Reportage au camp de réfugiés de Moria, sur l’île de Lesbos en Grèce. “C’est une prison, c’est Guantanamo !”Lorsque j’ai visité le camp de réfugiés de Moria sur l’île de Lesbos, les fils barbelés, les caméras, la surveillance drastique et les pancartes interdisant les clichés m’ont totalement surpris.
En effet, Moria était, avant l’accord conclu entre la Turquie et l’Union européenne, un site ouvert et le camp accueillait les réfugiés à bras ouverts, les soutenant pendant qu’ils attendaient d’être enregistrés. Aujourd’hui, les forces de l’ordre gèrent les affaires du camp qui abrite quelque 3 000 personnes.
La presse locale assure que les réfugiés qui se trouvaient dans le centre-ville et le long du port ont été transférés vers d’autres camps à l’intérieur de l’île : la sortie reste un processus long et difficile, et les réfugiés font face à la perspective d’extradition vers la Turquie.
“Je te demande juste de traverser la route et de m’acheter de quoi manger”
Lors de ma première visite, un enfant syrien se tenant de l’autre côté du fils barbelé, m’a demandé un sac de chips. Il a dû croire que je travaillais pour un des restaurants ambulants qui s’arrêtaient de plus en plus nombreux, à proximité, ces derniers temps. Cet enfant, enfermé à Moria, à Lesbos, m’a donné une leçon de dignité humaine : “Je ne mendie pas. Mais tu es à l’extérieur et moi je suis coincé dans ce camp. Je te demande juste de traverser la route et de m’acheter de quoi manger”.
Un autre enfant s’est joint à nous et a crié : “Photo ! Photo !”. D’autres enfants se sont rassemblés autour de lui, souriant et faisant le signe de la victoire. Je n’avais pas prévu cette situation et j’hésitais à cause de la police et de toutes ces pancartes. Ces enfants réclamaient seulement une visibilité et voulaient que le monde prenne conscience de leur présence. Ils sont si courageux malgré les conditions inhumaines dans lesquelles ils survivent.
Les jeunes que j’avais rencontrés jusqu’à présent étaient moins enthousiastes pour les photos et plus enclins à la conversation. Certains parlaient l’arabe, d’autres le kurde. Tous ont voulu savoir si j’étais journaliste pour faire passer un seul message au monde : “Ici c’est une prison, c’est Guantanamo !”.
“Ils ont pris nos empreintes, on ne sait pas pourquoi…”
J’ai rencontré, le long du fil barbelé, des gens torturés et choqués. Ils m’ont dit qu’une grève de la faim était observée à l’intérieur du camp et m’ont donné des photos de familles entassées dans les tentes et d’enfants allongés par terre essayant de dormir à la belle étoile. Un Syrien a affirmé ne pas savoir quoi faire, surtout en l’absence d’avocats : “Ils ont pris nos empreintes, on ne sait pas pourquoi… Je suis ici depuis plus de 22 jours. Aujourd’hui, la police a roué un homme de coups parce qu’il s’était glissé une seconde fois dans la fille d’attente pour avoir de quoi manger… Il y a quelques jours, une bagarre entre réfugiés s’est déclenchée et l’un d’eux a été grièvement blessé au point d’être hospitalisé… Il n’est toujours pas revenu”.
Un autre confie : “Un mouvement de protestation a commencé à prendre forme à l’intérieur du camp après la décision prise d’extrader deux familles syriennes vers la Turquie. Hier, deux personnes ont tenté de se suicider”.
J’ai quitté le camp sous le choc et je me suis dirigé vers la plage parsemée de bouées de sauvetage, de chaussures, de vêtements et d’objets personnels laissés par ceux qui avaient pris la mer… J’ai jeté mon regard, par-delà les eaux, vers la Turquie souhaitant décrire à ceux qui fuient la mort de l’autre côté le soi-disant “paradis promis” qui les attend.