À la suite de celle qui fût une grande philosophe allemande, une martyre juive et une sainte catholique.Après quelques nuits dans des cars et des gymnases, après être passés par Prague, le périple en direction de Cracovie se poursuit pour de nombreux pèlerins avec la découverte de la ville de Wroclaw. Ville à l’histoire mouvementée, Wroclaw est symbolique d’un passé douloureux qu’a connu le peuple polonais au cours des âges, toujours menacé, souvent conquis, par ses deux voisins russes et allemands. D’abord gouvernée par la dynastie Piast originaire de Pologne, Wroclaw est passé sous le contrôle du Saint-Empire romain germanique en 1335 sous la couronne de Bohème, puis en 1526 sous la couronne d’Autriche. Breslau (son nom en allemand) est ensuite conquise par la Prusse en 1741, qui la recolonisa et approfondit sa germanisation.
La Pologne contrôlée
Ainsi, lorsqu’en 1795, l’Autriche, la Prusse et la Russie se partagent la totalité de la Pologne, la ville était déjà sous le contrôle de la Prusse. Puis en 1914, les Polonais partagés entre trois empires doivent se soumettre aux mobilisations respectives. 3,4 millions d’entre eux participent au conflit : 1,4 million dans l’armée autrichienne, 1,2 million dans l’armée russe, 800 000 dans l’armée allemande. Mais à l’issue de la guerre, alors que la Pologne renaît le 28 juin 1919, avec le traité de Versailles qui reconnaît l’indépendance de la Pologne et lui accorde un accès à la mer, on peut voir sur cette carte, à l’ouest de la Pologne, que Wroclaw (Breslau) continue de faire partie de l’Empire allemand.
L’invasion de la Pologne
Ce n’est qu’après un troisième partage de la Pologne en 1939 entre les Nazis et les communistes, puis la victoire des alliés en 1945 que Wroclaw est redevenu polonaise. Les communistes avaient en effet conquis en 1939 de très nombreux territoires polonais à l’est que l’URSS a conservé à la fin de la guerre. À l’Ouest en revanche, toute une partie sur laquelle la Pologne n’était pas souveraine depuis des siècles est alors passé sous le contrôle de la Pologne, profitant de la défaite allemande, comme on peut le voir sur cette carte :
C’est ainsi que Wroclaw est redevenu polonaise après quasiment sept siècles sans souveraineté. Il ne faut pas oublier que ces régions avaient été intensément germanisées par les allemands. Ces transformations ont ainsi donné lieu à un exode massif d’allemands qui se sont retrouvés déracinés. En quelques années, la frontière a été littéralement décalée vers l’ouest pour des millions de personnes, allemands comme polonais, à cause de l’URSS. Tant que la RDA communiste était comme la Pologne sous le contrôle de l’URSS, cette situation était acceptée sous la contrainte. Lorsqu’elles sont devenues des démocraties libres, c’est solennellement que la République fédérale allemande a accepté de renoncer définitivement à ces territoires que de nombreux allemands considèrent encore authentiquement allemands. Par ailleurs les territoires polonais conquis par l’URSS en 1939 à la Pologne n’ont jamais été rétrocédé et font désormais partie de la Biélorussie et de l’Ukraine.
Cette histoire mouvementée et douloureuse explique que c’est dans cette ville qu’en 1891 soit née l’une des plus grandes philosophes allemandes du XXe siècle, Edith Stein, devenu sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, patronne de l’Europe et des JMJ.
Edith Stein, de la philosophie à la foi
Wroclaw, alors Breslau, était complètement intégrée à l’Empire Allemand. Edith Stein naît ainsi dans cette région de Prusse au sein d’une famille juive pratiquante. Après avoir perdu la foi à l’adolescence, elle se lance dans des études de philosophie. C’est une étudiante extrêmement brillante : elle est la première femme à devenir docteur de philosophie en Allemagne et collabore ensuite avec Edmund Husserl, le fondateur de la phénoménologie, qui eut une influence majeure sur l’ensemble de la philosophie du XXe siècle (Heidegger, Sartre, Lévinas, Merleau-Ponty notamment). Elle a mené une réflexion très profonde tout au long de sa vie sur les questions liées à la femme et s’est toujours considérée comme profondément féministe. C’est en voyant une femme dans la rue aller prier pour s’entretenir avec le Christ, puis ensuite bouleversée par la lecture de l’autobiographie d’une femme à la très forte personnalité, sainte Thérèse d’Avila, qu’elle demande le baptême dans l’Église catholique. Cet appel catholique n’allait pas de soi dans une Allemagne culturellement dominée par les Protestants. Elle va mettre ensuite au service du Christ et de l’Église sa profonde intelligence philosophique : son principal souci est de mettre en valeur une vision chrétienne de la personne humaine.
Admirative du mystère de la Croix
Par ailleurs, fascinée par le mystère de la Croix, sainte Thérese-Bénédicte de la Croix comme elle a souhaité se nommer y voit la plus grande preuve de l’amour fou du Christ pour ses créatures. Elle tente ainsi d’élaborer une véritable connaissance de la Croix, une connaissance de l’homme qui serait radicalement transformée par cet événement incroyable et radicale : “Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : “Jésus Christ est Seigneur” à la gloire de Dieu le Père”, comme le dit saint Paul.
Mourant avec son peuple et Jésus auprès d’elle
Cette science de la Croix conduira Edith Stein à vouloir s’offrir et souffrir en s’unissant au Christ. Ainsi, alors qu’en 1942, les évêques néerlandais décident, contre l’avis du pouvoir en place, de condamner les actes antisémites par la lecture lors de l’homélie d’une lettre pastorale dans les églises le 26 juillet 1942, les nazis décident de procéder à l’arrestation des “Juifs de religion catholique”, c’est à dire les Juifs convertis au catholicisme. Arrêtée le 2 août 1942 par les S.S. avec sa sœur Rosa et tous les Juifs ayant reçu le baptême catholique, elle est conduite à Auschwitz où elle est gazée seulement 7 jours après son arrestation, le 9 août 1942. En partant vers les camps, elle aurait dit à sa soeur Rosa: “Viens, nous partons pour notre peuple”. Bien que convertie, Edith Stein se sentait profondément juive et plus elle se sentait proche et intime avec le Christ, plus elle était fière d’être ainsi, comme disait Ignace de Loyola parlant des Juifs : “Du même sang que Notre Seigneur”.
Au camp de Westerbok, elle croise une autre grande mystique juive du XXe siècle, Etty Hillesum, qui vient d’être embauchée par le Conseil juif du camp pour aider à l’enregistrement. Cette dernière consigne dans son Journal la présence d’une carmélite avec une étoile jaune et de tout un groupe de religieux et religieuses se réunissant pour la prière dans le sinistre décor des baraques. C’était tout un groupe de femmes nées juives qui avaient rencontré le Christ et s’étaient donnés entièrement à lui dans la vie religieuse. Elles allaient à la mort comme tous les juifs d’Europe. Mourant avec son peuple et Jésus auprès d’elle, Edith Stein a vécu le drame de la Shoah en y voyant l’immense souffrance de Dieu devant son peuple martyrisé, dans une sorte de deuxième crucifixion, puisque après son Fils, c’est son peuple élu (et toujours élu comme le précise saint Paul après la venue de son Fils), c’est son peuple élu qu’on a voulu assassiner. C’est donc uni au Christ et à son peuple, qu’Edith Stein a vécut l’amour de Dieu souffrant jusqu’au bout de la folie de la croix et de la monstruosité des hommes.