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Les attentats de Bruxelles et la stratégie de l’État islamique

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Philippe Oswald - publié le 25/03/16
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En difficulté croissante en Syrie et en Irak, Daesh intensifie ses attentats en Europe pour y faire monter l’exaspération contre tous les musulmans jusqu’à provoquer la guerre civile.“L’armée syrienne et ses alliés ont gagné, mercredi 23 mars, les faubourgs de Palmyre, cité antique aux mains de l’organisation djihadiste Etat islamique. Les combats font rage autour de la ville du centre du pays. Appuyée par l’aviation russe, l’armée a commencé le 7 mars une bataille pour reprendre la ville inscrite par l’Unesco au Patrimoine mondial de l’humanité et prise par l’EI en mai 2015”, résume Le Monde.

L’Europe et la France, cibles privilégiées

Éclipsée par les attentats de Bruxelles, la reprise de Palmyre est symbolique des revers de Daech en Syrie et en Irak. Mais l’objectif du “Califat” est mondial, et sa stratégie, celle du chaos. Pour le comprendre, explique Edern de Barros dans Contrepoints, il faut relire L’Appel à la Résistance islamique globale d’Abou Moussab Al-Souri, un ancien compagnon de Ben Laden et l’un des principaux théoriciens du djihad. Son livre est “le manuel stratégique des terroristes de tous horizons”. Il inspire notamment le magazine Dabiq, organe de la communication du “Califat”, dont le numéro de février 2015 publie un article intitulé “La zone grise” : La “zone grise” désigne les musulmans dans l’incertitude, ceux qui sont encore dans un entre deux. Par conséquent, la stratégie pour l’EI consiste à essayer “d’accroître la division et de détruire la zone grise”. Il enjoint les “croyants” à faire leur exil (hijrah) vers la terre des musulmans (Dar al islam), et à prendre les armes contre leur pays de résidence au cas contraire (…), notamment en France où la communauté musulmane représente 7,5% de la population totale, soit environ 4 710 000 personnes. Ainsi, l’EI espère attiser les conflits intercommunautaires, et accélérer le processus de djihadisation.

Condamnés et vite libérés…

Le terreau de la radicalisation islamique en Europe, ce sont les banlieues, les prisons et les familles. Après les frères Merah, Kouachi, Nzohabonayo, Clain, Abdeslam, c’est encore une fratrie qui est impliquée dans les attentats du 22 mars à Bruxelles : les deux frères El Bakraoui, Khalid et Ibrahim sont les kamikazes qui se sont fait exploser à Bruxelles, Ibrahim dans l’aéroport de Zaventem, Khalid dans le métro. “Tous ces terroristes sont, à la base, des petites frappes, des délinquants. Le fait qu’ils agissent ensemble pour voler des voitures, ou braquer des banques, n’a rien d’étonnant : quoi de mieux qu’un frère comme complice pour éviter que l’on vous dénonce ? Forcément, un frère ou une sœur n’ira pas facilement balancer quoi que ce soit à la police”, explique Sonia Imloul, de la prévention antiterroriste, à L’Obs.

Comme les autres terroristes cités, les frères El Bakraoui sont des repris de justice ayant basculé dans le terrorisme, constate Dernières Nouvelles d’Alsace : “En 2010, l’aîné [Ibrahim] avait été condamné pour avoir tiré à la Kalachnikov sur des policiers au cours d’un braquage. Il avait écopé de 9 ans de prison. En 2011, Khalid est à son tour condamné à une peine de prison. Il écope de 5 ans pour sa participation à des car-jackings. La police avait trouvé des Kalachnikov leur appartenant, à ses complices et lui à l’époque”.

Question : pourquoi des individus aussi dangereux ont-ils écopé de peines aussi légères, peines qu’ils n’ont même pas effectuées dans leur intégralité ? Comment un braqueur ultraviolent qui a tiré à la Kalachnikov sur des policiers peut-il n’être condamné qu’à neuf ans de prison et être libéré… au bout de quatre ans ?

La prison elle-même ne présente pas les garanties de sécurité, rapporte Direct Matin à propos de Salah Abdeslam, le dernier membre vivant des commandos du 13 novembre à Paris : “Incarcéré depuis samedi à la prison de Bruges, Salah Abdeslam a pour voisin de cellule Mehdi Nemmouche, l’auteur de l’attentat du musée juif de Bruxelles. Sans télévision, le terroriste présumé des attentats n’a pas pu suivre les attentats de Bruxelles de mardi à la télévision, au contraire de certains détenus selon le quotidien Het Nieuwsblad. Mais son voisin, soupçonné d’avoir abattu quatre personnes dans le musée juif de Bruxelles en 2014, serait parvenu à le tenir au courant des évènements. Une seule cellule sépare les deux terroristes l’un de l’autre dans le quartier de haute sécurité de l’établissement pénitentiaire”. Nemmouche aurait aussi ordonné à Abdeslam de se taire. Résultat : après s’être montré bavard, Salah Abdeslam ne parle plus aux enquêteurs, annonce le 24 mars Europe 1.

La Turquie jette un pavé dans la mare

Pour ajouter à l’embarras des autorités belges, le président turc Recep Tayyip Erdogan a jeté un pavé dans la mare, mercredi 23, en affirmant devant la presse que l’un des trois kamikazes de l’aéroport de Bruxelles, Ibrahim El Bakraoui, avait déjà été arrêté l’été dernier sur son sol et expulsé vers la Belgique. Les autorités belges auraient alors ignoré sa mise en garde : ““Les Belges nous ont répondu le 20 juillet en nous disant qu’ils avaient déjà arrêté cet individu par le passé, et qu’ils l’avaient relâché car ils n’avaient pas été en mesure de trouver un quelconque lien terroriste”, précise au Figaro un haut responsable turc sous couvert de l’anonymat. Selon cette même source, l’individu aurait été expulsé “vers la Hollande sur sa demande”, avant de regagner la Belgique”.

Le lien avec les attentats de Paris

“Les frères El Bakraoui étaient liés à Salah Abdeslam, suspect des attentats de Paris : l’appartement de Forest, où une trace de l’ADN d’Abdeslam avait été retrouvée, avait été loué sous une fausse identité par Khalid El Bakraoui”, souligne le Nouvel Obs. Un troisième homme, Najim Laachraoui, était déjà recherché dans le cadre des attentats de novembre à Paris, rappelle le JDD : “Selon le parquet fédéral belge, il a apporté un soutien logistique aux commandos des attaques de Paris. Il a échangé des SMS avec les auteurs des attaques parisiennes, dont celui envoyé par un des terroristes du Bataclan : “On est parti. On commence””. Il est soupçonné d’être l’artificier des attaques du 13 novembre et de celles de Bruxelles, rapporte Le Figaro : “Son ADN a été retrouvé dans deux planques [en Belgique] occupées par les commandos de Paris et sur plusieurs ceintures explosives”. Laachraoui était connu des services belges et faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international depuis mars 2014. Il est aussi cité comme ayant participé à l’attentat du Caire de 2009 où une lycéenne française avait été tuée.

“Nous avons fermé les yeux”

“Nous avons fermé les yeux partout en Europe et aussi en France sur la progression des idées extrémistes, salafistes”, a reconnu Manuel Valls au micro d’Europe 1, mercredi 23 mars, en dénonçant “l’idéologie de l’Islam radical qui se propage en prison et dans des lieux de cultes”. S’agissant des mesures à prendre face à la menace terroriste, le Premier ministre français a réaffirmé l’urgence, pour l’Europe, d’adopter le PNR (le fichier des données personnelles des voyageurs aériens). Le texte sera soumis au Parlement Européen en avril prochain. Par ailleurs, le Premier ministre a estimé qu’il y avait “urgence à renforcer le contrôle des frontières extérieures” de l’Union européenne pour que “plus personne ne puisse passer avec des faux papiers, parce que nous savons que Daech a volé de grandes quantités de passeports en Syrie”.

“Vivre pleinement face à la peur”

C’est le moment de nous souvenir du testament des moines de Tibhirine, assassinés en Algérie il y a tout juste vingt ans, conseille Christophe Henning sur RCF : “Sans naïveté ni concession, vivre pleinement face à la peur”. La peur n’est pas seulement mauvaise conseillère : face au terrorisme, elle peut nous entraîner dans un engrenage mortel. “L’opinion française serait-elle aujourd’hui à “un point de bascule”” de rejet des musulmans selon les sondeurs de l’Ifop interrogés par RTL : “La multiplication des attentats (en Côte d’Ivoire, à Paris ou à Bruxelles), l’omniprésence de la menace (…) tout cela nous fait rentrer dans l’engrenage recherché par les terroristes”.

De fait, “l’objectif des attentats est de créer un fossé entre les Européens “de souche” et les musulmans immigrés”, commente sur son blog Patrice de Plunkett : “De la part de Daesh ce but fait partie d’une stratégie, celle de tous les terrorismes insurrectionnels : forcer deux populations à se séparer et s’affronter, en commençant par faire couler entre elles une rivière de sang. Atroce mais rationnel. Ce qui n’est pas rationnel, c’est de croire combattre Daesh en appliquant la même logique de séparation et d’affrontement. Le vrai contreterrorisme n’est pas un “terrorisme contraire” mais le contraire du terrorisme”. C’est le message non pas de « bizounours », comme on le lit souvent sur les réseaux sociaux, mais « sans naïveté ni concession » du pape François que rapporte Famille Chrétienne : “Persévérer dans la prière et demander au Seigneur, en cette Semaine sainte, de consoler les cœurs tristes et de convertir les cœurs de ces personnes aveuglées par le fondamentalisme cruel”.

Ce qui ne dispense évidemment pas de traquer les terroristes et d’entreprendre en amont l’immense travail d’éducation laissé en friche non seulement dans les banlieues mais dans l’ensemble de la société.

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