Pierens exerce la mystérieuse profession de “consultant”. N’allez pas croire que ce mot soit le participe présent du verbe “consulter” et que M. Pierens “consulte” quoi que ce soit. Au contraire, c’est lui qui est “consulté”. Selon le Grand dictionnaire terminologique, “le mot anglais consultant désigne un spécialiste extérieur à une organisation à qui l’on fait appel afin d’obtenir un avis au sujet d’une question ou de l’aide pour résoudre un problème précis. La traduction de cet anglicisme est conseiller”.
Quel genre de conseils donne-t-il ? La 4e de couverture nous le dit : “des conseils en stratégie et management”. À qui enseigne-t-il la stratégie ? à des militaires ? Pas du tout. À des chefs d’entreprises et à leur entourage. Nous ne sommes pas dans le monde des opex (pas les opérations extérieures de l’armée, les dépenses d’exploitation d’une entreprise), mais dans celui de la guerre économique. Et qu’est-ce que le management ? Google nous renseigne : “Le management est le pilotage de l’action collective au sein d’une organisation. Il comprend l’ensemble des techniques mises en œuvre dans une organisation afin qu’elle atteigne ses objectifs”. En somme le synonyme anglais de “stratégie”, ajouté pour faire plus chic.
“Stupeur” et “résignation” dans la société moderne
Cela fait 35 ans qu’il dispense ses conseils à un monde de chefs d’entreprises et de cadres dirigeants. Seulement à eux ? Mais non, à nous tous, qui adoptons plus ou moins leur mode de vie et de penser, comme le “bourgeois”, Monsieur Jourdain, jouait au gentilhomme. Il y a dans son livre une critique de la “stupeur” et de la “résignation” qui paralyse l’ensemble de notre société et l’empêche de retrouver son dynamisme.
Ses interlocuteurs directs “ont le code” pour se maintenir en haut de leur hiérarchie. Ils ont dès leur plus jeune âge effectué plusieurs séjours en Angleterre, ont été en “section européenne” au collège et au lycée, ont soigné leur niveau en mathématiques, fait une prépa, sont entrés dans une des meilleures business schools, ont passé au moins un trimestre dans une prestigieuse université américaine et terminé par un stage à Shangaï ou à Singapour. Et avec tout ça, Monsieur le consultant n’est pas content de ses consulteurs puisqu’il leur donne des conseils qu’il qualifie d’ “impertinents” et que d’autres diraient simplement “de bon sens”. Il leur parle en “je” et les interpelle en “vous”.
Quand il mime leur langage, le lecteur lambda, éberlué, voit fleurir dans sa prose une multitude de sigles et d’anglicismes qui lui sont inconnus et constate que leurs références culturelles ne sont pas les siennes. Tout le monde ne connait pas Lara Croft, ni Garance Doré la blogueuse mode, ni la série Deutschland 83 pour ne prendre que quelques exemples. Le dépaysement est complet et non sans un certain charme.
“Aider ses voisins de la planète à piloter, à préparer avec justesse un avenir meilleur pour les générations futures”
Il reprend à leur sujet le mythe de la caverne de Platon. Rivés aux écrans de leurs ordinateurs, de leurs tablettes, de leurs smartphone, ils ne voient que du virtuel, pas du réel. Retournez-vous, leur crie-t-il ! Changez de “regard” ! Le vrai monde est beau ! Il mérite d’être contemplé et les “vrais gens” ont bien quelque chose à vous dire. Ne vous laissez pas manipuler par des inconnus qui vous enserrent dans les filets de la pensée unique, d’une “bien-pensance” paralysante. Soignez vos relations avec votre entourage immédiat. Soyez vous-mêmes, ayez l’audace de renoncer quelquefois au “principe de précaution”. À ce prix vous pourrez innover et faire redémarrer votre entreprise. Comment savoir, avant d’avoir essayé, si vous n’avez pas l’étoffe d’un Steve Jobs ? (Aubry Pierens, avec son expérience, pense apparemment que les charges financières qui pèsent sur nos entreprises et un code du travail de 3 000 pages ne sont pas des obstacles insurmontables). Et puis, ajoute-t-il, vous avez la chance d’être français, héritiers et citoyens d’un pays qui a apporté au monde des contributions majeures dans les domaines politique, juridique économique et social, avec une “valeur ajoutée” intellectuelle, artistique, spirituelle. La France a une “mission” : “aider ses voisins de la planète à piloter, à préparer avec justesse un avenir meilleur pour les générations futures.” Allez-y sans peur, et sachez quoi répondre à qui vous demandera “Qu’est-ce que vous faites de beau dans la vie ?”.
Un regard peut tout changer, les conseils impertinents d’un consultantd’Aubry Pierens. Éditions Salavator, avril 2016, 190 pages, 19 euros.
La fête du jour