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Synode sur la famille : du jugement à la bienveillance

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René Poujol - publié le 09/04/16
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Si l’Église ne retire pas un iota de sa doctrine sur le mariage et la famille, elle saute généreusement le pas de la miséricorde. Et cela change beaucoup de choses !D’une longue fréquentation des textes pontificaux j’ai appris qu’il fallait les lire deux fois. Dans une première lecture, on part fébrilement à la recherche des paroles que l’on voudrait entendre, au risque d’être déçu si l’on ne les y trouve pas. De ce point de vue, Amoris Laetitia (1) n’a pas dérogé à la règle. Sur aucune des «questions qui fâchent», qu’il s’agisse de la contraception, du mariage homosexuel ou de l’accès aux sacrements des divorcés remariés, le pape François n’apporte explicitement la réponse attendue par de nombreux fidèles, dont je suis. Une seconde lecture, dans la foulée, fait alors découvrir le texte pour lui-même et ses richesses. Et procure quelques surprises pour peu qu’on sache lire les notes en bas de page.

Les derniers paragraphes de l’exhortation apostolique en résument parfaitement l’esprit lorsqu’il écrit : «D’aucune manière l’Église ne doit renoncer à proposer l’idéal complet du mariage» (2) avant de poursuivre : «Cependant, il faut accompagner avec miséricorde et patience les étapes possibles de croissance des personnes qui se construisent jour après jour.» (3) Et comme pour répondre par avance aux objections il précise : «Je comprends ceux qui préfèrent une pastorale plus rigide qui ne prête à aucune confusion. Mais je crois sincèrement que Jésus Christ veut une Église attentive au bien que l’Esprit répand au milieu de la fragilité.» (4)

Un seul modèle, plusieurs réalités…

Tout est dit. Et les deux-cent soixante pages de ce texte, organisé en trois-cent vingt-cinq paragraphes n’est que le long développement de cette double exigence : fidélité et ouverture. Si le pape François, se faisant en cela l’expression du synode romain, ne veut pas toucher à la doctrine c’est parce qu’elle exprime le «projet de Dieu» sur la famille, et que ce que propose L’Église au travers du sacrement de mariage, lui semble correspondre à ce à quoi continuent massivement d’aspirer nos contemporains : un amour durable, vécu dans la fidélité et la fécondité.

L’exhortation apostolique réaffirme donc la conviction de L’Église que le seul modèle familial réellement utile à la société est celui qui repose sur le mariage hétérosexuel indissoluble et fécond. «Aucune union précaire ou excluant la procréation n’assure l’avenir de la société» écrit le pape François (5) Ce qui, bien évidemment, ne correspond pas à l’état actuel de l’opinion publique dans un pays comme la France. Pour autant, prenant acte de la diversité des familles et des situations, le texte reconnaît l’existence «d’éléments positifs» dans d’autres formes matrimoniales : concubinage, mariage civil ou remariage. Il invite donc les prêtres à accueillir les personnes telles qu’elles sont, sans renoncer à leur proposer l’idéal que préconise l’Église au travers de ce que le texte appelle une «pédagogie divine.»

Des vertus d’une note de bas de page…

Pour le pape François, le chemin est clair : «Deux logiques parcourent toute l’histoire de l’Eglise ; exclure et réintégrer (…) La route de L’Église, depuis le Concile de Jérusalem, est toujours celle de Jésus : celle de la miséricorde et de l’intégration. (…) La route de L’Église est celle de ne condamner personne éternellement.» (6) Or, précisément, la question soulevée par le refus d’admettre aux sacrements les divorcés remariés est bien celle d’une «condamnation à perpétuité». Si l’exhortation apostolique ne lève pas «explicitement» l’interdit, tout le propos du pape François est de nous faire comprendre qu’il y invite, dans le discernement.

Il écrit : «Il est possible que, dans une situation objective de péché, l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de L’Église.»  Pour qui est peu averti du langage ecclésiastique cela pourra sembler bien banal ou obscur. Il n’en est rien ! La mention faite de «l’aide de L’Église» peut déjà suggérer qu’il puisse y avoir là une possible allusion à l’accès aux sacrements. Une lecture plus attentive montre que cette phrase fait l’objet d’un renvoi à une note de bas de page n°351 où il est dit «Dans certains cas, il peut s’agir aussi de l’aide des sacrements.» Le mot est lâché ! La boucle est bouclée. Sans crier gare, en évitant toute provocation inutile sur un sujet sensible, le pape François, comme l’assemblée synodale l’y autorisait, ouvre une porte verrouillée depuis toujours. (7)

L’Église accepte-t-elle de recevoir aussi, de la société ? 

On savait l’homme rusé et déterminé. Il en apporte là la preuve, dans une totale fidélité aux délibérations des Pères du Synode. C’est là un point qu’il convient de souligner : on est étonné de la volonté manifeste du pape François de «jouer le jeu» de la collégialité synodale, en n’allant pas au-delà du consensus exprimé au terme des deux sessions.

Faut-il en conclure que L’Église change d’époque ? Sans doute pas ! Si la lecture, même rapide, de ce texte séduit très vite par sa richesse et l’ouverture qu’il propose, un point au moins continue de faire question. Certes, L’Église accepte de regarder la société telle qu’elle est, en évitant de multiplier les condamnations que l’on pouvait trouver sous la plume de ses prédécesseurs. Mais cette description des réalités de la famille contemporaine semble ne l’interpeller que sur sa capacité – ou sa non-capacité – à faire prévaloir sa propre vision des choses dans la société. Jamais L’Église ne se reconnaît questionnée «au fond» par telle ou telle réalité nouvelle.

Il y a là un décalage, pour ne pas dire une contradiction, avec les propos du pape François dans son interview aux revues Jésuites de l’été 2013 où il déclarait : «La compréhension de l’homme change avec le temps et sa conscience s’approfondit aussi (…) Les sciences et leur évolution aident L’Église dans (sa) croissance en compréhension.» (8) Or, on reste étonné que sur une question aussi sensible que la contraception, l’exhortation revienne à quatre reprises sur l’encyclique Humanae Vitae pour en souligner la pertinence notamment en ce qui concerne le lien entre méthodes naturelles et respect de la dignité de la personne (9), ce qui mériterait un plus large examen.

De même, sur la question de l’homosexualité, on s’étonne que l’exhortation donne le sentiment de ne pas «entendre» les personnes homosexuelles elles-mêmes et de ne pas leur parler. Sinon pour confirmer, comme pour les autres personnes  se trouvant dans des situations non conformes à l’enseignement du magistère, qu’elles sont aimées de Dieu et ont toute leur place dans L’Église. La seule attention pastorale vise leurs familles – parents ou enfants – que le texte invite à accompagner avec charité. Ce qui peut sembler un peu court.

Que dire d’autre ? Qu’il faut lire Amoris Laetitia, selon l’invitation du pape François lui-même. En prenant le temps d’entrer dans une réflexion dont ne peuvent rendre compte les codes binaires et expéditifs de la communication dans nos sociétés modernes. Pour L’Église, restera malgré tout posée une question essentielle : comment faire prendre conscience de ce nouveau regard sur les réalités familiales, à celles et ceux qui sont éloignés d’elle ?

________

  1. Exhortation apostolique post-synodale Amoris Laetitia, pape François, 260 p. à paraître dans les prochains jours chez de nombreux éditeurs.
  2. n°307
  3. n°308
  4. ibid
  5. n°52
  6. n°296
  7. Il est même possible que cette «ouverture» ait échappé aux membres de la Secrétairerie d’État du Vatican qui a traduit le texte en différentes langues. Dans un document pédagogique «questions et réponses» fourni aux évêques et aux journalistes, ils écrivent à propos des divorcés remariés : «Même s’ils ne peuvent pas prendre pleinement part à la vie sacramentelle de L’Église, ils sont encouragés à participer activement à la vie de la communauté». Ce qui était la position de L’Église…. avant l’exhortation !
  8. Pape François, L’Église que j’espère, Ed. Flammarion – Études, p. 132
  9. n°82
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