Le monde du XXIe siècle pose la question non seulement de la nécessité mais de la possibilité de frontières, rappelle Mgr Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers.Si la situation du pays n’était pas si grave, on pourrait presque s’amuser des leurres qui attirent l’attention sans jamais traiter les vraies questions : dilution de tout contenu de la Loi travail, débat sur la déchéance de nationalité, cannabis pour une détente de plus en plus nécessaire, pédophilie supposée généralisée du clergé, sans parler de la peopolisation du politique de la semaine, soyons indulgent, de la quinzaine. Il est cependant grave de ne pas aborder les questions de fond ; est-ce incompétence, aveu d’incapacité… Les sanctions électorales seront dès lors méritées.
On peut douter de l’existence des frontières
Le monde du XXIe siècle pose la question non seulement de la nécessité mais de la possibilité de frontières. Les No borders ont déjà apporté leur réponse, mais leur combat et son intitulé même supposent que les frontières existent puisqu’ils se proposent de les supprimer. Or, et c’est mon point de départ, on peut douter de l’existence de ces frontières, et ici, je ne me cantonne pas à considérer la seule Union européenne.
Il semble que les législations nationales sont désormais impuissantes face à une économie mondialisée et qui agit en tous sens pour le devenir davantage : les discussions hélas confinées à quelques initiés du traité TAFTA (Traité de libre-échange transatlantique), les Panama papers et l’impuissance des nations à imposer des règles fiscales aux firmes qui ont des activités sur leur sol manifestent que la libre circulation des biens et des capitaux est, sinon la règle (au sens légal du terme) du moins la pratique. Ce n’est que pour les personnes que la libre circulation n’est pas d’actualité et que les frontières demeurent.
L’absence des frontières et des contrôles va demeurer
Il serait dommage, et selon moi grave, de ne pas entendre les attentes des citoyens à l’endroit d’eux-mêmes et des conditions de vie que font naître ces expressions de la globalisation. “On n’est plus chez nous”, disent certains, d’autres éprouvent l’impuissance des États à agir sur des réalités économiques désormais transfrontières. “Mon ennemi c’est la finance”, proclamait quelqu’un… Oui, peut-être, mais au-delà d’une déclaration de principe, on a mesuré l’inefficacité, sinon le mensonge de ces propos.
Bien entendu, on pourrait souhaiter une entente des nations du monde pour régulariser et contrôler l’activité économique et financière mondiale… Vœu pieux ?
On peut alors estimer que, au moins à vue d’une génération ou de deux, l’absence des frontières et des contrôles va demeurer ; ce n’est donc pas dans ces domaines qu’une action peut être possible.
Dans dix ans, il sera trop tard
Je propose alors que les nations, si elles pensent avoir encore quelque légitimité et même quelque nécessité – ce que je souhaite au risque de graves troubles des populations – choisissent d’autres terrains pour manifester leur existence et leur identité. Ce terrain sera historique et culturel, ou si l’on veut culturel parce qu’historique.
Les nations européennes, qu’il me soit permis de parler de ce que je connais davantage, sont le fruit d’une histoire longue qui est encore dans la mémoire de ces générations qui n’ont pas encore totalement disparu.
Sans gommer les heurts et malheurs de cette histoire, il est temps d’en retrouver la fierté ; dans vingt ans, voire dix, je crains qu’il ne soit trop tard, celles et ceux aptes à transmettre n’étant plus là.
Voici les frontières dont nous avons besoin
Voici les frontières qui nous sont aujourd’hui nécessaires, et peut-être les seules qui sont encore possibles : des frontières qui disent l’identité, la culture, l’histoire d’une nation et qui donnent une responsabilité à la fois à ceux qui y naissent et à ceux qui demandent à venir y travailler et y résider. De telles frontières sont des portes qui appellent à des exigences aussi hautes chez ceux qui les ouvrent que chez ceux qui y frappent.
Je mesure que la vraie difficulté consiste à définir ces frontières, les désigner comme “culturelles” ne suffit pas. Alors, m’exposant sciemment, je les identifie, pour la France, comme passant par la maîtrise de notre langue et comme comportant l’adhésion aux héritages de Jérusalem, d’Athènes, de Rome, du christianisme, mais aussi des Lumières et de l’esprit critique. Cette dernière caractéristique désignant ces lignes comme ouvertes à tous les débats et à toutes les contestations. La foi chrétienne n’a rien à craindre de la critique, elle estime la raison comme une des capacités données à l’être humain, jamais comme une force en rupture ou en mauvaise autonomie.