L’Église syrienne a délivré ce message à Mgr Rey : “Pesez de tout votre poids politique en faveur des chrétiens d’Orient qui se sentent abandonnés depuis des années”.
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“C’est l’évêque qui était déjà venu cet été !”, s’exclame une jeune fille sur les marches de l’église de Yabroud, autrefois temple de Jupiter. Les vieilles pierres ne sont pas les seules à avoir de la mémoire, et la nouvelle visite de Mgr Rey touche les habitants de la petite ville de 60 000 habitants libérée de la présence islamiste en 2013.
C’est le père Georges Haddad, curé de la paroisse, qui accueille la délégation aux côtés de l’archevêque du lieu, Mgr Jean-Abdo Arbach. Dans l’église, l’iconostase semble bien pauvre, aucune icône n’est encore réinstallée. Lorsqu’il avait senti que la présence rebelle se faisait menaçante, le curé avait pris la décision de décrocher toutes les précieuses et anciennes icônes afin de les garder en sécurité à la Banque centrale de Damas. Les trois calvaires qui surplombent l’église ont quant à eux retrouvé leur place : trop volumineux pour être déplacés, ils avaient été cachés sous terre, dans le jardin de l’évêché, et ainsi préservés de la haine islamiste.
Depuis la libération de la ville par le Hezbollah dont les habitants chantent encore les louanges, les familles sont peu à peu rentrées. Aujourd’hui, 98% des chrétiens sont réinstallés tandis que sept familles ont fui la Syrie pour l’étranger. “Pour la Syrie, je suis optimiste”, répond sans hésiter le père lorsqu’on lui demande quelle est son espérance aujourd’hui. “Mais pour l’Europe, je suis pessimiste. Vous accueillez des vagues entières de musulmans et votre continent sera islamisé dans très peu de temps”, met en garde d’un air sombre celui qui prône pourtant pour la Syrie une coexistence “dont [nous avons] l’habitude”.
Partout dans les églises, les saints visages sont grattés, les croix cassées… “Nous resterons ici jusqu’à la mort, notre retour est déjà le signe de leur échec”, confie une jeune fille, croisée à la sortie de la messe. Sur le toit de l’église, les croix brisées par les islamistes ont déjà retrouvé leur place, les cloches sonnent et une immense statue de la Vierge se dresse fièrement quelques mètres plus loin, depuis le début de l’année scolaire.
Mais la vie quotidienne n’a pas retrouvé l’éclat d’avant-guerre, notamment en raison d’une faiblesse économique dramatique pour les familles syriennes. “Le blocus de vos gouvernements nous fait un tort terrible, et seule la population en pâtit”, ajoute encore le père Georges Haddad qui explique les difficultés d’importation et d’exportation que rencontrent ses compatriotes commerçants. Son message à la délégation français est “le même que pour toute l’Église d’Europe”, “pesez de tout votre poids politique en faveur des chrétiens d’Orient qui se sentent abandonnés depuis des années”.
Jusqu’à la mort
Retour dans le bus, pour rejoindre la ville de Qoussayr, détruite à 80% par de féroces combats entre l’armée syrienne, le Hezbollah et les islamistes du front al-Nosra. Beaucoup d’entre eux étaient des habitants sunnites de cette petite ville de 60 000 habitants.
Comme à Homs, la rébellion s’est très rapidement confessionnalisée. Les chrétiens se souviennent avoir entendu les manifestants scander : “Les chrétiens à Beyrouth, les alaouites à la tombe”. Quelques jours plus tard, dans le quartier chrétien, les musulmans les plus radicaux prévenaient : “Nous pourrions élargir la tombe pour les chrétiens”. Ces derniers ont donc quitté la ville pour rejoindre massivement le Liban voisin, pendant que leurs maisons étaient pillées, brûlées avant d’être détruites par des bombardements intensifs.
La ville est frontalière du Liban et les passages d’armes ou de djihadistes étaient fréquents : c’est donc ici que le Hezbollah est entré en guerre en Syrie, et Qoussayr fut la première ville de la région à être libérée de la tutelle islamiste.
Aujourd’hui, quelque 500 familles chrétiennes sont rentrées, heureuses de quitter le Liban où les avaient rejoints quelques mois plus tard celles qui les avaient chassées de chez elles et qui fuyaient à leur tour les bombardements de l’armée syrienne.
“Si je suis revenu à Qoussayr, c’est pour y rester et pour encourager mes fidèles à faire de même. Vous faites partie de ceux qui ont compris que votre rôle est de nous aider dans cette mission. Nous ne demandons rien d’autre qu’une aide spirituelle et matérielle pour reconstruire notre ville méconnaissable”, confie le père Issam, attentivement écouté par ses deux fils aînés. En Orient, nombre de prêtres sont en effet mariés.
Ils savent tous ce que veut dire “rester jusqu’à la mort”, l’un des leurs a rejoint le Ciel après avoir refusé la conversion imposée par les islamistes. Une tristesse mêlée de fierté accompagne cette confidence du prêtre, que détaille une doyenne de la ville, alors qu’elle dépose une bougie aux pieds de la Sainte Vierge.
Cette crise nous ramène à l’essentiel
À Maaloula aussi, les chrétiens ont été les victimes de leurs propres voisins musulmans. Ces situations ne sont pas si courantes dans une guerre civile marquée par le nombre de villes syriennes tombées aux mains de djihadistes étrangers. Mais elle est d’autant plus difficile : comment imaginer refaire confiance à des voisins qui vous ont déjà trahi… Le défi est immense mais les religieux espèrent le relever, en ayant conscience toutefois qu’une réconciliation nécessite également une demande de pardon de la part de l’agresseur.
Trois Maaloulites sont morts d’une balle dans la tête pour avoir refusé la conversion à l’islam. En août dernier, Mgr Rey avait rencontré la famille de l’un d’entre eux, lors d’une visite particulièrement émouvante. À l’issue d’un bref passage dans le village, l’évêque français s’échappe un instant pour aller saluer cette famille dans l’intimité. Quelques minutes plus tôt, dans l’église Saint-Georges, il proposait aux 45 Français de sa délégation de prendre l’engagement de prier quotidiennement pour la paix en Syrie, et tous de réciter une prière rédigée à cette intention par le diocèse de Fréjus-Toulon.
“Notre existence chrétienne est menacée ici, mais il y a aussi beaucoup de raisons d’espérer. Cette crise nous ramène à l’essentiel et éclaire notre rôle de chrétiens dans cette région aujourd’hui ténébreuse. Merci de votre soutien spirituel et matériel, qui nous aide très concrètement à mener cette mission aujourd’hui si difficile. Vous êtes venus par amour, merci”, conclut le père Toufic devant une assemblée française impressionnée. “Je demande à tous les Français préoccupés par le sort des chrétiens d’Orient de s’engager concrètement à les soutenir dans leur combat de foi, de confiance et d’espérance”, lance Mgr Rey juste avant de repasser la frontière syrienne, en promettant de revenir bientôt.