ce sont des femmes de l’Est amenées en Allemagne dans de grands hangars, puis en Italie où leur corps est habitué au sexe et à la drogue. Et les voilà, en France, sur le trottoir, criant au secours. Nous avons essayé beaucoup de choses pour elles. Mais rien n’y fait. Je reste persuadée que notre présence dans la rue les rassure… Un peu. Notre prière aussi, mais nous avons tant à leur donner ! Il ne reste plus qu’à trouver le moyen de les approcher…”

Mais l’engagement afin d’aider ces personnes nous concerne tous !

Le monde de la rue est quelque chose que Marie connaît bien. Elle aspire de tout son cœur à ce que ce monde caché et méprisé dans lequel elle trouve une véritable richesse soit une scène d’engagement pour tous ceux qu’elle croise. La misère est immense, certes, mais par de simples gestes nous pouvons donner à certaines la chance de s’en sortir, ou du moins d’espérer et de se sentir aimées.

Voilà le message qu Marie adresse à chacun :

“N’ayez pas peur ! Ce n’est pas moi qui ai inventé cette phrase. N’ayez pas peur de croiser leurs regards, et si c’est trop difficile pour vous, alors, priez pour elles. Priez pour que ces femmes trouvent la force de renoncer au plaisir de l’argent, du sexe parfois, pour qu’elles puissent trouver d’autres alternatives de vie. Nous sommes tous amenés à servir, et le service commence par la prière. Je ne vous demande pas d’aller vers ces femmes, seulement une pensée pour elles lors de votre prière du soir. Elles vous en seront reconnaissantes.

Lorsque vous croisez une femme à St-Denis, confiez-la d’abord au Seigneur avant de tourner le regard. J’ai vu tant de gens les mépriser et me dire que je ferais mieux de m’occuper de jeunes délinquants que de ces femmes exclues du monde dans lequel nous vivons…

Cette expérience m’a montré un chemin et je peux dire à présent que Baden-Powel avait vraiment raison : Tu trouveras ton bonheur au service d’autrui”.

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