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“Spotlight” : la vérité peut rendre libre

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Père Denis Dupont-Fauville - publié le 23/02/16
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Il est toujours étonnant de constater la capacité du cinéma américain à s’emparer des sujets récents les plus complexes pour en faire un grand spectacle.

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Des œuvres qui non seulement tiennent leurs spectateurs en haleine mais qui, souvent, provoquent une véritable réflexion d’ordre moral[1], voire une sorte d’examen de conscience.

Dans cette catégorie, les scandales les plus retentissants fournissent évidemment une cible de choix : outre que les films qui les traitent bénéficient ainsi du battage médiatique propre à l’affaire considérée, ils sont l’occasion de dévoiler les ressorts cachés du pouvoir et donc de développer des intrigues haletantes. Un modèle en la matière reste Les hommes du président, d’Alan J. Pakula (avec Robert Redford et Dustin Hoffman, 1976), qui narrait les dessous du Watergate. Quarante ans après, Spotlight s’inscrit clairement dans cette filiation pour raconter, avec un grand souci de fidélité, une affaire plus choquante encore : celle de l’enquête journalistique du Boston Globe qui aboutit, en 2001, à révéler les agressions pédophiles commises par des prêtres du diocèse de Boston et aussi la façon dont la hiérarchie ecclésiastique avait systématiquement couvert les agresseurs et incité les victimes au silence.

Une critique de cinéma n’a pas pour objet de poser un jugement moral sur l’affaire décrite, mais plutôt de scruter la façon dont le film en rend compte. Non pas, donc, redire que ce qui est dénoncé doit l’être, mais regarder comment la forme de cette dénonciation rend justice sur le fond à l’intention déclarée du réalisateur. Dans cette optique, Spotlight représente certainement un coup de maître. Pour le dire d’une phrase, ce ne sont pas seulement les crimes commis qui sont ici dénoncés, mais aussi (et peut-être surtout) les complicités auxquelles ils ont donné lieu de la part d’une institution officiellement vouée à les combattre, complicités d’autant plus insoutenables qu’elles rencontrent certaines de nos propres ambiguïtés. Ces collusions et ce combat sont assumés de plusieurs manières. Contentons-nous ici d’en mentionner quelques-unes.

Il s’agit d’abord d’un film sur le pouvoir de la parole. Parole de la presse, bien sûr, qui peut faire ou défaire l’opinion et, à ce titre, mérite d’être longuement méditée et éprouvée avant sa formulation et sa publication. En creux s’inscrit aussi une méditation sur l’évolution de la presse depuis l’époque de cette enquête : à l’heure d’internet, est-il encore concevable de consacrer tant de temps à des vérifications et à des recoupements, à l’audition de témoins directs et au respect de la parole donnée ? Toujours est-il que, face à la parole de la presse, se dresse la parole de l’Église, qui prétend rendre présent le Verbe. Que se passe-t-il quand le mensonge est la règle ou que le silence prévaut, quand le verbe, précisément, est étouffé ? Face à une vision du journalisme comme sacerdoce se pose la question du ministère sacré quand il est exercé de façon sordide. Mais le réalisateur Tom McCarthy a trop d’expérience pour s’en tenir à un simple face-à-face. Il est remarquable, en effet, qu’aucune image de violence ou de sexe ne soit montrée. Les faits les plus atroces sont simplement racontés ou évoqués par leurs acteurs. Ainsi ces images nous montrent-elles la force de la parole, parfois plus évocatrice que les images elles-mêmes. De même les journalistes les plus expérimentés porteront-ils jusqu’au bout le poids moral de ne pas toujours avoir relayé la parole importante lorsque cela aurait été nécessaire ; de bons professionnels découvriront, à leur propre confusion, qu’un usage simplement procédurier de la parole peut les rendre complices d’un système ; des criminels eux-mêmes avoueront leurs crimes, avec des mots si décalés que l’auditeur comprend que rien ne pouvait les arrêter. Pouvoir de la parole, donc, et responsabilité de son usage.

Autre trouvaille, celle qui consiste à partir de groupes restreints pour, progressivement, élargir l’horizon. Il y a la cellule d’investigation journalistique, la famille de chacun des protagonistes, les notables de Boston, les paroisses, la hiérarchie catholique… Or, non seulement chacun de ces “réseaux de solidarité” est décrit comme une famille, mais, à mesure que le propos avance, nous découvrons que chaque personne appartient à plusieurs de ces cercles. En réalité chacun, à l’intersection de diverses communautés unifiées par un discours commun, se trouve au confluent de diverses paroles. Comment les assumer ensemble, les rendre compatibles, faire leur unité ? La réponse appartient au secret de chaque être, qu’il soit avocat franc-tireur distillant ses propos au compte-gouttes ou directeur de rédaction suscitant sobrement les réactions de tous. Il y a donc pour chacun, y compris pour le spectateur, un discernement à opérer parmi ses voisins, ses collègues et même ses propres affirmations. Car les synergies de groupe jouent pour le bien comme pour le mal. Une phrase clef du film est énoncée par l’avocat Garabedian : “S’il faut tout un village pour élever un enfant, il faut aussi tout un village pour qu’on puisse les violer” [2]. Il ne suffit pas de dénoncer les actes, il faut que cette dénonciation puisse avoir un écho, c’est-à-dire traverse toutes les illusions rassurantes dont nous nous nourrissons à longueur de journée. À cet égard, la scène du désarroi d’une grand mère catholique lisant dans le journal les révélations terribles que sa petite-fille bien-aimée a contribué à mettre au jour est proprement déchirante. De même que la parole peut transmettre le néant du mensonge, certaines solidarités amènent à trahir non les membres d’un groupe, mais l’humanité entière.

Ici intervient un troisième niveau de réflexion. Dès le début du film, il est souligné que de telles perversions, enracinées dans la force du pouvoir, de la bien-pensance et des habitudes, nécessitent des intervenants extérieurs pour pouvoir être combattues. De fait, le rédacteur en chef qui lance l’enquête de Spotlight n’est ni de Boston ni catholique, mais juif de Floride ; et l’avocat tenace qui résiste seul contre tous est arménien. Pourtant, tous les journalistes en viennent à conjuguer leurs forces pour démonter le système, même les plus anciens des Bostoniens. Et tous, simultanément, se découvrent plus ou moins complices des silences passés. Le combat n’est ni entre les chrétiens et les autres, ni entre les bons et les méchants, mais entre ceux qui se sont résignés au mal et ceux qui s’entraînent à le combattre malgré tout. À cet égard se fait entendre, en filigrane, tout une réflexion sur l’apprentissage éthique et professionnel : un bon journaliste d’investigation doit apprendre son métier et buter sur ses propres limites, de même qu’un brillant avocat peut être mis en danger par sa propre habileté ou qu’un prêtre n’a pas seulement à savoir parler ou prier pour honorer son ministère.

Questions redoutables, donc, d’autant plus qu’elles se posent avec évidence au terme d’un film à la rigueur implacable et au rythme palpitant, quand bien même l’issue en est d’avance connue. Certes, beaucoup de dialectiques ne se trouvent qu’effleurées, bien des pistes gagneraient à être davantage exploitées, une mise en scène plus inventive pourrait être souhaitée. De même, à la fin, si l’onde de choc que provoqua l’histoire dans le monde entier et la façon dont l’archevêque de Boston échappa à la presse sont signalées, aucune mention n’est faite de la révolution introduite ensuite par Benoît XVI en la matière dès son accession au trône de Pierre, ni de la sévérité avec laquelle il traita bien des évêques impliqués sous son pontificat.

Reste qu’avec sa rigueur toute classique, Spotlight prolonge l’impact de l’enquête qu’il raconte [3]. Le cinéma dispose en effet de cette faculté de nous introduire de façon concrète, émotive, dans des situations qui peuvent nous sembler étrangères et dont nous découvrons soudain qu’elles nous concernent très profondément. C’est pourquoi, dans une interview publiée le 17 février 2016 [4], un ancien « promoteur de justice » au Vatican a pu déclarer : “Il faut que tous les évêques et cardinaux aillent voir ce film. […] Il n’y a pas de miséricorde sans justice”. Quitte à sortir pour finir du cadre de la critique, souhaitons que non seulement les faits dénoncés, mais aussi les questions qui leur sont liées puissent faire, de la part de tous, l’objet d’une réflexion approfondie.

[1] Phénomène qui prend de telles proportions qu’il est dernièrement devenu sujet d’études, si bien que l’académicien Alain Finkielkraut lui a, par exemple, consacré l’une de ses récentes émissions radiodiffusées : http://www.franceculture.fr/emissions/repliques/les-enjeux-ethiques-dans-la-culture-populaire

[2] En anglais : “If it takes a village to raise a child, it takes a village to abuse them”. La première partie reprend une phrase rendue célèbre en 1996 par Hillary Clinton.

[3] Il bénéficie d’ailleurs de 6 nominations aux Oscar.

[4] L’interview a été donnée au quotidien La Repubblica : texte complet de l’article (en italien) sur http://ricerca.repubblica.it/repubblica/archivio/repubblica/2016/02/17/i-cardinali-vedano-il-film-sui-preti-pedofili-al-abusi20.html L’auteur des déclarations est Mgr Charles Scicluna, actuel archevêque de Malte et ancien promoteur de justice à la Congrégation pour la doctrine de la foi. Cf. aussi l’article publié sur Aleteia.

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