Enfants du Mékong soutient depuis de nombreuses années les actions d’un missionnaire qui a porté l’Évangile à une population méprisée, dans un pays touché par la guerre et la répression religieuse.Avant de répondre l’appel de l’Esprit Saint, le père Tin a ressenti l’appel du ballon rond. À 10 ans, le jeune garçon du Nord-Vietnam demande à sa mère de rejoindre les Frères Rédemptoristes, car il les voit jouer au football. Il est ensuite impressionné par les enseignements qui sont proposés au sein de cette congrégation : “Nous apprenions à aller au contact de ceux qui sont les plus marginalisés, les plus abandonnés”.
Un Vietnamien chez les Jaraï
Devenu prêtre, il décide avec ses nouveaux frères de “chercher la présence de Dieu dans le quotidien et la culture des populations qui ne sont pas catholiques”. Le père Tin voit la culture comme “une adaptation de l’être humain à la nature, qui elle-même est pleine des mots de Dieu”. À l’Institut Rédemptoriste, ils lisent Dieu aime les païens de Jacques Dournes ; l’un des frères, découvrant les descriptions des coutumes sur les hauts plateaux du Vietnam se demandait si les scènes se déroulaient en Afrique. Le père Tin se souvient : “À l’époque, cette région était extrêmement mystérieuse pour nous”. Il s’y rend avec deux autres frères, ” sans plan précis”. Ils découvrent une population qui vit en quasi autarcie, méprisée par l’ethnie viêt (ou kinh), majoritaire.
Les Jaraï ont intériorisé le sentiment d’être des arriérés et des sauvages dont la culture disparaîtra au contact de la modernité. Pourtant, les religieux tombent immédiatement amoureux de leur culture : il n’y a pas de voleur, ni de prisonniers, les villages sont propres, parfaitement organisés et la solidarité est ancrée dans les mœurs. Quand un Jaraï possède un bœuf, par exemple, il sait que l’animal, tant qu’il est vivant, lui appartient, mais qu’une fois abattu il appartient au village entier. Malgré ces qualités, même les chefs de village se résignent à voir progressivement leur culture disparaître.
“Nous les avons guidés jusqu’à présent, c’est à votre tour”
Les villageois s’étonnent de voir ces frères qui s’intéressent à ce que tous les autres Viêts ont l’air de mépriser : leurs traditions, leurs musiques et leur religion. Jusqu’à présent, ils avaient vu des étrangers leur venir en aide matériellement, mais jamais personne ne s’était intéressé à leur spiritualité. Les frères s’établissent dans les villages et mènent la vie de tout Jaraï : travaillant dans les champs, s’occupant du bétail, bâtissant les maisons de bambous. L’assemblée des chefs du village vient un jour rencontrer les frères et leur disent : “Nous avons guidé le peuple jaraï jusqu’à présent, notre période s’achève, guidez-les à votre tour”.
Prisonniers dans la jungle
La guerre du Vietnam finit par rattraper la communauté isolée dans ses montagnes. Les trois frères sont enlevés par la guérilla en 1970. Soupçonnés d’être des agents de la CIA, ils sont interrogés pendant quatre mois, ils répondent imperturbablement : “Nous ne suivons personne d’autre que Jésus de Nazareth”. Le plus âgé, Frère Marco Ñaøn, ne survit pas aux conditions de détention. Le père Tin assure que la mort de ce frère, en mission, a produit beaucoup de fruits. “Elle a contribué à la foi des Jaraï.” Les frères sont finalement relâchés, mais après la victoire des communistes en 1975, toutes les religions sont durement attaquées. Il est interdit de célébrer la messe en dehors des églises, alors que les Jaraï n’ont pas de bâtiment religieux. Les chrétiens subissent une multitude de vexations, ne peuvent pas accéder à certains postes, ont de grandes difficultés à obtenir des vacances pour Noël, etc. Mais beaucoup “d’opposants” au régime se convertissent en prison.
Aucune conversion pendant 20 ans
Ces restrictions concernent peu les Jaraï en 1975. Aucun d’entre eux n’est encore chrétien. Les missionnaires ne proposent à personne de se convertir. Lorsqu’un villageois lui demande pourquoi, le père Tin répond : “Si je te demandais de devenir chrétien, tu pourrais refuser. Mais si Dieu te le demande, tu ne pourras pas refuser !”. En 1985, sept Jaraï ont été baptisés, puis le nombre de chrétiens a augmenté progressivement. Ils sont impressionnés par la complicité des frères : une Jaraï découvre un jour qu’ils n’ont pas les mêmes parents, et se demande comment des gens qui ne sont pas de la même famille peuvent s’entendre aussi bien. Le père Tin y voit une référence à saint Jean (13,35) : “À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres”.
Culture jaraï et foi chrétienne
Les frères qui vivent en immersion depuis des dizaines d’années sont devenus plus Jaraï que les Jaraï eux-mêmes, ils les encouragent à retrouver leurs traditions, à inventer de nouveaux chants. En 1992, lors d’une fête de paroisse, les frères demandent à ce que les Jaraï se vêtent de la tenue traditionnelle : une tunique bleu nuit joliment décorée de motifs géométriques. Mais il n’en reste presque plus ! À partir de cette date, ils encouragent des ateliers de tissages manuels qui permettent de procurer à chaque habitant qui le souhaite un costume traditionnel. Ce dernier est devenu un emblème de leur identité et ils le portent désormais fièrement lors des fêtes et des cérémonies religieuses. Reprenant la tradition théâtrale des Jaraï, ils reproduisent les scènes de la Bible, et leur savoir-faire est à présent apprécié dans tout le Vietnam !
“Une grande multitude que personne ne peut compter ni dénombrer”
Les Jaraïs sont désormais représentés à chaque grand rendez-vous chrétien. En 1999, lors d’un rassemblement d’une centaine de milliers de pèlerins, 500 chanteurs et danseurs jaraï ont ému la foule. Le père Tin se souvient : “Toute la foule des pèlerins pleurait lorsque la chorale a entonné le chant funèbre pour la mort de Jésus. Depuis cette date, tous les Vietnamiens aiment et respectent les Jaraï !”. Ce peuple qui craignait de disparaître a perdu sa timidité et son complexe d’infériorité à l’égard de la majorité Kinh, assure le prêtre. Il compare les chrétiens Jaraï aux premiers chrétiens tels qu’ils sont décrits dans les Actes des Apôtres (2,42-47) : “Ils rompaient le pain dans les maisons et ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur. Ils louaient Dieu et avaient la faveur de tout le peuple. Le Seigneur ajoutait chaque jour à l’Église ceux qui étaient sauvés”.
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