Y a-t-il vraiment, comme l’affirme Thomas Guénolé, deux catégories de chrétiens en France, les uns accrochés à leurs racines et refermés sur eux-mêmes et les autres vertueux accueillants de migrants ?Selon Thomas Guénolé, politologue, il y aurait deux catégories de chrétiens en France dont une en pleine expansion et dangereuse, de la race des pharisiens : ils défendent des santons et des cloches, arc-boutés à leurs traditions millénaires et côtoient des gens aussi sulfureux que Robert Ménard ou Marion Maréchal Le Pen. En fait, des graines de fascistes enrobés de racisme. Accrochés à leurs racines, refermés sur eux-mêmes.
Et de l’autre côté, les vertueux, ceux qui ont des valeurs, qui accueillent les migrants, tous les migrants. Ils ne sont pas racistes mais généreux et ouverts. Ils font partie du camp du Bien.
Cette distinction ne reflète pas la réalité, le monde n’étant pas binaire. Ce qui caractérise la religion chrétienne par rapport aux autres, c’est qu’elle est incarnée. Le Christ, c’est Dieu fait Homme : un homme avec des racines et faisant partie d’un peuple qui a une Histoire.
La crèche, c’est la représentation de la venue du Christ sur la Terre, une représentation bien humaine et populaire et qui symbolise surtout l’accueil de tous par Dieu. Marie, assise sur son âne, guidé par Joseph, en quête d’un logis, étrangers en leur propre pays, ne sont-ils pas l’icône du migrant, du fragile auquel on ne fait pas sa place ? Et la crèche, qui de vivante au temps de Saint François, s’est enrichie au cours des âges de nombreux personnages, représentants toute la diversité des hommes, n’est-elle pas la terre d’asile de ceux qui recherchent le Christ, l’Amour incarné ? Notre culture a voulu que tous les hommes trouvent leur place dans la crèche. C’est de l’incarnation du Christ dont il est fait mémoire.
Il n’y a pas de pharisianisme dans tout cela, juste un geste de mémoire et de gratitude au Christ d’être venu nous sauver.
Quant aux cloches, celle de Mossoul se sont tues après 2 000 ans, l’été 2014. Faire sonner les cloches, qui dans certains de nos villages comme le mien, sont le seul signe qui ponctue la vie quotidienne de tous ses habitants, c’est un signe de solidarité envers ceux qui sont martyrisés et qui ne peuvent plus le faire : leurs églises sont détruites. C’est juste un geste de compassion porté par la prière. Le pape François a salué cette initiative et de nombreux messages de remerciements sont venus d’Orient touchés par ce geste simple de solidarité…
Lors de la scène le Christ a dit : “Faites ceci en mémoire de moi “. Le principal geste de foi, la consécration est un geste de mémoire… Dans son texte de présentation de l’année de la miséricorde le pape François mentionne au moins une dizaine de fois le mot “histoire” pour une seule fois le mot valeur. Est-ce que nos racines ne sont pas indissociables de notre Histoire, celle de nations qui ont accueilli l’Évangile et sa promesse de salut pour tous et en premier pour les pauvres en fondant une vraie communion entre les hommes ? Les valeurs, dont le sens est souvent dévoyé à force d’être instrumentalisé à des fins de pouvoir et de domination, deviennent rapidement idéologiques, idées chrétiennes devenues folles quand elles sont désincarnées, au risque d’être gagnées par un certain sectarisme.
Dans ce même texte, le pape François rappelle les premiers devoirs de charité du chrétien. Mais il insiste bien, sur cette charité qui doit être d’abord de proximité : le SDF au bas de chez soi auprès de qui on s’arrête, la personne âgée isolée qu’on va visiter, le chômeur qu’on accompagne, l’affamé qu’on nourrit. Et il est parfois bien plus difficile d’accueillir son voisin de palier que de recevoir un migrant qu’on va “parquer” avec d’autres sans lui fournir ni travail, ni insertion sociale mais en en faisant un assisté.
Le Pape a bien demandé que les chrétiens se mobilisent pour accueillir dans chaque paroisse une famille : soit des parents, des enfants et des personnes âgées ; accueil fraternel en Église, dans une communauté pour assurer une véritable insertion humaine, spirituelle et sociale : redonner à chaque accueilli sa dignité d’homme libre. Et qu’en est-il de l’immigration au regard de l’enseignement de l’Église ? Dans le Catéchisme de l’Église catholique, on peut lire : “Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine. Les pouvoirs publics veilleront au respect du droit naturel qui place l’hôte sous la protection de ceux qui le reçoivent. Les autorités politiques peuvent en vue du bien commun dont elles ont la charge subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l’égard du pays d’adoption. L’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges” (§ 2241).
Tout est dit. L’actualité parle d’elle-même. La posture des valeurs ne dispense pas de la confrontation au réel et le pape François ne cesse de nous dire que le réel est plus important que l’idée.
Je suis tombée à pic sur cet article datant de plus d’un mois, en cette semaine de l’unité des chrétiens. Notre premier acte d’amour est de veiller à cette unité de l’Eglise dans une même communion. Si voulons être des témoins vivants du Christ, laissons donc la paille dans l’œil de notre frère, pour en toute humilité, avoir honte de la poutre qui nous aveugle. Car le surnaturel est lui-même charnel, et l’arbre de la grâce est raciné profond, disait Péguy. Vivons donc pleinement ce jubilé de la Miséricorde dans la joie de l’Incarnation.