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La France n’est pas en position de donner des leçons de liberté d’opinion

Photo Costanza Miriano + livre

Costanza Miriano - publié le 20/01/16

23 000 personnes ont signé une pétition pour demander le retrait des librairies de ses deux livres : Marie-toi et sois soumise et Épouse-la et meurs pour elle. La journaliste italienne leur répond.

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Aux Français, l’Italienne que je suis pardonnerait tout, au nom de Houellebecq, de Givenchy (pas seulement parce que son directeur artistique, Riccardo Tisci, est italien), de la petite Thérèse, de Jeanne (d’Arc) et de tant d’autres. Je leur ai même pardonné un certain coup de boule au niveau de la poitrine (surtout que l’Italie a gagné après). Mais si je ne puis me dire offensée, je m’interroge tout de même quand plus de 23 000 Français signent, en quelques jours, une pétition pour demander le retrait des librairies de deux de mes livres : Marie-toi et sois soumise et Épouse-la et meurs pour elle, publiés dans leur pays par les éditions du Centurion.

Ces livres contiennent des conseils à mes amis sur le mariage, des réflexions sur la différence entre moi-même et cet être d’une autre espèce qui se trouve dans mon lit, mon époux. Comme le rapporte Le Figaro, la secrétaire d’état chargée du droit des femmes, Pascale Boistard, est sommée par les pétitionnaires d’en interdire la vente.

Je considère cela comme une énorme carte de vœux de bonne année, même si je n’en ai jamais reçu une avec autant de signature ! Mon précédent record était au maximum d’une vingtaine, sur le cadeau d’anniversaire offert par mes camarades de classe. Que tant de personnes s’intéressent à moi me semble à la fois vraiment disproportionné et excitant. Environ 6 milliards de personnes dans le monde se contentent paisiblement de ne pas acheter mes livres : mais ces 23 000 personnes-là se donnent la peine de signer une pétition pour empêcher les autres de le faire.

Je dois avouer que je ne connais pas toutes les lois d’un pays qui inscrit le mot de « liberté » sur tous ses monuments publics. Je sais que dans ce pays, après que des gens sont morts pour avoir publié de nombreuses caricatures insultant le Dieu en Lequel croit une grande partie de la population mondiale, tout le monde a voulu défendre la liberté d’expression et s’est dit « Charlie ».

Mais je sais aussi qu’il existe dans ce pays des délits d’opinion, puisque des gens y ont été arrêtés, je souligne arrêtés, parce qu’ils portaient un pull représentant un homme et une femme avec des enfants dans les environs d’une gay pride. Je sais également que des gens y ont été traduits en justice, parce qu’ils distribuaient des chaussons de nouveau-nés devant des cliniques pratiquant l’avortement : cela remettait en cause, paraît-il, la liberté de choix des mères qui s’y rendaient pour supprimer leur enfant (évidemment, on peut se demander ce qu’est un choix libre si il est possible de le bouleverser avec un petit chausson de laine).

Je sais encore que la diffusion d’un spot publicitaire sur les personnes atteintes de trisomie y a été interrompue. Ce spot m’avait fait consommer des dizaines de mouchoirs parce qu’il montrait des enfants disant simplement : « Maman n’aie pas peur, moi aussi je pourrai être heureux, travailler, faire des voyages, avoir des amis… ». On a jugé que ce message pouvait affecter les mères qui avaient avorté de leurs enfants trisomiques, même s’il ne ne parlait pas d’avortement. Je sais, enfin, qu’il existe dans ce pays un délit d’homophobie, ce qui est presque une formule paradoxale, car sa démonstration supposerait une « police de la pensée » pouvant contrôler si nous avons peur de quelque chose afin de nous sanctionner. En réalité, l’homophobie est un mot inventé pour dire une chose qui n’existe pas, et la loi Taubira, dite « sur le mariage pour tous », a justement été faite pour empêcher que l’on puisse affirmer publiquement que les enfants ont besoin d’un père et d’une mère, que les bébés ne peuvent être achetés, et que le gigantesque business de la location d’utérus, estimé aujourd’hui à 5 milliards de dollars dans le monde, est un crime contre l’humanité.

Je crains donc que la France ne soit guère en position de donner des leçons de liberté d’opinion. Cette liberté affichée n’y est bien souvent que le masque d’une sorte d’hystérie collective, qui s’attaque avec fureur à tout ce qui fait référence au sens des limites, se revendiquant d’un idéal des Lumières dévoyé. En réalité, l’homme a des limites, et il en a beaucoup. À commencer par le fait que, contrairement aux expériences de laboratoire, il faut toujours un homme et une femme pour engendrer une personne. Pour continuer ensuite avec le fait que l’on naît sans l’avoir demandé, et que l’on finit toujours par mourir, en passant par nos nombreuses limites génétiques, économiques et culturelles. Le constat que l’homme n’est pas Dieu dérange énormément : pas seulement les Français à dire vrai, car avec ces limites, nous devons tous nous débrouiller.

En Espagne, ils avaient fait encore mieux : la ministre de la Santé et de l’égalité des chances Ana Mato m’avait dénoncée au procureur général, demandant elle aussi le retrait de mon livre car celui-ci inciterait à la violence contre les femmes. Depuis, chaque fois que je me sens d’humeur un peu triste, je pense au juge qui, lors de son instruction, a dû scrupuleusement examiner les centaines de pages où je raconte les histoires de vomi et de couches de mes enfants, les affaires matrimoniales de mes amies ; je retrouve aussitôt le sourire.

De toute évidence, la plainte a été classée et si vous lisez ce livre, vous saurez pourquoi (il ne comporte bien évidemment pas l’ombre d’une invitation à supporter d’éventuelles violences, et chaque fois qu’une femme s’est confiée à moi à ce propos, je lui ai toujours conseillé de quitter le domicile conjugal pour chercher à rétablir une relation saine). Cependant, à la défense des Espagnols, seul le premier titre était paru à l’époque, celui sur la soumission féminine, et pas encore le second qui invite les hommes à mourir pour leurs épouses. En France au contraire, ils sont sortis ensemble et il me semble que la vocation des hommes (selon saint Paul) n’est pas plus légère que celle des femmes ; certes, l’idée de mourir est moins insupportable à l’homme moderne que l’idée d’obéir à quelque chose. Mais est-ce le vrai problème ?

Selon la pétition française, l’affirmation selon laquelle les femmes sont « appelées de façon particulière à servir la vie » est nauséabonde et dégradante. Ces paroles horribles, je ne me souviens plus si je les ai prises chez Edith Stein ou dans l’encyclique Mulieris dignitatem. En tout cas, elles se trouvaient parmi les pages les plus belles et gratifiantes qui aient été écrites sur la condition féminine. Mais selon les signataires, c’est une atteinte à la liberté de disposer de son corps, à la liberté sexuelle, « à notre identité plurielle » (? Bon sang, j’espère ne pas être plurielle, j’ai déjà du mal à me supporter moi-même en un exemplaire…), un retour au patriarcat et une régression intolérable.

Les livres qu’on ne veut pas lire, comme chacun sait, il suffit de ne pas les acheter, ou de les remiser dans un coin si une vieille tante qui ne connaît pas nos goûts nous les a offerts. Mais je crois qu’il y a autre chose. La question de l’identité féminine en Occident (ailleurs, l’Histoire est différente) est brûlante car malgré toute la rhétorique du féminisme victimaire, nous avons un pouvoir énorme sur les hommes parce que c’est nous qui déterminons le niveau moral et spirituel d’une époque. Or notre temps est marqué par le fait que nous sommes en train de renoncer à cet incroyable privilège qui était de porter la vie et de la mettre au monde. Les Françaises ont certes encore un taux de fécondité permettant juste le renouvellement des générations, ayant deux enfants en moyenne. En Italie, nous sommes déjà sur une dynamique d’extinction, étant en matière de fécondité les dernières au classement mondial avec les Japonaises.

Il y aurait de longues pages à écrire sur les raisons qui font renoncer les femmes à ce privilège, sur le désarroi et la solitude dans lesquels elles ont été laissées par la libération sexuelle, sur l’illusion selon laquelle on pourrait tout avoir, illusion que nous devons à nos mères, nos tantes, nos grand-mères quand elles nous incitaient à étudier pour accéder à des positions socialement élevées. Elles ont omis de nous dire qu’à la plupart d’entre nous, les travaux domestiques plairaient énormément. Je lisais il y a peu de temps (enfermée dans les toilettes, qui sont le seul lieu dans lequel je me sens moralement autorisée à perdre du temps à lire des magazines, le brossage de dents ne pouvant être considéré comme du temps perdu) une interview de l’avocate Giulia Bongiorno, dans laquelle elle regrettait n’avoir eu qu’un fils et l’avoir eu à 44 ans. Elle invitait les filles à faire des enfants avant la trentaine. C’est presque toujours ainsi chez les femmes qui travaillent et qui vivent la maternité tardivement. Giulia Bongiorno avoue : « Je considère cela comme un de mes échecs », et je voudrais l’embrasser sur les deux oreilles pour sa franchise.

Sur la question générale de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, je me limite à dire qu’à force de se fixer sur des questions de quotas de femmes dans les salles de réunions, on oublie que cela ne concerne que certaines professions comme la mienne, où le travail est gratifiant et somme toute bien rétribué. Prenez au hasard l’exemple de mes amies secrétaires, coiffeuses, ou employées. Celles qui ont 20 jours de congé par an, courent entre les courses et les pédiatres avec un énorme sentiment de culpabilité, et attendent des années, oui, des années, la possibilité d’inviter une petite amie de leur fille à déjeuner, et n’osent pas avoir plus d’un ou deux enfants car elles vivent dans un manque de disponibilité continuel… Elles voudraient volontiers s’occuper de leurs enfants, prendre le thé avec des voisines, faire une promenade, un voyage, voir je ne sais quelle exposition ou lire un livre à la lumière du jour et non à trois heures du matin. Seulement elles ne le peuvent pas parce qu’elles doivent gagner un salaire et qu’on leur a attribué deux rôles (homme et femme) pour le prix d’un.

Mais je crois que derrière l’aversion envers une certaine idée de la femme se cache quelque chose de plus profond encore. C’est l’idée même de l’être humain qui est en question. Nous catholiques, nous ne croyons pas au mythe illuminé du bon sauvage, mais nous pensons qu’en l’homme lui-même, il y a quelque chose qui ne va pas, une blessure, quelque chose à guérir, à redresser. La blessure spécifique de la femme réside dans sa grande fragilité : quelle pitié de voir les listes de résolutions du nouvel an dans les magazines féminins : « À partir d’aujourd’hui je pense à moi », « J’apprends à dire non »… (il faudrait rappeler en passant que ces journaux-là sont faits pour vendre des chaussures !). Et la tentation féminine par excellence est d’utiliser son énorme pouvoir sur les hommes de façon séductrice, pour les manipuler et les contrôler, et donc pour répondre au besoin d’être aimée qu’aucun quota féminin ne pourra jamais combler.

Les femmes d’aujourd’hui, qui vivent leur sexualité librement, qui refusent ou diffèrent leur maternité sont sourdement malheureuses, et après un certain âge elles deviennent un peu détraquées, parce que le désir profond de toute femme est celui d’une relation gratifiante, stable et exclusive avec un homme et des enfants, qui pourront satisfaire son besoin de se donner et la guérir de ses blessures. Les femmes de ma génération sont restées seules, avec peu d’enfants et souvent aucun homme, car elles ont cessé d’être accueillantes, gavées qu’elles sont de films, de livres, de journaux qui les incitent à une fausse indépendance. Aucun d’entre nous n’est indépendant, et il est beau de s’avouer dépendant de l’amour des autres. Si le fait que j’écrive cela irrite tellement, c’est parce que c’est la vérité.

Sinon, il suffirait de ne pas acheter mes livres.

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